Affaire Ben Barka ou affaire Figon ?

L’enlèvement puis la disparition, à Paris, du célèbre opposant marocain vus par l’un des principaux protagonistes du drame.

Publié le 16 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le titre du film – J’ai vu tuer Ben Barka – est à la fois honnête et trompeur. Honnête parce qu’il utilise le « je » et implique donc tout de suite qu’on va assister à un récit subjectif de la mystérieuse affaire Ben Barka. Trompeur parce qu’il laisse entendre que, grâce à un témoin de première main, on va enfin connaître la vérité sur la disparition à Paris en octobre 1965 du leader de la gauche marocaine, alors en exil.
De fait, au bout d’une heure quarante de projection, le spectateur n’obtiendra aucune information ni hypothèse nouvelle sur les principales questions, restées sans véritable réponse depuis lors. Parmi celles-ci : a-t-on donné l’ordre formel de tuer Ben Barka et, si c’est le cas, qui ? Le pouvoir marocain, qui ne supportait plus cet opposant très incommode ? La CIA, qui voulait torpiller la prochaine réunion à La Havane chez Castro de la Tricontinentale tiers-mondiste organisée sous la responsabilité du leader politique marocain ? Les deux ensemble ? Où est passé le corps du supplicié ? Quelle fut l’implication réelle des services français dans cette opération ? Et celle des services israéliens ? Qui a éliminé physiquement, après que le scandale de l’enlèvement a éclaté en raison de la présence imprévue d’un témoin, certains des protagonistes du drame, à commencer par l’organisateur du piège dans lequel est tombé Ben Barka, le dénommé Georges Figon ?
Paradoxalement, même si le film ne propose aucune lecture vraiment limpide de toute l’affaire, il est construit assez linéairement et peut se voir comme un polar, où l’on comprend au fur et à mesure ce qui a conduit le « héros », qui n’est pas Ben Barka, vers son fatal destin. Car le point de vue subjectif qu’il propose, et qui est efficace sur le plan dramaturgique, est celui de Georges Figon, dont on découvre le cadavre encore chaud lors de la première scène. Il va s’agir de retracer ses faits et gestes depuis le début de son implication dans l’opération jusqu’à son « suicide » – officiellement d’une balle à bout portant… derrière la nuque – début janvier 1967. C’est ce qui permet de maintenir l’intérêt du spectateur, d’autant que le personnage de Figon, magistralement interprété par Charles Berling, ne saurait laisser indifférent.
Petit voyou charmeur issu de la bonne bourgeoisie parisienne, ce repris de justice a un réseau de relations peu banales. Aussi bien dans le milieu – il connaît bien le truand Boucheseiche, ancien collaborateur de la Gestapo devenu sur le tard « barbouze » pour le compte des gaullistes et tenancier de bordel au Maroc – que dans les cercles politiques – l’avocat et député gaulliste Pierre Lemarchand est un ami d’enfance – et dans les cercles littéraires germanopratins – il a séduit Marguerite Duras, avec laquelle il a imaginé, sans succès jusque-là, divers projets cinématographiques. Tout le prédisposait donc, surtout à ce moment, au milieu des années 1960, où il est sans le sou, à devenir l’élément central d’un complot pour attirer Ben Barka dans un piège. Tuyauté par Boucheseiche, que ses activités marocaines ont conduit à connaître Oufkir, sur un « coup » qui pourrait lui rapporter gros, il peut monter de façon crédible un projet de documentaire sur la décolonisation dont la scénariste serait Marguerite Duras, le réalisateur un ami de cette dernière, le célèbre cinéaste Georges Franju, et le conseiller historique, enfin, Ben Barka. Ce dernier, mis en confiance par la renommée des auteurs du film, ne se méfiera pas trop, et deviendra ainsi une proie accessible.
L’histoire qu’on nous raconte est donc celle d’une double manipulation : celle de ses amis et des relations de ses amis par Figon ; et celle de ce dernier par ses commanditaires. Mais comme Figon lui-même ne connaît pas les véritables commanditaires en question, le spectateur ne pourra suivre de façon vraiment éclairante que la moitié de l’affaire, qui correspond à la première de ces manipulations. Résultat : le film, parce qu’il a choisi cet angle d’attaque, et bien qu’il ne soit pas désagréable à voir, est frustrant. Il ne nous dit même presque rien en fin de compte, si ce n’est des généralités, sur la personnalité de Ben Barka et sur ce qui a justifié son enlèvement, autrement dit la situation politique à l’époque au Maroc, surtout, et dans le monde. Un symptôme révélateur à cet égard : le nom même de Hassan II n’est jamais prononcé pendant toute la durée du long métrage !

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