Algérie : la grogne des transporteurs

Ils ne peuvent travailler depuis mars et arrivent à bout de patience et de ressources. Chez les transporteurs inter-wilayas, la colère monte.

Aux abords des deux grandes stations de taxi et de bus inter-wilayas, l’activité n’est pas complètement à l’arrêt grâce aux chauffeurs clandestins. © RYAD KRAMDI AFP

Aux abords des deux grandes stations de taxi et de bus inter-wilayas, l’activité n’est pas complètement à l’arrêt grâce aux chauffeurs clandestins. © RYAD KRAMDI AFP

Publié le 15 octobre 2020 Lecture : 4 minutes.

C’est le vide à la station de taxis inter-wilayas (régions) de Kharrouba, à l’entrée d’Alger. Habituellement, le lieu grouille de voyageurs à destination ou en provenance des différentes wilayas (régions) du pays. Depuis le 22 mars, les autorités ont imposé l’arrêt du transport routier inter-wilayas et du transport ferroviaire de voyageurs pour endiguer la propagation de l’épidémie de Covid-19.

Officiellement, aucun taxi collectif jaune n’est autorisé à prendre de voyageurs. Mais il suffit de se rendre aux abords des deux grandes stations de taxi et de bus inter-wilayas pour comprendre que l’activité n’est pas complètement à l’arrêt, grâce aux chauffeurs clandestins. « Ils sont présents dans les 58 wilayas de façon normale. Les clandestins sont intouchables et les prix ont doublé ou triplé », s’indigne Abdelkader Benbrahim, représentant du Syndicat national des taxieurs et transporteurs (SNTT-UGTA).

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Sétif, Constantine, Tizi Ouzou, Blida… les chauffeurs clandestins égrènent leurs destinations sans s’encombrer de discrétion. « Pour aller à Bordj Bou Arreridj, c’est 1000 dinars la place, pour Constantine, 3000 dinars », explique un homme d’une quarantaine d’années. En temps normal, une place dans un taxi collectif coûte 600 dinars pour la première destination alors qu’un aller simple pour Constantine ne dépasse pas 1000 dinars.

Postés dans une station-service, à proximité des gares routières, les clandestins fixent les prix à leur guise. Certains voyageurs tentent de négocier. D’autres, venus se renseigner, réservent leur place ou repartent avec les numéros de téléphone d’un chauffeur. « Il faut venir très tôt le matin pour avoir le maximum de chances de trouver un clandestin qui vous mènera à destination. Il n’y a pas de chauffeurs autorisés ici car si les policiers les voyaient faire, ils pourraient leur faire perdre leur carte professionnelle », indique un autre homme qui utilise son véhicule personnel pour transporter des voyageurs.

Anarchie à Kharrouba

À quelques pas de la station de Kharrouba, des chauffeurs professionnels prennent tout de même le risque de garer leur taxi jaune dans l’attente de quelques voyageurs. « Cela fait sept mois qu’on est à l’arrêt. Ceux qui avaient un peu d’argent de côté ont tout dépensé », se justifie un chauffeur professionnel qui attend de remplir son véhicule pour prendre la route vers Relizane, dans l’ouest du pays.

Il dénonce l’anarchie qui règne. « Non seulement les clandestins fixent leur propre prix, mais en plus des jeunes des quartiers avoisinants jouent les rabatteurs en ramenant des clients qui devront payer une marge supplémentaire », ajoute le quinquagénaire.

J’ai subi des pressions et j’ai fini par démissionner

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Hormis l’augmentation des tarifs, l’arrêt du transport inter-wilayas porte préjudice aux simples citoyens, dont certains sont obligés de se déplacer d’une région à l’autre pour leurs études, leur travail… Ou de se rendre dans les grandes villes du nord pour des examens médicaux. « J’ai perdu mon travail. Je ne suis pas véhiculée et mon employeur ne pouvait pas m’assurer le transport. Ça m’a causé des problèmes, j’ai subi des pressions et j’ai fini par démissionner », témoigne Firdaous, une habitante de la wilaya de Blida qui travaillait depuis deux ans dans une entreprise située à Zeralda, dans l’ouest de la wilaya d’Alger. « Beaucoup de personnes sont dans le même cas que moi », assure la jeune femme de 27 ans.

Des taxis algériens à Annaba. © Frederic soreau/Photononstop

Des taxis algériens à Annaba. © Frederic soreau/Photononstop

Aucune date de reprise annoncée

Confinement oblige, de nombreux secteurs ont été mis à l’arrêt par les autorités. Mais depuis plusieurs semaines, les cafés et restaurants ont rouvert progressivement, les taxis de ville ont repris leur activité et, au début du mois d’octobre, le ministre des Transports a également annoncé la reprise des vols intérieurs.

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Les transporteurs inter-wilayas, eux, sont toujours à l’arrêt. « Nous ne nous sommes pas organisés et la situation sanitaire n’est pas appropriée malgré la diminution du nombre de cas de contamination », a expliqué Lazhar Hani, ministre des Transports.

Pour calmer la gronde qui monte dans le secteur, le gouvernement a alloué une aide financière « de 30 000 dinars [aux] transporteurs routiers de personnes » ainsi qu’une aide de 10 000 dinars aux « conducteurs et receveurs » applicables pour les mois d’août, septembre et octobre 2020, annonce un communiqué des services du Premier ministre Abdelaziz Djerad.

Mais dans les faits, les professionnels ont du mal à bénéficier de ces allocations. « La procédure pour l’obtention de cette aide financière est conditionnée par le paiement des cotisations sociales pour les années 2019 et 2020 alors que 90 % des taxis ne sont pas à jour à la Caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés [Casnos] », précise Abdelkader Benbrahim.

Menace de grève

Pris à la gorge après plusieurs mois d’inactivité, les professionnels du secteur réclament une reprise rapide mais aussi l’allègement, voire la suspension, du paiement des cotisations sociales et des impôts. Ils menacent d’entrer en grève et appellent à un sit-in à la gare routière de Kharrouba le 19 octobre prochain.

En attendant, aucune date de reprise n’a été annoncée par les autorités. « Certains disent que ça repartira en novembre après le référendum sur la Constitution », assure un chauffeur professionnel rencontré à la gare routière.

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