[Tribune] Rendons l’étoffe d’Abdelkader à l’Algérie !
Rendre le burnous de l’émir algérien Abdelkader constituerait un beau symbole pour le renouveau des relations entre la France et l’Algérie.
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M’jid El Guerrab
Député des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest
Publié le 7 octobre 2020 Lecture : 4 minutes.
Pablo Picasso disait : « Donnez-moi un musée et je le remplirai. » Alors qu’a été votée à l’unanimité au Parlement français une loi relative à la restitution des biens culturels au Bénin et au Sénégal, les propos du célèbre peintre espagnol résonnent tout particulièrement auprès de nos partenaires africains.
Ils sont d’autant plus actuels que, de Dakar à Abidjan en passant par Kinshasa et Abomey au Bénin, se sont multipliés ces dernières années les projets de construction de musées. Dans un élan de valorisation des patrimoines par ces pays, ils répondent également en filigrane au discours du président de la République française, Emmanuel Macron, à Ouagadougou le 28 novembre 2017, qui a souhaité que, « d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Cantonnée encore à l’Afrique subsaharienne, la position française sur la question des restitutions de biens issus d’un contexte colonial conservés dans les collections publiques a positivement évolué pour tenter de s’affranchir (timidement quand même) du droit du patrimoine et de l’inaliénabilité des collections publiques tel qu’énoncé à l’article L.451-5 du Code du patrimoine.
Nouvelles passerelles
Le constat est sans appel : 90 % du patrimoine africain se situe hors du continent. Ainsi, contrairement à ce qui a pu être vécu comme un traumatisme par certaines âmes chagrines au moment de la publication du rapport Bénédicte Savoy – Felwine Sarr, il ne s’agit nullement d’ouvrir la boîte de Pandore et de vider les musées français, mais plutôt d’établir de nouvelles passerelles qui équilibreraient les relations bilatérales avec nos partenaires africains. Rééquilibrer plutôt que vider. Marquer symboliquement plutôt que nier.
Un premier pas est en train d’être fait avec la restitution au Bénin de 26 objets issus du Palais du roi Béhanzin, actuellement conservés au musée du quai Branly-Jacques Chirac, copieusement doté de plus de 90 000 biens culturels, ainsi qu’avec le retour au Sénégal du sabre du souverain El Hadj Omar Tall, jusque-là entreposé au musée de l’Armée, déjà riche de 500 000 pièces.
Ces premières réappropriations doivent en appeler d’autres, comme je l’ai exprimé pendant les travaux portant sur le sujet à l’Assemblée nationale, en évoquant notamment le cas du burnous (et de bien d’autres objets, qui dorment dans les réserves du musée de l’Armée) ayant appartenu à l’émir Abdelkader (1808-1883).
Rendre à son pays de naissance cette étoffe du héros de la résistance à la colonisation lors des batailles de la Macta, du Sig et de Sidi-Brahim, qui fut aussi décoré par la France de la Grand-Croix de la Légion d’honneur, notamment pour avoir accordé sa protection aux chrétiens de Syrie, constituerait un beau symbole du renouveau des relations entre la France et l’Algérie.
Abdelkader, auquel mon regretté professeur à l’IEP d’Aix-en-Provence, Bruno Étienne, consacra une brillante et marquante biographie, très justement sous-titrée « l’isthme des isthmes »…
Coopération plus large
Toutefois, les restitutions ne doivent pas être considérées comme une fin en soi. Elles doivent être accompagnées d’un renforcement de notre partenariat patrimonial avec certains pays africains tout en s’intégrant dans une coopération muséale et culturelle plus large.
Là où certains partenaires asiatiques et européens de l’Afrique se sont montrés très engageants dans la construction de musées ces dernières années, la France a presque totalement occulté son expertise sur ce sujet dans sa politique d’aide au développement, que la toute récente participation de l’AFD au financement du musée d’Abomey, vient à peine atténuer.
Cela doit nécessairement s’assortir d’un accompagnement et d’un renforcement de la formation de jeunes professionnels de la conservation, à même de répondre à certaines défiances. En effet, la formation est d’autant plus primordiale que les demandes de restitution doivent au préalable être dûment référencées et être portées au niveau politique par l’État demandeur. In fine, nous pourrions ainsi accompagner la stratégie de développement touristique de certains de nos partenaires africains, comme nous le faisons actuellement avec le Louvre à Abou Dhabi ou avec le Centre Pompidou à Shanghai.
Vers une plus grande circulation des œuvres ?
Enfin, contrairement à certaines craintes initiales, réconfortées certainement par la faible probabilité de voir émerger malgré tout un mouvement global de demande de restitution systématique, les débats qui se sont déroulés au Parlement ont fait ressortir, tous groupes politiques confondus, un inhabituel consensus. C’est en soi assez rare pour être souligné.
Sans doute faut-il y voir une promesse. Celle qu’une plus grande circulation des œuvres et des biens culturels à travers le monde, puisse permettre à l’humanité de se retrouver au « rendez-vous du donner et du recevoir » si chère au président-poète Léopold Sédar Senghor dans sa quête d’une « civilisation de l’universel ».
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