Le bonheur est dans la plage

Plus de 12 millions de baigneurs enregistrés en juillet sur les 1 200 kilomètres de côte du pays. Avec l’amélioration des conditions sécuritaires, les touristes, membres de la communauté émigrée pour la plupart, s’en donnent à cur joie.

Publié le 10 août 2007 Lecture : 5 minutes.

«Ils nous ont foutu en l’air la saison », se lamentaient en chur les commerçants des établissements balnéaires. À deux reprises, le 11 avril à Alger et le 11 juillet à Lakhdaria (à 70 kilomètres à l’est de la capitale), les kamikazes d’al-Qaïda avaient fait craindre le pire pour la saison estivale. Mais les inquiétudes ont vite été dissipées. Les dessertes algériennes des compagnies aériennes affichent complet. À titre d’exemple, la ligne Alger-Montréal, inaugurée le 15 juin, est « surbookée » jusqu’au 10 octobre. Les taux d’occupation des établissements hôteliers, toutes catégories, frisent 100 % et le moindre mètre carré de sable blond est pris d’assaut dès les premières lueurs du jour.
Ce sont donc les 1 200 kilomètres de côte qui accueillent la quasi-totalité des touristes, constitués essentiellement de membres de la communauté algérienne émigrée et des populations de l’intérieur du pays, fuyant la canicule (40 °C en moyenne) pour un peu de fraîcheur. Plus de 12 millions de baigneurs ont été recensés pour le seul mois de juillet 2007, équitablement répartis depuis le féerique parc d’el-Kala (à la frontière tunisienne) jusqu’aux Andalouses (complexe balnéaire à l’ouest d’Oran) en passant par la corniche Jijelienne et ses pains de sucre.

La rivalité entre les différentes régions pousse les élus et les offices de tourisme locaux à redoubler d’imagination pour attirer l’estivant. L’argument le plus convaincant ? La sécurité. L’acte terroriste est perçu comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien. En revanche, la délinquance et la criminalité sont fuies comme la peste. « La plus belle des plages sera désertée si elle a la réputation d’être un nid de voleurs de portables », assure un plagiste de la région de Tipaza (non loin d’Alger).
En plus des dispositifs mis en place par les services de sécurité (« Plan Delphine » pour la gendarmerie et « Dispositif été » pour la police, près de 20 000 éléments cumulés), les plagistes recrutent des jeunes pour garantir la protection des baigneurs et de leurs biens. Les sites réputés les plus sûrs sont les plus chers. Ainsi, à la Corne d’Or, complexe touristique de Tipaza, la location mensuelle d’un bungalow coûte-t-elle plus de 320 000 dinars (3 500 euros). « Même un travailleur émigré ne peut se permettre un séjour de ce type, assure Salim, cadre dans une banque lilloise qui passe ses vacances dans son pays. J’ai dû me résigner à louer chez l’habitant. »
Les propriétaires dans les villes côtières ont découvert là un véritable filon. Cette activité immobilière est encore informelle et les locations se font le plus souvent de gré à gré, donc au nez et à la barbe du fisc. Mais, pour l’heure, tout le monde semble y trouver son compte. Le prix d’une location est décuplé par rapport au marché (200 000 dinars pour un estivant contre 20 000 le reste de l’année).
Cependant, l’inflation estivale ne concerne que le logement. Les autres produits restent accessibles. Les agences de location de voitures n’enregistrent pour leur part aucune hausse d’activité. La baisse que provoquent les congés des entreprises est à peine compensée par la clientèle estivale, composée essentiellement des émigrés venus par voie aérienne. Car les plus nombreux viennent par bateau afin de profiter de leur véhicule durant les vacances.
Si les membres de la communauté algérienne à l’étranger envahissent les sites balnéaires du pays (800 000 personnes attendues entre le 1er juillet et 31 août 2007), leurs compatriotes préférant les plages tunisiennes se comptent par centaines de milliers. Les dix points de passage entre les deux pays ont enregistré, au 31 juillet, plus de 600 000 voyageurs. La majorité des touristes algériens en Tunisie choisissent la station balnéaire de Hammamet (à 60 kilomètres de Tunis), où la population locale leur réserve un accueil chaleureux. Les vacanciers algériens boudent les hôtels pour s’installer chez l’habitant.

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Quant à ceux qui préfèrent les plages marocaines, ils n’ont d’autre choix que la voie aérienne, les frontières terrestres entre les deux pays étant fermées. Mais cela ne décourage pas les têtus. Passer une journée à Saïdiya et sa plage est possible. Il suffit de s’en remettre à un passeur pour « griller » la frontière. Prix : 100 dirhams marocains ou 1 000 dinars algériens par « passager ». Pas question, cependant, de s’y rendre en voiture, Trig el-Wahda, « la route de l’unité » (l’ironie n’a pas de limite), est trop étroite.
Mais il n’y a pas que la côte. L’intérieur de l’Algérie reçoit, lui aussi, son lot de vacanciers. Afin de maintenir un semblant d’activité, les villes des Hauts Plateaux multiplient les initiatives pour séduire le visiteur : festivals à thème, compétitions sportives (certaines disciplines des jeux Africains organisés à Alger du 10 au 23 juillet ont été délocalisées à l’intérieur du pays au grand bonheur des populations), mise en valeur des ressources touristiques locales. Ruines romaines à Sétif ou Batna, vestiges puniques (Siga, capitale de Syphax, à Ain Temouchent), maoussem (« saisons ») spirituels et religieux, à la gloire des saints locaux. Fantasias, barouds et couscous à profusion.
Autres activités suggérées aux estivants : les circuits pédestres dans les forêts. Ce nouveau produit des offices de tourisme locaux a été rendu possible par l’amélioration des conditions sécuritaires enregistrée ces derniers mois. « On ne peut parler d’un véritable engouement, reconnaît Samir, tour-opérateur, mais les réservations sont suffisamment nombreuses pour maintenir l’activité. » Une bénédiction pour les transporteurs, les restaurateurs et les commerçants spécialisés dans les produits de l’artisanat.
L’afflux de populations dans les villes de l’intérieur n’est pas sans conséquence. La canicule de ces dernières semaines a provoqué une sensible augmentation de la consommation électrique. L’amélioration du pouvoir d’achat (plus de 66,2 % depuis le 1er janvier 2000) a permis aux habitants des grands centres urbains de se doter de climatiseurs, devenus produits de première nécessité face aux grandes chaleurs. Le 22 juillet 2007 à 21 h 45, l’Algérie a enregistré un appel de puissance électrique de 5 809 mégawatts. Le précédent record remontait au 31 juillet 2006, avec 5 485 mégawatts, soit ?une hausse de 6,5 %.
Comme chaque année, la classe politique tente d’exister en sortant du farniente national, habituel à pareille époque. Les partis font semblant de s’activer en organisant des universités d’été qui n’intéressent que les militants conviés et quelques conférenciers en mal de per diem. Les syndicats préparent la rentrée sociale en bombant le torse : « Les fonctionnaires auront une bonne nouvelle dès septembre », prophétise Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). « C’est de bonne guerre », ironise-t-on dans l’entourage du Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, à la veille de l’ouverture de négociations salariales entre les syndicats, le patronat et le gouvernement prévues justement en septembre.

Contrairement aux années précédentes, le président Abdelaziz Bouteflika a accordé quelques jours de congé à ses ministres : « Treize jours ouvrables et pas un de plus ! » Deux d’entre eux en seront privés : Yazid Zerhouni et Chakib Khelil. Le premier, ministre de l’Intérieur, planche sur l’organisation des élections locales prévues initialement en septembre et reportées, pour cause de ramadan, à novembre 2007. Quant au second, ministre de l’Énergie, il s’occupe en priorité du contentieux gazier avec l’Espagne. Un dossier si compliqué qu’il n’aura assurément pas le temps de se dorer sur le sable de la Costa del Sol.

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