Coup de balai dans les casernes

Un dixième des effectifs de l’armée mis à la retraite par décret présidentiel ! Lesraisons d’une purge sans précédent.

Publié le 16 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Depuis sa création, le 1er novembre 1958, l’armée guinéenne n’a jamais connu un tel chamboulement. Trois jours après son quarante- septième anniversaire, près d’un dixième de ses effectifs (1 872 officiers, sous-officiers et soldats du rang sur environ 20 000 hommes) a été mis à la retraite en vertu d’un décret signé le 4 novembre par le président Lansana Conté et lu dans toutes les garnisons du pays. Deux généraux, 4 colonels, 10 lieutenants-colonels, 39 commandants et 93 capitaines figurent sur la liste des personnes appelées à se retirer au plus tard le 31 décembre. Parmi eux, le chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), le général Mamadou Baïlo Diallo, très populaire au sein des troupes ; le secrétaire général de la sécurité intérieure, le général Abdourahmane Diallo, ministre de la Défense de 1993 à 1996 ; et l’inspecteur général des forces armées, le colonel Mamadou Baldé. Le départ de ces officiers supérieurs, tous trois Peuls, illustre le climat de suspicion qui règne depuis plusieurs mois entre le chef de l’État et les gradés issus de cette ethnie. De source proche du renseignement militaire, le désormais ex-Cemat, qui commandait 70 % des effectifs (laissant 15 % à l’aviation, 10 % à la gendarmerie et 5 % à la marine), faisait l’objet ces derniers temps d’une surveillance stricte du chef d’état-major des armées, Kerfalla Camara.
La purge semble d’autant plus « antipeule » que de vieux gradés issus des autres ethnies demeurent en fonctions : Kerfalla Camara lui-même (de matricule F, plus ancien que Lansana Conté, qui l’a trouvé dans les casernes de l’armée guinéenne après la guerre d’Algérie), ainsi que les très âgés généraux Alhousseiny Fofana et « Kaba 41 ».
Autre explication du coup de balai : la volonté de faire droit aux revendications des jeunes soldats. En plus des clivages ethniques, l’armée guinéenne est traversée par un conflit de générations. Les nouveaux venus, généralement bien formés, déplorent leur pouvoir d’achat de plus en plus érodé par la crise qui secoue le pays, alors que les « vieux » aux commandes, toutes choses étant égales d’ailleurs, cumulent les privilèges. Comme pour faire fonctionner l’ascenseur social au sein des troupes, Lansana Conté a accordé, ce même 4 novembre, des avancements à tous les soldats, de la 1re classe au grade d’adjudant, tout en gelant jusqu’à nouvel ordre toute nouvelle promotion dans la hiérarchie. Éloigné des affaires de l’État par la maladie, le président perçoit le divorce « anciens-jeunes » au sein de l’armée comme une menace pour ce qui reste de son pouvoir. Fin 2003, il a échappé de peu à une tentative de putsch qui s’est soldée par l’arrestation de plusieurs dizaines de jeunes officiers et sous-officiers en poste dans différentes garnisons du pays.
Le dégraissage inédit du 4 novembre peut également traduire la volonté d’un « général-président » affaibli de montrer qu’il demeure le chef des troupes. Et le garant de l’ordre dans les rangs. Les mises à la retraite ne concernent pas que des personnes frappées par la limite d’âge. Délinquants, alcooliques, déserteurs et autres « indisciplinés » sont également de la fournée. Mais quelle que soit la grille de lecture de l’événement, son résultat demeure le même : la « soussouisation » [du nom de l’ethnie du chef de l’État, les Soussous] de facto des cadres de l’armée. Le coup d’État manqué du 4 juillet 1985 du colonel Diarra Traoré (coauteur du putsch qui a porté Conté au pouvoir une année plus tôt) a bouleversé l’équilibre régional et ethnique à la tête des troupes. Presque tous les officiers malinkés, comme Traoré, ont été passés par les armes, placardisés ou radiés. Les jeunes issus de cette ethnie, qui incarnaient une timide relève, ont été victimes de la répression de la mutinerie des 2 et 3 février 1996. À l’instar du brillant spécialiste en armement lourd, Kader Doumbouya. Avec cette « épuration » choc du 4 novembre qui emporte les cadres peuls, la hiérarchie de l’armée est aujourd’hui entre les mains des Soussous. Mais également des proches collaborateurs du chef de l’État, qui, tel le secrétaire général à la présidence, Fodé Bangoura, éliminent un à un tous ceux qui sont susceptibles de les gêner dans la course à la succession de Lansana Conté, malade depuis de longs mois.

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