Les 100 jours de Sarkozy

Trois mois après son élection, le bilan politique du nouveau président est indiscutablement positif. S’il parvient à gagner un point de croissance économique, tout deviendra possible. Sinon

Publié le 10 août 2007 Lecture : 9 minutes.

Cent jours après son élection, qui peut douter que Nicolas Sarkozy a tenu la sempiternelle promesse, vainement ressassée, à droite comme à gauche, depuis trente ans, de « gouverner autrement » ? Et mis fin à l’hypocrisie du fameux « changement dans la continuité », qui n’a jamais été que la continuité de l’immobilisme dans un monde qui évoluait plus vite que la capacité de la France à s’adapter ?
C’est la seconde victoire de la rupture, devenue « tranquille » dans les derniers mois de la campagne pour amadouer les critiques sur ses effets présumés « anxiogènes ». Depuis l’élection, elle est spectaculaire, au sens littéral du mot : elle assure le spectacle quotidien d’une présidence où rien n’est plus comme avant, dans le style comme dans les méthodes et jusque dans les profondeurs de l’opinion. Les abstentions du second tour de la présidentielle traduisaient bien un désir de rééquilibrage et non une soudaine indifférence. Les Français ont repris goût à la politique. Le feuilleton Sarko continue de faire vendre les journaux, d’alimenter les conversations et d’intéresser les médias étrangers.

La gauche ironise sur le « bougisme » du nouveau chef de l’État. Et c’est vrai que les Français, ils le disent dans les sondages, ont enfin l’impression que « ça bouge ». François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, brocarde pour sa part la politique du « coup d’éclat permanent », formule si bien trouvée que Le Monde en fait sa une. Mais Sarkozy n’en a cure : il est le meilleur exemple de sa volonté de libérer les énergies – à commencer par la sienne, depuis quatre ans qu’il piaffe aux portes du pouvoir.
Il démarre chaque journée sur les chapeaux de roue, bien décidé à « continuer à la même vitesse et sur le même rythme ». Lui reproche-t-on d’être « agité » ? Il répond, plagiant Les Tontons flingueurs, le célèbre film des années 1960 : « Je m’énerve pas, j’explique. » Une formule significative revient dans les commentaires de ses porte-parole, pour justifier son interventionnisme : « Ça vaut le coup. » Et, en effet, Sarkozy fait des coups avec les événements, et quand il n’y a pas d’événements, il les crée en faisant des coups, tantôt s’invitant à une réunion des ministres européens des Finances ou sur une étape du Tour de France, tantôt recevant tout à trac à l’Élysée les chefs des syndicats d’étudiants déçus par leur rencontre avec la ministre Valérie Pécresse.
Tout au long de sa campagne, il avait prévenu qu’il serait un président qui gouverne. Il ne tient pas en place parce qu’il occupe toute la place, imposant avec délectation son omniprésence sur tous les sujets, tous les terrains, dans tous les rôles. Pour ses cent premiers jours au pouvoir, son site Internet recense pas moins de 149 « activités », dont une bonne dizaine de voyages à l’étranger et de déplacements en province.
Là encore, il met fin à une équivoque qui remonte à la fondation du régime. Sous de Gaulle, déjà, rien ne se décidait sans l’accord du chef de l’État ou celui des « conseillers » de son cabinet élyséen. On se rappelle, en 1968, le succès jubilatoire du dessin de Faizant le représentant en survêtement, partant pour les jeux Olympiques d’hiver, à Grenoble, où les athlètes français enchaînaient les déboires. « Décidément, dans ce pays, il faut que je m’occupe de tout ! » grommelait la légende.
En 1965, après son élection au suffrage universel direct, son ministre de la Justice, Jean Foyer, lui proposa d’en tirer les leçons en modifiant à son profit le fameux article 20 de la Constitution : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » De Gaulle s’y opposa, confirmant au passage son étonnante prémonition de l’Histoire : « Gardons-le, il peut toujours servir. » Il avait prévu ce qu’on appellera par la suite la « cohabitation », non pour lui-même, car il aurait en ce cas hautainement pris la porte, mais pour assurer en souplesse à ses successeurs les conditions d’un nouvel équilibre des pouvoirs.

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Fidèle au « pragmatisme » qu’il revendique en toutes choses, Sarkozy estime au contraire que, l’instauration du quinquennat écartant en principe tout risque de cohabitation, il est temps de mettre les textes en accord avec les pratiques. C’est tout le pari, l’imprévisible pari de son projet de réforme constitutionnelle. Car que se passera-t-il si la Commission des sages qui y travaille propose de sanctionner par un vote de confiance l’exposé de sa politique, qu’il souhaite présenter au moins une fois par an devant le Parlement ? Le chef de l’État deviendra alors, en place du Premier ministre, seul responsable des actes du pouvoir devant la représentation nationale ; et la Ve République glissera insidieusement vers un système présidentiel à l’américaine. Sarkozy affirme qu’il ne le veut pas, mais pourra-t-il colmater la brèche qu’il aura lui-même ouverte ?
En attendant cette issue incertaine, les deux tiers des Français approuvent, comme en témoignent les sondages, la façon dont il exerce ses fonctions. Même la gauche résiste difficilement aux effets de la « rupture » sarkoziste : dans ses rangs, les satisfaits (46 %) sont presque aussi nombreux ?que les mécontents (54 %). Le nouveau président a réalisé l’ouverture au-delà de ce qu’on pouvait en attendre, empruntant chaque fois à l’opposition ses talents les plus emblématiques et les plus populaires. « Ce n’est plus de l’ouverture, c’est une OPA », raille un dessin dans Le Monde.
Dénoncée par le PS comme une basse entreprise de débauchages individuels, elle s’apparente en réalité à la tentative avortée de François Bayrou de dépasser les clivages périmés d’une France coupée en deux. Elle va – et elle ira, car elle ne s’arrêtera pas en chemin – plus loin à gauche que Michel Rocard n’avait pu le faire, en 1988, en direction du centre. Il en avait été empêché par François Mitterrand, pour qui l’ouverture, dont il n’entendait pas laisser le bénéfice à son Premier ministre, était surtout un moyen de se libérer et de se dédouaner de son alliance avec les communistes.

Pour Sarkozy, elle est l’esquisse d’une « grande majorité indispensable pour faire de grandes réformes ». Il se défend vertueusement de la conduire « en raison de contingences intérieures », mais ne peut s’empêcher d’ajouter qu’elle aura « évidemment une incidence sur le PS ». Il revient à ce dernier de montrer que ladite « incidence » pourrait ne pas être forcément négative si elle facilitait, chez les éléphants du PS, la relève des quelques mâles dominants plus ou moins « sarkozisés » par les éléphanteaux de la rénovation.
En étant un président qui gouverne, Sarkozy se prive des commodités d’un Premier ministre fusible destiné à sauter en cas de crise. Il s’oblige du même coup à être jugé en permanence sur ses actes. Et sur leurs résultats. Dresser son premier bilan revient donc à s’interroger sur sa promesse capitale, dont découlent toutes les autres : « Je ferai ce que j’ai dit. » On a vu quelle envergure il a donné à l’ouverture. On sait aussi que la constitution d’un gouvernement à la fois restreint et respectueux de la parité hommes/femmes est une performance sans précédent. Mais voilà le plus grand changement : élu par le peuple de droite, il a commencé d’appliquer un programme de droite, alors que ses prédécesseurs, une fois parvenus au pouvoir, n’avaient rien eu de plus pressé que de faire la politique de leurs adversaires, dans l’illusion de les priver d’une revanche.

Il s’était promis de moderniser la fonction présidentielle. Et comme, chez lui, c’est l’homme qui fait le style, la métamorphose est saisissante. L’image, épisodiquement entretenue par de grands discours, d’un président porteur de grands desseins est renvoyée aux oubliettes. Lui se targue de ne pas être un intellectuel. « Ni théoricien ni idéologue, insiste-t-il, mais quelqu’un de concret. » Une revendication qui ne manque pas d’audace dans un monde politique dominé par l’élitisme énarchique et le prestige des grands concours. Fidèle à la stratégie de proximité rodée pendant sa campagne, il se présente en Français comme les autres, lance à la foule de ses invités du 14 juillet « vous êtes ici chez vous », les invite au concert du soir organisé avec le chanteur Michel Polnareff, avant de leur confier, comme à des cousins de passage, qu’il trouve Cécilia, sa femme, et Judith, sa belle-fille, « très belles toutes les deux ». On imagine difficilement de tel propos dans la bouche de ses prédécesseurs !
Avec une allégresse communicative, il malmène les usages et bouscule les protocoles, tutoie ministres et chefs d’État étrangers, dédaigne les accolades républicaines et, quand il retrouve Angela Merkel, la chancelière allemande, c’est peu de dire qu’il l’embrasse : il lui fait un gros bisou, au ravissement des cameramen, qui ne le quittent plus d’une semelle.
Son Premier ministre a réussi à faire voter par le Parlement, dans les délais prévus et sans notable modification, quatre projets de loi emblématiques de la rupture : le « paquet » fiscal, le renforcement des peines contre les délinquants récidivistes, l’autonomie des universités et le service minimum dans les transports publics en cas de grève. Malgré le scepticisme de nombreux économistes quant à l’efficacité des mesures financières destinées à relancer l’emploi, le pouvoir d’achat et l’activité générale Malgré, aussi, les réserves du groupe UMP à l’Assemblée, où beaucoup ne cachent pas leur irritation à l’égard de la politique d’ouverture, qui les prive de places déjà raréfiées
La majorité s’étant gardée de tout triomphalisme, l’opposition n’a pas fait d’obstruction, tout en prédisant avec Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste, que « l’état de grâce médiatique » du chef de l’État ne passerait pas la trêve des vacances. C’est la grande interrogation, inlassablement posée par les instituts de sondage en dépit de réponses non moins obstinément négatives : Sarkozy n’en fait-il pas trop ? Son activisme ne finira-t-il pas par lasser ? L’intéressé pourrait répondre par cette citation de Rudyard Kipling : « Il faut que le chef en fasse trop pour que les autres en fassent assez. »
La télévision a-t-elle bouleversé ce difficile équilibre par son redoutable effet multiplicateur ? Plus intéressantes, à cet égard, que les résultats des sondages sont les motivations des sondés, qui se recoupent d’une enquête à l’autre. Trois d’entre elles donnent à penser que l’état de grâce du chef de l’État n’est pas seulement « médiatique » :

1. La hausse inusitée de sa cote est due à un net regain de popularité chez les sympathisants socialistes et communistes, les moins de 35 ans et, de façon générale, les couches populaires.

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2. Sarkozy recueille les bénéfices de l’ouverture, dont Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn sont, avec lui, les grands gagnants.

3. Si le score de François Fillon repart lui aussi à la hausse, le fait qu’il reste de 10 points inférieur à celui du président prouve a contrario que la Premier ministre n’est crédité ni de l’ouverture ni des initiatives diplomatiques, si controversées soient-elles, de ce dernier.

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Valéry Giscard d’Estaing estimait naguère que la période de cent jours suivant une élection présidentielle marquait la limite au-delà de laquelle il devenait de plus en plus difficile pour le nouveau pouvoir de gouverner. Et impossible de réformer. Pour Sarkozy, au contraire, elle n’est que le début d’un parcours rigoureusement programmé de cinq ans, qui ne doit connaître aucune relâche.
En dépit de quelques rebuffades à Bruxelles, où ses partenaires s’irritent de sa propension à « jouer perso » ; des questions que posent inévitablement les troublants arrangements de Tripoli ; et, surtout, d’une première reculade sur le plus ferme et le plus nécessaire de ses engagements – la réduction des effectifs du service public -, son bilan politique est jusqu’ici prometteur. Mais c’est sur l’économie que Nicolas Sarkozy sera jugé, sur ce fameux point supplémentaire de croissance encore insaisissable, qui conditionne le succès ou l’échec de tous ses paris et défis. Avec ce petit 1 % fatidique, tout deviendra possible, pour reprendre le slogan de sa campagne. Sans lui, tout sera compromis.

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