La pauvreté fait de la résistance

À mi-chemin entre l’adoption, en 2000, des Objectifs du millénaire et la date cible de 2015, l’ONU dresse un bilan peu réjouissant.

Publié le 10 août 2007 Lecture : 8 minutes.

L’Organisation des Nations unies (ONU) se livre, chaque année, à l’exercice un peu désespérant qui consiste à faire le point sur le recul de la pauvreté et du mal-développement dans le monde. À partir des Objectifs dits du millénaire pour le développement (OMD) que 189 pays membres ont approuvés solennellement en juillet 2000, elle publie un rapport rédigé par les statisticiens de toutes les organisations internationales et qui prend pour référence l’année 1990.
Le rapport de juillet 2007 était particulièrement attendu puisqu’il se situe à mi-chemin du processus, qui doit parvenir à son but en 2015. Il est dans la droite ligne des précédents : la pauvreté fait de la résistance.
Dans les préfaces de ce rapport, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, et José Antonio Ocampo, son adjoint aux affaires économiques et sociales, parlent de résultats « inégaux » et d’expérience « mitigée ». En effet, des progrès incontestables ont été accomplis, puisque la proportion des personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour est revenue d’un tiers à un cinquième de la population mondiale entre 1990 et 2004. Mais le nombre des personnes très pauvres ne recule plus en Afrique et se stabilise autour de 300 millions, tout comme les inégalités persistent en Amérique latine et s’aggravent même en Asie.
Rappelant les promesses d’aide répétées en 2002 et en 2005, Ban Ki-moon constate « l’absence d’augmentation significative de l’aide publique au développement » depuis 2004, ce qui « rend impossible d’atteindre les OMD, même pour les pays bien gouvernés ». Le rapport est donc un appel au secours, balancé certes, puisque chacun des huit Objectifs est analysé sans catastrophisme, mais pressant, car la pauvreté est un scandale en ce début de XXIe siècle, où la forte croissance économique qui dépasse les 5 % par an devrait aider à son éradication.

Objectif n° 1 : « Réduire de moitié la proportion de la population mondiale qui souffre de l’extrême pauvreté et de la faim »
Le nombre des personnes très pauvres a reculé de 1,25 milliard en 1990 à 980 millions en 2004. Ce succès est surtout le fait du développement accéléré en Asie du Sud-Est et de l’Est, mais les taux de pauvreté ont plus que doublé en Asie occidentale et dans la Communauté des États indépendants comme dans l’Europe du Sud-Est.
En Afrique subsaharienne, la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est passée de 46,8 % en 1990 à 41,1 % en 2004. Cette faible amélioration s’est surtout faite depuis 2000 – le revenu par habitant de sept pays subsahariens a augmenté de 3,5 % par an -, bien que la croissance démographique demeure rapide. Les progrès sont mal répartis. Entre 1990 et 2004, la part de la consommation par le cinquième le plus pauvre de la population a reculé de 4,6 % à 3,9 %.
La proportion des enfants de moins de 5 ans présentant un poids insuffisant a diminué d’un cinquième, notamment grâce à la Chine, qui est en train de faire mieux que les OMD. Ailleurs, l’amélioration est trop lente et le rapport estime qu’en 2015 l’objectif ne sera pas atteint pour 30 millions d’enfants.

la suite après cette publicité

Objectif n° 2 : « Assurer l’éducation primaire pour tous »
Le taux de scolarisation dans les régions en développement a atteint 88 % au cours de l’année scolaire 2004-2005, alors qu’il n’était que de 80 % en 1990-1991. Les deux tiers de cette augmentation ont eu lieu à partir de 1999. Les zones rurales sont les plus défavorisées : un tiers des enfants n’y sont pas scolarisés, alors que cette proportion tombe à 18 % dans les zones urbaines.
L’Afrique subsaharienne, qui a connu une progression considérable (de 54 % à 70 %) de la scolarisation, reste cependant à la traîne avec 30 % des enfants en âge d’aller à l’école qui restent non scolarisés, soit 72 millions d’enfants, dont 57 % sont des filles.
Toujours en Afrique, on constate que les enfants en âge de suivre un cycle secondaire sont plus nombreux en cycle primaire qu’en cycle secondaire. Cette scolarisation tardive est le fait de familles pauvres dont la mère n’a pas été scolarisée.

Objectif n° 3 : « Promouvoir l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes »
La participation féminine à l’emploi non agricole rémunéré a lentement continué d’augmenter. Les progrès sont nets en Asie du Sud, en Asie occidentale et en Océanie. En Afrique du Nord, où la participation des femmes s’est considérablement accrue, seule une personne rémunérée sur cinq est une femme.
En zone rurale, la main-d’uvre féminine est affectée aux travaux agricoles et le plus souvent non rémunérée. À l’échelle mondiale, 60 % de ce que l’on appelle des travailleurs familiaux non rémunérés sont des femmes, ce qui signifie qu’elles n’ont pas accès à la sécurité du travail et à la protection sociale.
En politique, les femmes gagnent du terrain, même si les hommes dominent toujours. En janvier 2007, elles occupaient 17 % des sièges dans les Parlements nationaux contre 13 % en 1990. Le Rwanda demeure le champion dans ce domaine avec un taux de 49 %. Viennent ensuite la Suède (47 %) et le Costa Rica (39 %).
Les États arabes enregistrent des signes encourageants. Pour la première élection législative de l’histoire du Koweït, deux femmes ont été élues en 2006. Aux Émirats arabes unis, les femmes ont remporté 23 % des sièges. À Bahreïn, une femme a été élue députée pour la première fois.
Le bilan est moins favorable au niveau des gouvernants. Six femmes ont accédé à la magistrature suprême de leur pays en 2006 (Chili, Jamaïque, Liberia, République de Corée, Suisse et présidence provisoire d’Israël), mais seulement treize femmes occupaient le poste de chef d’État cette année-là, contre 9 en 2000 et 15 en 1995.

Objectif n° 4 : « Réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans »
En 2005, 10,1 millions d’enfants de moins de 5 ans sont morts, pour la plupart de maladies pouvant être prévenues. Les progrès sont trop lents en Afrique subsaharienne, en Asie et dans la Communauté des États indépendants ; la raison en est l’insuffisance des services sanitaires de base dans les zones rurales. Les améliorations les plus spectaculaires sont le fait des foyers les plus riches, des zones urbaines et des familles où la mère a été scolarisée.
Les vaccinations améliorent spectaculairement l’état de santé des enfants, comme le prouve la diminution de 60 % des décès dus à la rougeole entre 2000 et 2005, notamment en Afrique, où elles ont fait reculer la mortalité de 75 %, après une campagne internationale contre la rougeole qui a concerné 47 pays prioritaires.

Objectif n° 5 : « Améliorer la santé maternelle et réduire de trois quarts le taux de mortalité maternelle »
Chaque année, 500 000 femmes meurent des suites de grossesses ou d’accouchements qui pourraient être soignées efficacement. En Afrique subsaharienne, le risque pour une femme de mourir de ces complications est de 1 sur 16, alors que ce risque n’est que de 1 sur 3 800 dans les pays développés.
Dans toutes les régions, des progrès ont été réalisés dans la mise à disposition d’un service de santé prénatal et dans l’assistance à l’accouchement. Même en Afrique, où l’amélioration est la plus faible, plus des deux tiers des femmes bénéficient de soins prénataux au moins une fois au cours de leur grossesse.
Mais pour que ces soins soient efficaces, les experts recommandent un minimum de quatre visites chez un médecin au cours de la grossesse, ce qui est peu respecté : au Kenya, 86 % des femmes accèdent à un soin prénatal, mais 51 % seulement bénéficient des quatre visites recommandées.
La contraception, qui évite les grossesses non désirées et le recours à l’avortement dans des conditions sanitaires déplorables, a légèrement progressé, passant de 55 % en 1990 à 64 % en 2005. Elle reste très peu utilisée en Afrique subsaharienne, où seulement 21 % des femmes la pratiquent.
Objectif n° 6 : « Stopper la progression du VIH-sida, du paludisme et d’autres maladies »
À la fin de 2006, on estimait à 39 millions le nombre des personnes vivant avec le virus du sida, majoritairement en Afrique subsaharienne, alors qu’on n’en dénombrait que 32,9 millions en 2001. Dans le même laps de temps, le nombre des décès dus au sida a progressé de 2,2 millions à 2,9.
Les femmes sont de plus en plus touchées (48 % des personnes infectées), mais les femmes enceintes ne sont que 11 % à recevoir un traitement évitant la transmission du virus au nouveau-né. À peine 28 % des 7,1 millions de personnes qui ont besoin d’une thérapie antirétrovirale en profitent.
L’épidémie pose aussi un énorme problème social, car le nombre des enfants orphelins d’un ou de deux parents devrait atteindre 20 millions en 2010 (15,2 millions en 2005, dont 80 % en Afrique subsaharienne).
La lutte contre le paludisme ne respecte pas les OMD. Le taux de couverture de 60 % en moustiquaires imprégnées d’insecticide n’a pas été atteint en 2005, notamment en Afrique, où 5 % seulement des enfants de moins de 5 ans bénéficient de cette protection. Il faudrait 3 milliards de dollars pour lutter efficacement contre cette pandémie, mais les budgets disponibles en 2004 ne dépassaient pas 600 millions de dollars.
L’épidémie de tuberculose semble sur le point de régresser, mais l’objectif de réduire de moitié le taux des décès ne sera pas atteint en 2015. 1,6 million de personnes sont mortes de cette maladie en 2005.

la suite après cette publicité

Objectif n° 7 : « Assurer un environnement durable »
Chaque jour, 200 km2 de forêts disparaissent, soit deux fois la superficie de Paris. Pour parer à cette menace pour l’équilibre climatique et biologique, les plantations d’arbres commencent à se généraliser avec 2,8 millions d’hectares (28 000 km2) plantés chaque année, ce qui représente moins de 5 % des forêts du monde.
Après des décennies de détérioration, la proportion des réserves halieutiques s’est stabilisée aux environs de 25 % depuis 1990. Bien que l’effort en faveur des énergies renouvelables ait été multiplié par dix depuis 1990, celles-ci ne représentent que 0,5 % de la consommation mondiale d’énergie. Les émissions de gaz à effet de serre comme le gaz carbonique continuent donc de croître et les températures moyennes ont progressé de 0,5 °C depuis trente ans.
Il sera difficile d’apporter à 1,6 milliard de personnes l’eau potable et l’hygiène de base dont elles ont un besoin urgent. En 2015, 600 millions de personnes en demeureront privées et 1,5 million d’enfants de moins de 5 ans continueront à mourir de diarrhées provoquées par ce déficit d’hygiène.

Objectif n° 8 : « Mettre en place un partenariat mondial pour le développement »
L’aide publique au développement a reculé de 5,1 % en 2006 (103,9 milliards de dollars contre 106,8 en 2005), sous l’effet de la disparition progressive des allègements de dettes. Ce déficit persistera si un effort substantiel n’est pas réalisé par les pays développés, qui sont loin de consacrer au développement 0,7 % de leur produit intérieur brut, comme promis. Seuls le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède atteignent cet objectif. En revanche, on s’attend que les annulations de la dette des pays les plus pauvres réduiront ce fardeau de 90 %.

la suite après cette publicité

En conclusion de ce panorama peu réjouissant, l’ONU fait un point sur l’Afrique subsaharienne, objet de toutes ses inquiétudes. Elle y relève des « réussites exemplaires », car les distributions de semences et d’engrais au Malawi ont permis de doubler les récoltes cette année ; le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda ont connu une augmentation spectaculaire de la fréquentation scolaire après l’instauration de la gratuité pour les élèves du primaire ; le paludisme a fortement reculé au Niger, au Togo et en Zambie après des campagnes de distribution de moustiquaires.
Mais l’ONU demeure pessimiste : « À mi-chemin entre leur adoption en 2000 et la date butoir de leur réalisation en 2015, l’Afrique subsaharienne n’est en voie d’atteindre aucun des Objectifs du millénaire pour le développement. »
On connaît l’une des causes de cet échec annoncé. Il avait été annoncé, en 2005 à Gleneagles, un doublement de l’aide des pays du G8 à l’Afrique subsaharienne ; or celle-ci n’a progressé que de 2 %. Messieurs les Donateurs, tenez vos promesses ! n

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires