Aziz Senni ou ces Beurs qui montent

Il n’y a pas de fatalité ! On peut réussir même si l’on est issu de l’immigration. La success-story de ce jeune chef d’entreprise en témoigne.

Publié le 15 novembre 2005 Lecture : 4 minutes.

C’est le chouchou des médias français, qui n’aiment rien tant que les Beurs à la réussite affichée, parce qu’ils leur paraissent comme d’originales exceptions à la règle, surtout en cette période de troubles dans les cités des banlieues. Interrogé à propos de ces événements, Aziz Senni, 29 ans et déjà patron d’ATA France, une florissante entreprise opérant dans le secteur des transports, se dit guère surpris. « Cela couve depuis trente ans », ajoute-t-il. S’il condamne fermement les méthodes employées par les jeunes, il dit comprendre leur malaise : chômage, discrimination à l’emploi, au logement, aux loisirs, à l’éducation… Il estime que tous les ingrédients étaient réunis pour que la situation explose.
Pourtant Aziz Senni a réussi à transcender toutes ces difficultés. Et de son parcours, il a fait un livre : L’ascenseur social est en panne… j’ai pris l’escalier, que Claude Bébéar, patron du groupe d’assurances Axa, a préfacé.
Pourquoi cet ouvrage ? « Il s’agit d’un témoignage à double destination. Il s’adresse d’abord à la société, qui a pour habitude de montrer du doigt une partie de la population qui vit aujourd’hui en banlieue et qu’elle accuse de ne pas vouloir s’intégrer, de ne pas vouloir travailler, et qui, parallèlement, met des bâtons dans les roues de cette population lorsqu’elle revendique sa place dans la société, explique-t-il. C’est ce paradoxe que je veux dénoncer. On ne peut pas à la fois montrer du doigt une population et ne rien faire pour l’intégrer. Mon livre s’adresse aussi aux jeunes des banlieues, à qui je veux dire : oui, c’est vrai, il existe des discriminations, oui, c’est très dur de s’en sortir, mais il faut se battre et surtout ne pas se décourager. »
En seize chapitres, Aziz Senni raconte en vrac son enfance, ses vacances dans le Maroc de ses aïeux, ses premiers pas dans le commerce, mais évoque aussi les grands maux dont souffre la banlieue et dénonce ses « faux porte-parole » que sont, selon lui, Tariq Ramadan ou Malek Boutih, ex-président de SOS Racisme et aujourd’hui secrétaire national du Parti socialiste.
Que pense-t-il du mouvement féministe Ni putes ni soumises ? « Ni putes ni soumises soulève des problèmes qui existent, mais ce mouvement a tendance à faire de cas particuliers des généralités. Et ainsi, il ne fait que stigmatiser les jeunes des banlieues. Cela étant, leur combat est légitime, mais ces militantes ont contribué à créer un amalgame et surfent, elles aussi, sur le thème de l’insécurité. Avant, les jeunes des banlieues passaient pour des fainéants qui ne voulaient pas travailler. Après le 11 Septembre, ils ont été perçus comme des Ben Laden potentiels. « Grâce » à Fadela Amara – la présidente du mouvement -, aujourd’hui, ils sont aussi des violeurs ! »
Pour mettre un terme à la stigmatisation et à l’exclusion dont sont victimes les jeunes des banlieues, Aziz Senni, partisan du CV anonyme, a son idée sur la discrimination positive : « On ne peut pas à la fois être dans une république et monter des fichiers spécifiant l’origine ethnique des individus. Je préférerais qu’on se fonde sur des paramètres sociaux comme le lieu d’habitation et la catégorie socioprofessionnelle des parents. »
Le jeune homme ne se contente pas de gérer son entreprise en silence. Il nourrit aussi des ambitions politiques. D’ailleurs, il a tenté de se présenter aux élections législatives partielles à Mantes-la-Jolie (banlieue ouest de Paris) en décembre 2004. Il s’agissait d’« une candidature symbolique ». Sa façon de dire à ceux qui, comme lui, ne sont pas nés dans des milieux favorisés que « oui, on peut créer son entreprise et on peut aussi prétendre au pouvoir politique. Car nous, jeunes issus de l’immigration, nous nous mettons des barrières dans la tête. » En attendant, Aziz a préféré faire marche arrière. À peine avait-il lancé l’idée de se présenter qu’il recevait la visite d’inspecteurs de l’Urssaf et celle de l’Inspection du travail alors que son entreprise avait été contrôlée tout juste un an auparavant. « C’était un avertissement… j’ai appris que ce contrôle avait été suggéré par un responsable politique. »
L’aventure électorale n’est certainement que partie remise. Pour l’instant, ce jeune patron confesse son envie de prendre part au débat et multiplie les participations aux groupes de travail. Sa dernière initiative ? La création du Firm (Fonds d’investissement pour la réussite mutuelle), dont l’objectif est de convaincre des financiers juifs et musulmans d’investir dans le microcrédit à usage des créateurs d’entreprise dans les banlieues défavorisées. Ce projet aurait déjà retenu l’attention de personnalités comme Jacques Attali. Outre le développement des banlieues, où le conflit israélo-palestinien a tendance à s’importer ces dernières années, ce Fonds constitue pour Senni une façon de lutter contre l’antisémitisme et l’islamophobie. « L’idée est de montrer qu’on peut travailler ensemble et que l’on peut même produire des richesses. Certes, il y a des choses malheureuses qui se passent au Proche-Orient, mais elles n’ont pas de raison d’exister ici, en tout cas pas sous la forme d’actes de violence. »
Aujourd’hui, s’il avait un message à destination des jeunes, ce serait : « Un bulletin de vote est bien plus efficace qu’un cocktail Molotov ». Et aux dirigeants politiques ? « Agissez et cessez de parler, il y a urgence. Trente ans de politique de la ville improductive suffisent ! La société française a besoin de réconcilier tous ses enfants. »

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