Pourquoi Poutine est en colère

Publié le 10 août 2007 Lecture : 3 minutes.

A priori, on peut s’étonner de voir les Russes, et Vladimir Poutine en premier lieu, se crisper à ce point contre le projet américain d’installation de radars et de missiles antimissiles en Europe de l’Est. Car des radars, par définition, ne peuvent tuer personne En outre, les lieux d’implantation envisagés (la République tchèque et, peut-être, la Hongrie) prouvent clairement que leur seul rôle serait de suivre la trajectoire d’éventuels missiles balistiques en provenance du Moyen-Orient1. Quant aux missiles dont l’installation est prévue en Pologne, ils n’ont pas de têtes explosives et ne sont destinés qu’à disperser des minibilles devant les missiles assaillants et à les détruire par énergie cinétique. Pas de quoi, semble-t-il, fouetter un chat ! D’autant que, dans le passé, les Soviétiques, puis les Russes, ont souvent toléré des projets beaucoup plus ambitieux et, surtout, beaucoup plus clairement orientés contre leurs propres missiles. Pourtant, à mieux y réfléchir, l’inquiétude de Poutine se comprend.

Bouclier antimissile : arme défensive ou offensive ? Depuis la nuit des temps, le bouclier est l’arme défensive par excellence. Les Américains ne se privent d’ailleurs pas de répéter que leur projet de « défense » antimissile ne vise qu’à protéger leurs villes contre d’éventuelles agressions d’« États voyous » qui auraient accédé à l’arme atomique. Et pourtant
Pourquoi les faucons américains tiennent-ils tant à ce bouclier ? Redoutent-ils vraiment qu’un État comme l’Iran lance une attaque nucléaire contre eux ? Allons donc ! Aucun État, aussi excité soit-il, ne prendrait un tel risque, sachant fort bien que la riposte américaine serait écrasante – au sens propre du terme.
La vertu première d’un arsenal nucléaire est de dissuader tout agresseur potentiel de lancer une attaque de ce type contre un pays capable de se venger au même niveau. Le nucléaire dissuade du nucléaire. L’arsenal américain interdit aux Iraniens d’envisager une attaque nucléaire contre les États-Unis, mais, inversement, d’éventuelles armes nucléaires stratégiques iraniennes décourageraient une attaque nucléaire américaine. Dans tous les cas ? Non. La réciprocité de la dissuasion s’effondre si l’un des protagonistes a la possibilité de détruire les armes nucléaires de l’autre avant qu’elles aient atteint leurs cibles. Autrement dit, s’il est capable d’intercepter les missiles balistiques de l’adversaire. Un bouclier antimissile efficace permet, en toute sérénité, de déclencher une guerre nucléaire contre un autre pays nucléaire – ne serait-ce qu’à titre « préventif ». Ce fut, on s’en souvient, le genre d’argument utilisé avant la guerre d’Irak. Et c’est ce que les néoconservateurs américains s’efforcent de préserver. Ils veulent un bouclier pour pouvoir attaquer où ils le veulent, quand ils le veulent. Certains ne s’en cachent même pas ! En ce sens, il est permis d’affirmer qu’un bouclier est aujourd’hui une arme offensive.

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Poutine sait fort bien que son propre arsenal nucléaire n’est pas en mesure de dissuader les Américains de se lancer dans des entreprises aventureuses. Il ne peut pas dire : « Si vous attaquez l’Iran, je lancerai mes bombes nucléaires contre vos villes. » Un tel discours n’aurait aucune crédibilité en raison de la vulnérabilité des villes russes.
Pourtant, le président russe n’a aucune envie de laisser les Américains exercer durablement leur suprématie militaire et économique sur l’ensemble de la planète. Alors, il s’oppose au bouclier américain en Europe de l’Est, mais, en gage de bonne volonté, pour montrer qu’il est disposé à prendre en compte le besoin de sécurité des États-Unis, il a proposé au président Bush de mettre à sa disposition le radar de Garbala, en Azerbaïdjan, idéalement situé pour suivre le « décollage » d’un éventuel missile balistique iranien. Les forces russes ont quitté l’Azerbaïdjan en 1993, mais les autorités de Bakou louent l’emplacement du radar à Moscou, qui l’utilise à sa guise. Bush a refusé la proposition.
Invité dans la résidence familiale des Bush, Poutine a renouvelé sa proposition, en y ajoutant de nouveaux dispositifs de surveillance. Nouveau refus, qui montre bien que les faucons de l’administration ne veulent à aucun prix dépendre des Russes pour intercepter d’éventuels missiles iraniens. Pour pouvoir mener, en toute impunité, une guerre nucléaire préventive, ils veulent une défense antimissile « sans impasse ». Avec l’accord des Tchèques et des Polonais, ils l’auront bientôt. Sauf si, comme on peut l’espérer, les démocrates revenus au pouvoir abandonnent ce projet horriblement coûteux. Et terriblement dangereux. n

1. Pour s’en convaincre, il suffit de constater sur un globe terrestre qu’entre l’Iran et les États-Unis, la route directe obligatoirement suivie par les missiles balistiques passe effectivement au-dessus de l’Europe orientale.
*Président du Collège des experts du Haut Comité français pour la défense civile.

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