Pèlerinage à Diego
S’il est un lieu où le passé colonial nourrit encore une certaine nostalgie, c’est bien Diego-Suarez. De la rue Colbert à la place Joffre, de la montagne d’Ambre à la baie des Français, la ville a particulièrement bien résisté à la « malgachisation », la politique de promotion de la langue nationale menée à partir de 1975.
Fréquenté dès le Xe siècle par des commerçants arabes venus d’Oman, du Yémen et de Somalie, l’extrême nord de Madagascar est « découvert » en 1500 par une escadre portugaise placée sous le commandement du capitaine Diego Diaz. Six ans plus tard, l’amiral Hernan Suarez entreprend la reconnaissance des lieux. Si l’association de leurs deux noms détermine l’appellation du site, ce sont pourtant des flibustiers qui occuperont durablement les lieux.
Au XVIIe siècle, Misson, pirate marseillais associé à un prêtre défroqué, le père Carracioli, bâtit, en 1683, dans la baie de Diego-Suarez, Libertalia, une cité ouverte à tous, sans distinction de race ou de nationalité. Plus qu’un simple asile pour flibustiers, Misson veut en faire une société idéale, une utopie politique qui préfigure les phalanstères du XIXe siècle. De cette république humaniste et éphémère, il ne reste rien. À tel point qu’on peut raisonnablement douter de son existence. Mais le mythe perdure.
Le site de Diego est exceptionnel et sa valeur stratégique attise les convoitises. Dans le sillage des Portugais, les Hollandais, les Anglais puis les Français prennent pied dans le nord de Madagascar. Ces derniers s’y établissent en 1885. En 1899, la ville passe sous le commandement du général Joffre, qui renforce l’implantation militaire française. Celle-ci ne prendra fin qu’en 1975 avec le départ de la Légion étrangère. Madagascar entre alors de plain-pied dans la révolution socialiste, et les forces étrangères sont priées de vider les lieux.
Plus de trente ans après, la ville, qui compte quelque 100 000 habitants, a diversifié ses activités : pêche au thon, production de sel, chantiers navals Sans oublier le tourisme, activité qui draine une clientèle majoritairement composée de Français. Ce qui contribue à y entretenir une présence importante de ressortissants de l’Hexagone. Beaucoup sont même binationaux. Ils ont conservé leur carte d’identité française lors de l’accession du pays à l’indépendance ou l’ont acquise par le mariage. La proportion d’expatriés fraîchement arrivés progresse également. « Le nombre de Français de souche a triplé depuis cinq ans », estime Sylvain Rolland, le maire de la ville. Certains travaillent sur place depuis des années, notamment dans le secteur de la pêche. D’autres y font fréquemment escale, comme les marins de la Jeanne d’Arc, croiseur français qui sillonne l’océan Indien. Enfin, de nombreux retraités choisissent de s’installer plus ou moins durablement au bord de la baie de Diego. Il est vrai que cette ville indolente, bercée par les rythmes du salegy et baignée par la mer d’Émeraude, invite indéniablement le voyageur à prolonger son séjour.
La présence des Français contribue à faire marcher le commerce, ce qui ne fait qu’accroître la francophilie des habitants de Diego. D’ailleurs, ceux-ci n’ont jamais vraiment adopté le nom malgache de leur ville, Antsiranana. Les édiles ont même décidé d’entamer les démarches nécessaires pour officialiser le retour à l’ancienne appellation. Et ils comptent bien sur la jurisprudence pour obtenir gain de cause. L’île de Sainte-Marie (autrefois baptisée Nosy Boraha) a bien reçu l’aval des autorités pour reprendre son ancien nom, alors pourquoi pas eux ?
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