Noir sur blanc

Les livres évoquant la place des Africains et des Antillais dans la société française se sont multipliés à l’occasion de la dernière élection présidentielle. Phénomène éditorial ou simples opérations de marketing politique ?

Publié le 10 août 2007 Lecture : 4 minutes.

Les hommes politiques ont toujours quelque chose à dire. Chacun y va de sa plume. Qui écrit un essai, qui des Mémoires. La nouvelle secrétaire d’État chargée des Droits de l’homme, d’origine sénégalaise, Rama Yade n’échappe pas à la règle. Elle a publié en février dernier Noirs de France. Un moyen de se faire connaître et d’évoquer en pleine période électorale le « rendez-vous manqué entre la République et les Afro-Antillais ». Mais elle n’est pas seule à s’être aventurée sur cette question. Un membre de l’UDF d’origine béninoise, Patrick Lozès, l’a talonnée de près en publiant Nous les Noirs de France, où il raconte son engagement comme président du Conseil représentatif des associations noires (Cran).
Étrange coïncidence. À se demander si l’on n’a pas affaire à un nouveau label commercial (« Noir de France »), un peu à l’image de ceux de l’industrie agroalimentaire (« Vin de France », « Buf de France », etc.). Mais, plus étrange encore, sortis à sept petits jours d’intervalle, ces ouvrages sont, pour ainsi dire, identiques. Ils débutent par le même constat : leurs concitoyens ont du mal à imaginer qu’on puisse être français et noir. Par la même anecdote : interrogés sur leurs origines, l’une répond « de Colombes, des Hauts-de-Seine », l’autre « de Paris », provoquant immanquablement l’étonnement de leur interlocuteur. Rama Yade et Patrick Lozès ont voulu écrire l’histoire des Noirs vivant en France parce « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur », écrivent-ils tous deux. À croire qu’il n’y a qu’un auteur pour ces deux livres.
En mars, un troisième ouvrage leur répond. Il transforme les Noirs de France en Nègres de la République. L’auteur, l’historien Claude Ribbe, est lui-aussi affilié à l’UDF. Il est guadeloupéen et, contrairement à Patrick Lozès et à Rama Yade, il refuse de parler de communauté ou de question noire. Il dénonce leur approche raciale des problèmes et réaffirme l’universel contre le spécifique. Le débat est lancé. Il s’agit de savoir si une expérience sociale commune (le fait d’être victime de discriminations) suffit à forger un groupe. Du côté de la gauche, pas de titre choc. Du moins, pour le moment.
Les ouvrages sur la question noire ne sont pas nouveaux en France. Le paysage éditorial a connu, dès la fin des années 1920, le courant de la Négritude, qui s’est essoufflé dans les années 1960 après les indépendances africaines. Un demi-siècle plus tard, il ne s’agit plus de littérature et, paradoxalement, ces titres semblent inédits. Ils oscillent entre le phénomène éditorial, la stratégie politique et le coup de pub. La question des banlieues et de l’intégration a suscité un effet de mode. Le chanteur-slameur Abd al Malik, le footballeur Lilian Thuram, le styliste Mohamadou Dia ont pris leur plume pour raconter leur réussite. Même la socialiste Safia Otokoré a écrit son Conte de fées républicain. Et les journalistes ont suivi, à leur manière. En 2006, Géraldine Faes et Stephen Smith ont publié Noir et Français ! (éditions du Panama).
« Question noire », esclavage, intégration depuis trois ans, on assiste à une multiplication des ouvrages sociohistoriques ou des livres-témoignages sur ces thèmes. L’émergence au sein de la société française du passé esclavagiste et colonial de la France, ainsi que la prise de conscience des discriminations que subissent les personnes issues de l’immigration, surtout depuis 2005 (voir encadré), ont favorisé le traitement de thèmes peu abordés auparavant. En 2004, Gaston Kelman a signé Je suis noir et je n’aime pas le manioc chez Max Milo. Le titre est délibérément provocateur et cela a donné lieu à polémique. Dans une verve acide et non sans humour, le Bourguignon d’origine camerounaise dénonce le racisme, la condescendance des Blancs et la victimisation exagérée des Noirs. Tout est réuni pour que le pamphlet se vende comme des petits pains. Quelque 250 000 exemplaires écoulés, selon l’éditeur, entre 2004 et 2007. Ce qui est remarquable pour un essai.
De quoi refaire le coup un an plus tard. Le temps pour Kelman de répondre aux accusations et aux insultes de tous bords. Des Blancs qui continuent de croire que la France est à leur image, c’est-à-dire blanche. Des Noirs qui voient en lui un « vendu aux Occidentaux », un Bounty (noir dehors et blanc dedans). Il avait d’ailleurs envisagé d’intituler son livre du nom de cette barre chocolatée. Mais son éditeur a préféré un libellé plus neutre : Au delà du Noir et du Blanc. Cela ne l’a pas empêché d’en vendre 30 000 exemplaires. Du pain bénit pour les éditeurs. Le Serpent à plumes a connu le même succès en publiant Noirs dans les camps nazis de Serge Bilé (voir J.A. n° 2430). 150 000 exemplaires vendus depuis 2005.
Le cru 2007, mis à part Les Nègres de la République de Ribbe, est plutôt consensuel et policé. Pas sûr qu’il remporte le même succès. Danger public, l’éditeur de Lozès, a limité le premier tirage à 3 000 exemplaires. Même si un second tirage est prévu, le livre-programme du Cran ne démarre pas en trombe. Publiés en pleine période préélectorale pour mettre la « question noire » au cur de la campagne présidentielle, ces ouvrages ont fait un flop. Il leur a manqué un ingrédient essentiel : le piment de la provocation et de la polémique. Et ils n’ont pas rencontré leur public parce que leurs auteurs appartiennent à des familles politiques qui ont peu d’influence sur les suffrages des populations issues de l’immigration, qui votent plutôt à gauche (voir J.A. n° 2411).
Néanmoins, l’apparition de ces nouvelles thématiques éditoriales révèle que la France prend, timidement, conscience du problème de la place des Noirs (Antillais, Africains, « issus de l’immigration ») en son sein. Mais les ventes, à part quelques cas (voir éclairage ci-dessous), restent faibles, parce que cette même France n’est pas encore prête à en discuter sérieusement et à changer la donne.

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