Dernière ligne droite

Même si la campagne électorale semble dénuée d’enjeux, la présidentielle du 27 novembre prochain va redessiner le paysage politique national.

Publié le 15 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

« Je suis secrétaire, je vote ! » « Je suis footballeur, je vote ! » « Je suis fonctionnaire, je vote ! » Depuis quelques semaines, accrochées bien en vue aux lampadaires qui jalonnent la route du Bord de mer, une multitude d’affichettes illustrées appellent les Gabonais à ne pas oublier d’accomplir leur devoir civique le 27 novembre. Omar Bongo Ondimba, arrivé au pouvoir en 1967, et devenu, après la disparition du Togolais Gnassingbé Eyadéma, le doyen incontesté des chefs d’État africains, briguera ce jour-là un nouveau mandat de sept ans. Et ni Pierre Mamboundou, de l’Union du peuple gabonais (UPG), ni Zacharie Myboto, de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), ses deux principaux challengers issus de l’opposition, ne semblent en mesure de lui disputer la victoire. « Le président Bongo Ondimba veut un succès franc et massif, résume le collaborateur d’un ministre. Il n’a rien à craindre de ses adversaires, mais tout à craindre d’un taux de participation médiocre… »
Aussi, alors que l’on entre dans la dernière ligne droite – la campagne officielle, dont la durée a été limitée à onze jours, commençant le 13 novembre à minuit -, rien n’est laissé au hasard. Chaque jour ou presque, L’Union, le quotidien gouvernemental, titre sur les ralliements ou les manifestations de soutien, alors que les militants du Parti démocratique gabonais (PDG) et de la quarantaine d’autres formations composant la mouvance présidentielle multiplient marches et réunions à Libreville comme dans l’intérieur du pays. Le journal télévisé consacre une large place aux activités du président. Le rouleau compresseur étatique est en marche. Les associations ne sont pas en reste. Dans un même élan, les syndicats, les femmes, les jeunes et désormais les « Églises éveillées » (évangéliques) ainsi que les représentants du culte musulman ont appelé à voter « OBO » (Omar Bongo Ondimba). Seule la hiérarchie de l’Église catholique, dont les « parts de marché » sont grignotées par les sectes protestantes, continuait à ce jour à observer un semblant de neutralité.
L’opposition, boycottée par les médias d’État mais aussi par la presse privée, peine à se faire entendre. De passage à Paris début novembre, Zacharie Myboto dénonçait « des risques de fraudes massives », tout en affichant une certaine sérénité. Revendiquant 40 000 adhérents, et beaucoup plus de sympathisants, l’ancien cacique du PDG, qui a rompu avec son ancienne formation et fait son autocritique dans un livre à sensation, J’assume, paru début 2005, est la cible de toutes les attaques. On le soupçonne de vouloir régler ses comptes. Accusé d’instrumentaliser le vote ethnique, et de lorgner les voix de la communauté Nzebie, la troisième, par ordre d’importance, après les Fangs et les Punus, il dit compter sur « le ras-le-bol de ses compatriotes pour l’emporter ». En apparence, il est isolé, et certains de ses proches, « retournés » ou plus prosaïquement partis « négocier » leur ralliement à la majorité présidentielle, ont fait défection. Mais, remarque un banquier, « dans le climat actuel de chasse aux sorcières, il serait suicidaire pour quiconque jouit d’une position dans le monde des affaires ou de la fonction publique de s’afficher politiquement en compagnie de Myboto. En réalité, il est difficile de se faire une idée sur sa véritable audience. »
Pour ce qui est de Pierre Mamboundou, les choses sont à la fois plus simples et plus compliquées. Opposant historique réputé intègre, bien identifié par les Gabonais, il peut capitaliser sur la constance de son engagement. C’est l’un des très rares hommes politiques à « n’être jamais allé à la soupe ». Problème : il n’a presque ni troupes, ni moyens, ni appareil digne de ce nom. Le discrédit dont souffre la classe politique dans son ensemble, et l’opposition en particulier, risque de rejaillir, aussi, sur sa candidature. « Sa stratégie est un peu déroutante, note Anaclé Bissielo, professeur de sociologie à l’université Omar-Bongo de Libreville. Un boycottage de l’opposition aurait enlevé tout crédit à la présidentielle. Certains pensent que Mamboundou et Myboto ont tiré de l’embarras le camp présidentiel, qui, en apparence, ne leur fait pas de cadeau. Les gens ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur les arrière-pensées des différents candidats. Ils se perdent en conjectures. »
Stéphane P., un jeune chef d’entreprise, formé en France et rentré au pays pour essayer de s’y faire une place au soleil, passe des soirées entières à « refaire le Gabon » avec ses amis autour de quelques bouteilles de bière. Il n’ira pas voter. La plupart de ses copains non plus. Désenchanté, il ne croit plus en la politique, même s’il observe, avec curiosité, les stratégies des candidats. « La politique est devenue une affaire d’entrepreneurs, explique-t-il. C’est un moyen de faire carrière rapidement, si on dispose d’un minimum de liquidités. Il suffit de rameuter quelques partisans, de s’agiter un peu et d’aller ensuite au Palais négocier un ralliement contre des espèces sonnantes et trébuchantes. C’est un petit jeu bien rodé. Aujourd’hui, plus rien ne nous étonne. »
Et les programmes dans tout cela ? La paix, la stabilité et l’expérience constituent le fonds de commerce – assez efficace d’ailleurs – de la coalition présidentielle. « OBO » a fait ses preuves, martèlent à l’envi ses partisans. Et, contrairement aux années 1998-2005, marquées par l’austérité et l’assainissement des finances publiques, le septennat à venir sera celui des « ambitions nouvelles ». L’intérêt suscité par le sous-sol gabonais et les fabuleux gisements qu’il recèle en fer, manganèse, diamants et or notamment, devrait aider le pays à sortir de sa dépendance vis-à-vis du pétrole. Et à diversifier son tissu économique. « Nous tablons dès 2006 sur une croissance substantielle, tirée par les grands travaux, explique le Premier ministre, Jean-François Ntoutoume Emane, qui devrait permettre de résorber une partie du chômage, qui touche entre 18 % et 22 % de la population active. »
Reste une question, la seule qui importe aux yeux de bon nombre de Gabonais : celle de « l’après-Bongo Ondimba ». La succession du président a été un sujet longtemps tabou. Dans ses dernières interviews (voir Afrique Magazine n° 242, de novembre 2005), le chef de l’État a promis de lever un coin du voile en 2006. Chacun guette les signaux et, là encore, on se perd en conjectures. « La majorité présidentielle est pléthorique, et occupe presque tout le champ politique, conclut Anaclé Bissielo. Mais on peut se demander si le système est préparé à affronter la perspective de « l’après ». Car tout gravite autour d’un homme. L’allégeance personnelle tient lieu d’engagement idéologique et de programme politique, et masque les divisions. Pour l’instant. Mais les ambitions existent. Et elles pourraient bien s’entrechoquer… À moins que le seul à pouvoir arbitrer, c’est-à-dire « OBO » lui-même, ne mette un terme à toute polémique.

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