A-t-il été assassiné ?

Auteur de nombreux ouvrages consacrés au conflit israélo-palestinien dont «Arafat l’irréductible » (Fayard, 2004) , le journaliste franco-israélien Amnon Kapeliouk revient dans « Le Monde diplomatique » sur les circonstances, toujours pas élucidées, du

Publié le 15 novembre 2005 Lecture : 5 minutes.

Le 18 août 2004, j’ai personnellement assisté au discours du président Arafat devant le Conseil législatif palestinien, réuni à la Mouqataa. Deux heures durant, il a passé en revue les problèmes de l’heure, répétant deux ou trois fois – comme à son habitude – les phrases clés de son intervention. Debout, la voix forte, il n’avait pas l’air malade.
Le 28 septembre, lors du quatrième anniversaire de l’Intifada Al-Aqsa, je le revois pour la dernière fois. Il me salue avec l’accolade habituelle et prend de mes nouvelles. « Tout va bien, al-hamdou li-llah [Dieu soit loué], mais vous, Abou Ammar, vous avez perdu beaucoup de poids en peu de temps. » Son visage est amaigri, et il semble flotter dans ses vêtements. « Ce n’est rien », répond-il. Pendant le déjeuner, il prend activement part à la conversation tout en mangeant – comme toujours – fort peu. Soudain, son porte-parole Nabil Abou Roudeina me glisse à l’oreille : « Il vaut mieux terminer, car Abou Ammar a besoin de se reposer. » Arafat m’embrasse à nouveau, et nous nous séparons.
Au mois d’octobre, son état de santé se dégrade. Le 12, quatre heures après le dîner, il commence à souffrir de maux de ventre, de vomissements et de diarrhées. Soigné pour une grippe intestinale, il ne réagit pas aux médicaments. Les examens de sang révèlent que le nombre de plaquettes est très bas, mais celui des leucocytes stable. Le 27, aggravation subite : il perd connaissance pendant un quart d’heure. L’ex-ministre de la Culture Yasser Abed Rabbo, qui vient de lui rendre visite, me confie : « Son état est très grave, très grave. »
Le lendemain arrivent des médecins égyptiens, puis tunisiens et enfin jordaniens. Ne parvenant pas à déterminer l’origine du mal, ils suggèrent de transférer le malade vers un hôpital français.
L’Élysée donne immédiatement son accord. Le général Sharon, par le truchement de son chef de cabinet Dov Weissglas, accepte non seulement son départ, mais aussi son retour une fois guéri, et, par un étrange retournement, propose d’envoyer des médecins israéliens à Paris. Le 29 octobre, dans la matinée, ses assistants transportent Abou Ammar du bâtiment dans lequel il était enfermé depuis trente-cinq mois dans l’un des deux hélicoptères envoyés par la Jordanie. Au lieu de son éternel keffieh, le raïs porte un chapeau de fourrure et sourit étrangement : ce n’est pas le Arafat que je connais depuis notre première rencontre en août 1982, à Beyrouth-Ouest assiégée. Des larmes coulent sur les joues de ses proches quand l’hélicoptère s’envole pour Amman, d’où un avion médical militaire français l’emmène à Paris.
À Clamart, il arrive conscient, mais très affaibli. Les premiers examens ne mettent en évidence ni leucémie ni tumeurs, mais une grave inflammation du tube digestif, que les médecins combattent avec de fortes doses d’antibiotiques et d’anti-inflammatoires. Son état s’améliore : il marche un peu dans sa chambre, parle au téléphone avec le président Jacques Chirac et avec plusieurs dirigeants palestiniens. Mais, le 3 novembre, il sombre soudain dans le coma. Il souffre d’une série de symptômes graves, attribués à une toxine inconnue que les médecins français ne parviennent pas à détecter. Seul un miracle peut le sauver, dit son entourage. Deux semaines après son arrivée, le président Yasser Arafat ferme les yeux pour toujours.
Pour expliquer cette mort subite, la presse israélienne a évoqué trois causes : infection, sida ou empoisonnement. La thèse de l’infection manque de fondement médical : aucun médecin français, palestinien, égyptien, tunisien ni jordanien n’a affirmé avoir découvert une trace d’infection lors des examens. En outre, si telle avait été la cause de sa maladie, Arafat aurait pu y faire face avec l’aide d’antibiotiques.
La thèse du sida semble avoir été avancée à seule fin de salir l’image du raïs. Un article de Haaretz n’apporte pas le moindre élément probant. Une enquête du New York Times a exclu d’emblée cette hypothèse, et les médecins français ne la mentionnent même pas. […]
Empoisonnement ? Les autorités israéliennes qualifient de « stupides » et de « mal intentionnées » de telles accusations. Du côté palestinien, on rappelle la tentative d’assassinat à Amman, le 25 septembre 1997, d’un des dirigeants du Hamas, Khaled Meshal : deux agents du Mossad lui avaient injecté, en pleine rue, un poison dans l’oreille. Fou de rage, le roi Hussein exigea qu’Israël fournisse immédiatement le contrepoison, faute de quoi, il prendrait la responsabilité d’une crise majeure entre les deux pays. Le Premier ministre Netanyahou accepta de livrer l’antidote et, pour calmer le jeu, libéra soixante-dix prisonniers palestiniens, dont Cheikh Yassine.
Comparaison n’est pas raison : les médecins de l’hôpital Percy affirment, dans leur rapport, ne pas avoir trouvé de traces de poison connu. Ils ont, de surcroît, demandé à deux autres laboratoires – ceux de la gendarmerie et des armées – d’en rechercher : en vain. Toutefois, certains experts estiment qu’on peut fabriquer facilement des produits toxiques non répertoriés, dont certains disparaissent après avoir fait leur effet…
Des dirigeants israéliens, dont Ehoud Barak, n’envisagent l’élimination physique du président palestinien que si celle-ci ne laisse « aucune empreinte israélienne ». D’où le recours à un poison indétectable. Un journaliste israélien chevronné, qui préfère lui aussi conserver l’anonymat, a raconté à plusieurs confrères que, à peine la maladie du chef palestinien connue, il était persuadé que le raïs avait été empoisonné. Plus : trois personnalités du secteur de la sécurité auraient discuté avec lui de la meilleure méthode à utiliser pour en finir avec Arafat, et seraient arrivées à la même conclusion : le poison. C’était au début de 2004…
Médecin des rois hachémites, le Jordanien Ashraf al-Kourdi suivait également Abou Ammar, dont il connaissait par coeur le dossier médical. Lui aussi, peu après le décès de son patient, déclara percevoir des indices d’empoisonnement. Il avait examiné Arafat durant la phase critique de sa maladie, avant son transfert en France, et ignorait tout des problèmes sanguins qui l’auraient terrassé. C’est pourquoi il exigea la création d’une commission d’enquête indépendante pour procéder enfin à une autopsie qui déterminerait les causes de sa mort. Douleurs dans les reins et l’estomac, absence totale d’appétit, diminution des plaquettes, perte de poids considérable, taches rouges sur le visage, peau jaune : « N’importe quel médecin vous dira qu’il s’agit là de symptômes d’empoisonnement. » Seule une telle commission permettrait, en effet, de savoir si, oui ou non, Arafat est mort assassiné.
Arafat souhaitait être enterré à Jérusalem, sur l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam. Les autorités israéliennes s’y opposant, la direction palestinienne a choisi la Mouqataa, théâtre de la dernière étape de la lutte d’Abou Ammar pour la création d’un État palestinien indépendant. […]
Son héritage, a dit en février 2005 le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Michel Barnier, lors d’une visite à la Mouqataa, appartient au peuple palestinien et à l’Histoire. Mais les Israéliens ? « Ils se bercent d’illusions s’ils croient que leurs visées se réaliseront dans l’après-Arafat », a déclaré le Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï. Et d’ajouter : « Un jour, ils regretteront Arafat. »

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