Un Congrès islamique mondial

Publié le 10 août 2007 Lecture : 6 minutes.

Quelle sera la place du Moyen-Orient dans le monde de demain ? Sa situation actuelle n’est guère enviable. Cela fait des décennies qu’il ne produit plus d’élites à même de l’éclairer, d’apporter des solutions à ses problèmes et de le sortir du sous-développement. Aujourd’hui, sunnites et chiites s’entretuent en Irak et se regardent en chiens de faïence au Liban. Les factions palestiniennes s’entredéchirent malgré l’accord de La Mecque. Les Kurdes, encouragés par des puissances étrangères, commettent des actes terroristes en Turquie. Partout dans le monde musulman, les salafistes vouent une haine farouche aux laïcs à cause de leurs positions sur le voile ou leur lecture de certains versets du Coran.

Pendant ce temps, Israël occupe des terres arabes, les États-Unis occupent l’Irak – après avoir installé des bases militaires dans le Golfe – et les forces de l’Otan occupent l’Afghanistan. La marche conquérante de l’Occident ne s’arrête pas là. Ses médias orchestrent une campagne virulente contre l’Iran, alimentée par des positions américaines et européennes figées, elles-mêmes soutenues par des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU. Pourtant, les traités internationaux autorisent tout pays à utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. L’Iran est d’autant plus attaché à ce droit que son pétrole n’est pas inépuisable. Et affirme que sa porte est ouverte aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il importe qu’elle le reste constamment, pour que nul ne mette en doute les bonnes intentions de Téhéran.
Ajoutons à ces épreuves le sentiment d’aversion croissant de l’Occident à l’égard des musulmans et de l’islam au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
Tel est le lot du Moyen-Orient aujourd’hui. Que lui réservent les prochaines décennies ? Je ne vois que deux hypothèses.
La première est la persistance des divisions entre les États et entre les peuples, au nom de rivalités personnelles, d’intérêts nationaux étroits, ou d’inébranlables considérations religieuses ou ethniques. Autant de pommes de discorde bien futiles au regard de l’occupation étrangère et de la vague impérialiste qui menace de faire revenir le Moyen-Orient au temps du colonialisme.
Dans cette hypothèse, les élites demeurent sans réaction, comme frappées de léthargie. Elles sont incapables de réfléchir sur les meilleurs moyens de faire face à l’assaut américain, baptisé « guerre contre le terrorisme ». Elles ne savent pas comment libérer leur pays de l’occupation étrangère. Mais elles sont quand même conscientes qu’il est vain d’attendre des États-Unis ou de l’Europe une action sérieuse obligeant Israël à prendre le chemin de la paix avec les Arabes. L’État hébreu s’est habitué depuis soixante ans à vivre dans un voisinage hostile. Cela ne le dérange pas beaucoup ni n’entrave sa croissance économique, alimentée par le soutien financier des États-Unis et de l’Europe. En 2006, Israël, qui compte moins de 8 millions d’habitants, a obtenu 12 milliards d’euros d’investissements directs étrangers (IDE). La même année, les IDE au Maroc et en Tunisie n’ont pas dépassé respectivement 5 milliards et 4 milliards d’euros, essentiellement en provenance des pays du Golfe, alors que les IDE en Israël étaient américains et européens.
Par ailleurs, les États-Unis sont décidés à maintenir leurs troupes en Irak, dans le Golfe et en Afghanistan, même au prix de pertes quotidiennes en vies humaines. Leur présence militaire dans cette région leur permettra de garantir à leur pays un approvisionnement régulier en pétrole, mais aussi de freiner l’avancée de la Chine de manière à rester les maîtres du monde.
Un Moyen-Orient occupé et dans un état de décomposition avancée n’est pas en mesure de fixer ses relations avec l’Union européenne. Celles-ci lui sont dictées par l’UE aujourd’hui comme elles le seront par le partenariat euro-américain demain.

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La seconde hypothèse relative à l’avenir du Moyen-Orient relève plus du rêve que d’une prospective réaliste. Elle concerne en fait une vaste région baptisée par les États-Unis « le Grand Moyen-Orient » et qui s’étend de la Mauritanie à l’Afghanistan. Les peuples de cet ensemble partagent des caractéristiques culturelles et des considérations affectives qui les rassemblent. De plus, chaque grande puissance le considère comme un tout indivisible et adopte avec lui une seule et même politique.
Cette seconde hypothèse implique que les élites de la région se rendent compte que les efforts de leurs gouvernements, aussi sérieux et éclairés soient-ils, isolés ou groupés, en l’absence de groupements régionaux conséquents, ne sont pas et ne seront pas suffisants pour résoudre les différents problèmes nationaux et contrecarrer les visées étrangères. Car ces gouvernements sont prisonniers d’accords internationaux d’une part et dépendent du soutien étranger en matière de sécurité ou de développement d’autre part. Or l’Occident ne fournit son aide qu’avec parcimonie. Il ne souhaite pas voir les pays musulmans atteindre un niveau leur permettant de se passer de lui, ce qui réduirait son influence et affaiblirait son pouvoir.

Ayant compris qu’il fallait désormais s’appuyer sur les énergies émanant de la région même, les élites, prenant la mesure de leur rôle historique, pourraient faire surgir de leur sein une force supplémentaire, qui agirait parallèlement aux gouvernements sans en dépendre. Cette force pourrait prendre la forme d’une organisation non gouvernementale composée des personnalités musulmanes les plus en vue dans le monde et issues de tous les secteurs – religion, pensée, science et politique. Cette ONG internationale serait en quelque sorte la conscience de la Oumma. Elle aurait pour mission de défendre les causes des musulmans, de veiller à la sauvegarde de leur dignité partout dans le monde et de donner de l’islam une image apaisée et sereine. Son action serait guidée par le respect des cinq principes suivants :
– Rassembler tous les membres de la Oumma sans exclusive : sunnites et chiites, modernistes et salafistes, modérés et radicaux. Quiconque prononce la chahada (profession de foi) et se revendique comme appartenant à la Oumma doit être considéré comme un musulman à part entière. Dieu n’a-t-il pas dit à son Messager : « Ton Seigneur est seul à savoir qui de son chemin s’égare et qui bien se guide » ?
– Adopter des positions modérées sans toutefois trahir les causes des musulmans.
– Défendre le droit des peuples à résister à l’occupant avec tous les moyens disponibles, mais sans attenter à la vie de civils innocents.
– Prôner l’amitié et la solidarité entre les peuples, uvrer en faveur du dialogue et du respect entre les religions, contribuer à l’instauration de rapports de coopération véritable entre États, principalement les voisins du monde musulman, mais aussi l’Union européenne, la Russie, la Chine et l’Inde.
– Ne pas s’immiscer dans les affaires internes des pays musulmans, tout en défendant les droits culturels des minorités.
Pour sensibiliser l’opinion publique internationale aux grandes causes musulmanes et faire échec à la propagande quotidienne des médias pro-israéliens, il conviendra de créer une grande agence d’information islamique non gouvernementale dotée de bureaux et de correspondants permanents partout dans le monde afin de couvrir l’actualité internationale. Elle sera multilingue et pourra ainsi mettre le fruit de son travail à la disposition des autres organes de presse.
Mais ce projet ne sera viable et crédible qu’à deux conditions :
– l’implication de personnalités de grande envergure et indépendantes, telles que Mahathir Mohamad, ancien chef du gouvernement de Malaisie, Hachemi Rafsandjani, ancien président de la République islamique d’Iran, le prince jordanien Hassan, le Bengali Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix, ou Béchir Ben Yahmed, président du groupe de presse Jeune Afrique ;
– le soutien financier des grandes fortunes musulmanes, heureusement fort nombreuses. Le Congrès juif mondial n’a-t-il pas été financé dès sa création par de riches personnalités juives ?

De la tribune de l’Association des études internationales de Tunis, nous appelons ces personnalités, et d’autres issues de la grande élite musulmane, et celles auxquelles Dieu a prodigué ses richesses, de joindre leurs efforts en vue de la création d’un Congrès islamique mondial. Nous concrétiserions ainsi notre rêve : faire sortir définitivement le monde musulman d’une ère d’humiliation et d’avilissement. Et donner aux générations montantes un motif de joie et d’espoir. ¦

*Ancien secrétaire d’État tunisien.

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