Décolonisations : la télévision française pose enfin des images sur l’horreur
Diffusé sur France 2 et disponible en streaming, le documentaire « Décolonisations, du sang et des larmes », de Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza, met fin, avec d’autres travaux récents, au silence entourant cette période sanglante de l’histoire de France.
Massacres de Sétif de 1945, répression de l’insurrection malgache de 1947… Pendant longtemps, l’extrême brutalité de la France face aux velléités d’indépendance de ses colonies s’est limitée à une ou deux phrases dans les livres d’histoire. Quelques mots, quelques chiffres, qui masquaient difficilement le grand silence entourant l’indicible.
Mais la violence extrême de l’ancienne puissance impériale, cachée péniblement sous le tapis, a fini par rejaillir d’autant plus vigoureusement dans les débats politiques récents. Et l’audiovisuel français, qui n’est certes plus la voix de son maître, mais qui ne peut plus non plus se contenter d’une indifférence coupable, a engagé en 2020 un tournant radical grâce à deux travaux d’exception.
Violence de l’occupant
Il y a d’abord eu Décolonisations, série documentaire en trois volets des réalisateurs Marc Ball et Karim Miské et de l’historien Pierre Singaravélou diffusée en janvier sur la chaîne franco-allemande Arte. Pour la première fois, la parole était donnée aux anciens colonisés ou leurs descendants pour composer une histoire globale sur près d’un siècle et demi de combats contre l’occupant.
Voici à présent Décolonisations, du sang et des larmes, diffusée en prime time sur France 2. La grande chaîne du service public n’a pas lésiné sur les moyens pour rendre cette pilule amère un peu moins dure à avaler. Les deux documentaires de 80 minutes, disponibles en replay sur le site de la chaîne, s’appuient d’abord sur d’incroyables archives, parfois inédites, mises à disposition notamment par l’armée française et colorisées pour l’occasion.
Ces documents sont parfois stupéfiants, comme ceux montrant l’exposition coloniale parisienne de 1931, qui ouvrent le documentaire… Ou simplement effroyables, à l’image de l’exécution sommaire de supposés rebelles, tués froidement par des soldats français au début de la guerre d’Algérie.
Enfin des images sont posées sur l’horreur. Et si elles disent parfois la violence des indépendantistes, elles raconte surtout celle, disproportionnée, de l’occupant.
Dibango, Thuram et Vergès
Ponctuellement, des invités souvent prestigieux parlent de ce qu’ils, ou de ce que leurs parents, ont vécu. Les agitateurs du groupe Zebda, Hakim et Mustapha Amokrane, le regretté Manu Dibango, la journaliste Mélanie Wanga, l’animateur Soro Solo, l’ex-footballeur Lilian Thuram, la politologue et militante Françoise Vergès… Quels que soient leurs racines et leurs parcours, tous disent au fond la même chose. Leur histoire intime, celle racontée dans leur famille, celle qui les a marqués parfois dans leur chair, est bien loin de l’histoire officielle française.
Ces interventions (un peu courtes à notre goût) permettent d’incarner au présent les blessures de l’histoire qui n’ont toujours pas cicatrisé et de mieux comprendre les débats d’actualité sur les réparations coloniales.
En voix off, le réalisateur et acteur Lucien Jean-Baptiste avance progressivement la thèse des auteurs : les décolonisations ne sont pas quelques conflits juxtaposés, dont on a surtout retenu l’Indochine et l’Algérie, mais une suite de troubles liés entre eux, entraînant la France dans une guerre de près d’un quart de siècle.
Encore beaucoup de travail
Pédagogique, didactique, et pas manichéen, le documentaire s’appuie surtout sur de précédents travaux de Pascal Blanchard réalisés en collaboration avec d’autres historiens, notamment l’ouvrage Décolonisations françaises, la chute d’un empire (éd. La Martinière) et l’exposition « Les indépendances, 35 ans de décolonisations françaises ».
Ce documentaire et celui diffusé en janvier sur Arte ouvrent une brèche. Mais il faudra certainement encore beaucoup de travaux grand public comme celui-ci pour combler tous les trous de mémoire de l’histoire de France… Et développer l’histoire récente sur les relations de la métropole avec ses anciennes colonies, qui n’ont pas beaucoup perdu de leur violence.
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