Val-de-Grâce, le monde du silence

Pourquoi un tel voile de mystère entoure-t-il le prestigieux établissement parisien où se font soigner les plus hautes personnalités françaises… et africaines ?

Publié le 21 août 2006 Lecture : 7 minutes.

« Silence, hôpital ! » disent les panneaux indicateurs. Les rumeurs les plus folles courent pourtant à propos de l’hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce. Ne prétend-on pas que les chefs d’État y sont soignés dans des « suites » de 200 m2, qu’une équipe médicale leur est spécialement affectée, que leur cuisinier privé vient en personne leur concocter des plats revigorants et qu’ils disposent de vastes bureaux pour les séances de travail avec leurs proches collaborateurs ?
« Faux, répond le colonel Anne Robert, chef de la communication du Service de santé des armées. Aucune personnalité ne bénéficie d’une équipe médicale ; chaque patient est simplement suivi par le spécialiste qui s’occupe de lui. Toutes les chambres, d’autre part, sont identiques. Elles ont la même surface et sont meublées de façon similaire, même si quelques-unes sont un peu plus spacieuses que d’autres à cause de la configuration des bâtiments. Pour ce qui est de la restauration, il n’y a aucun traitement particulier, excepté dans le cas où les pensionnaires observent des prescriptions religieuses. L’hôpital dispose d’un service de diététique chargé d’adapter les repas en fonction de la maladie dont souffre le patient. »
Ces explications sont loin de satisfaire la curiosité des journalistes, qui viennent régulièrement flairer les abords du Val-de-Grâce avec la même fascination mâtinée de suspicion qu’inspira jadis le château vendéen de Gilles de Rais. D’autant qu’on a longtemps prétendu que la « chambre des présidents » se trouvait dans une aile isolée disposant d’une porte secrète. « C’est un hôpital qui n’a rien d’extraordinaire », a beau marteler le docteur François Eulry, médecin-chef du Val-de-Grâce, il souffle un vent de mystère sur les hautes grilles de l’établissement. Mais comment pourrait-il être considéré comme un simple lieu de soins à l’instar des deux autres hôpitaux militaires de la région parisienne – Bégin, à Saint-Mandé, et Percy, à Clamart, où Yasser Arafat fut soigné à la veille de sa mort, à la fin de 2004 -, alors qu’il est le seul à accueillir régulièrement des personnalités françaises et d’illustres patients étrangers ?
François Mitterrand, Hassan II, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Chirac, Gilchrist Olympio, Mokhtar Ould Daddah et, récemment, Abdelaziz Bouteflika, toutes ces personnalités ont été à un moment ou à un autre soignées au Val-de-Grâce. Pour le président algérien, c’était, en avril 2006, le deuxième séjour en moins de quatre mois, sa première admission remontant à décembre 2005, lorsqu’il avait été opéré d’un « ulcère hémorragique au niveau de l’estomac ».
Sorti le 21 avril, Bouteflika, à l’image de ses pairs étrangers, a choisi cet établissement pour sa discrétion et la compétence de ses équipes. Il est vrai qu’il jouit d’une excellente réputation en matière de soins et d’innovation. Il développe depuis peu une antenne opératoire par téléassistance qui permet le guidage à distance d’une intervention chirurgicale.
Le secret total entoure le séjour des personnalités étrangères et l’origine du mal dont ils souffrent. De l’avis de certains experts médicaux, il est ainsi peu probable que le président algérien ait été simplement opéré pour l’ulcère d’estomac qui l’a officiellement fait admettre au Val-de-Grâce en 2005. Son long séjour d’alors (du 26 novembre au 17 décembre) concorde mal avec la raison supposée de son hospitalisation.
Mais qu’on ne compte pas sur l’hôpital d’instruction des armées pour trahir le secret médical. L’armée française n’est-elle pas surnommée la « Grande Muette » ? Au Val-de-Grâce, la communication est laissée au malade, même si « l’équipe soignante peut être consultée pour choisir le bon terme ». Cela ne favorise-t-il pas la langue de bois ? « Non, insiste le docteur Eulry. On n’impose rien à personne sauf si c’est contre l’éthique. Il faut que le respect du secret médical s’opère dans la transparence. »
Toutefois, agacé par les rumeurs sans fondement, le bureau de la communication du Service de santé des armées a fini par ouvrir les portes du Val-de-Grâce aux journalistes.
Comment donc se présente l’établissement ? Il s’intègre dans un ensemble qui comprend l’abbaye royale du Val-de-Grâce, dont la première pierre fut posée en 1624 par l’épouse de Louis XIII, Anne d’Autriche. Ce n’est qu’après la Révolution que cet ensemble, agrémenté d’un très beau parc, devient un hôpital militaire. Ses vieux bâtiments abritent depuis 1993 l’École d’application du service de santé des armées, constituant ainsi le premier « centre hospitalier universitaire » militaire français. C’est en 1979 que fut construit l’hôpital connu aujourd’hui sous le nom de Val-de-Grâce, un établissement moderne dont le budget annuel, partagé entre la Défense nationale et les caisses d’assurance maladie, avoisine 30 millions d’euros. L’hôpital fonctionne sur des règles très précises. Parce qu’il se trouve sous l’égide du ministère de la Défense, l’établissement accueille en priorité les malades, actifs ou retraités, issus du corps de l’armée ainsi que leurs familles, à condition que les membres de celles-ci soient âgés de 15 ans au moins.
Malgré cet accès privilégié, seuls 40 % des patients de l’hôpital relèvent directement du ministère de la Défense. Les autres n’ont aucun lien avec l’armée, contrairement à la majorité des employés. Sur un total de 1 100 personnes, 580 sont militaires. Parmi elles, l’ensemble des infirmiers, ainsi que les 198 médecins et les 151 chirurgiens. Il arrive toutefois à ces derniers d’exercer ailleurs que dans l’enceinte de l’établissement, qui revendique aussi une vocation humanitaire. Ainsi, en cas de tremblement de terre, quelques-uns d’entre eux se rendent sur les lieux de la catastrophe. Sur place, ils sont chargés d’installer un module de réanimation, de chirurgie, de radiologie, etc., qui offre une qualité de soins le plus proche possible de ceux pratiqués dans la capitale française. En 2004, le Val-de-Grâce a dépêché 403 personnes pour de telles missions.
L’hôpital se déploie sur cinq étages. Il dispose de 349 lits, nombre qui peut monter jusqu’à 405 en cas de crise, et 40 autres réservés au service ambulatoire. Mais bien que 10 000 personnes aient été hospitalisées en 2004, tous les malades qui viennent se faire soigner ne sont pas forcément internés. L’établissement possède en effet une structure alternative qui permet à des patients en chimiothérapie ou en dialyse de ne rester que la journée.
Même si le Val-de-Grâce « n’a rien d’extraordinaire », beaucoup d’autres hôpitaux pourraient lui envier la qualité des soins qui y sont prodigués. D’où sans doute l’intérêt que lui portent les malades célèbres. Outre un service de médecine nucléaire qui dispose d’un accélérateur de rayons X dernière génération très efficace dans l’irradiation du cancer de la prostate, le Val-de-Grâce est l’un des deux hôpitaux parisiens à posséder un caisson hyperbare.
Il a un autre avantage : la sécurité optimale qu’il offre. « En tant qu’établissement militaire, le Val-de-Grâce est soumis à un plan Vigipirate. Quand un chef d’État est hospitalisé, la sécurité est renforcée », confirme le colonel Robert. Les lieux sont verrouillés, l’hôpital étant en permanence au niveau rouge, le plus élevé, du plan antiterroriste Vigipirate. Une mesure qui dispense les patients d’avoir à faire venir leur propre service de sécurité.
Les chefs d’État étrangers sont accueillis dans l’unité même où les soins leur sont prodigués : en urologie ou en neurologie par exemple. Quant à leur chambre, elle n’a rien d’un palais. Les VIP dorment dans une pièce de 15 m2 équipée d’un lit, d’une table de chevet, d’un fauteuil et d’un cabinet de toilette (la télé est en sus). Comme les autres. Sauf qu’on peut aménager, à leur demande, un bureau de travail. Ici, pas de chef à domicile ; les régimes alimentaires étant établis sur prescription médicale, on leur sert les plats confectionnés dans les cuisines de l’hôpital selon les directives précises de diététiciens, même s’il est bien entendu exclu qu’on serve du porc à un musulman. Les personnalités fixent elles-mêmes leur menu parmi un choix de plats qui leur est proposé. Une fois leur sélection faite, une aide-soignante enregistre leur commande pour une ou plusieurs journées. Les plus portés sur la religion peuvent pratiquer leur foi sans souci, puisque le Val-de-Grâce dispose d’un bureau des cultes. Sur simple appel, ils ont la possibilité de recevoir la visite d’un aumônier. S’ils veulent s’adonner à la lecture, la bibliothèque de l’hôpital qui possède un fonds important de livres est à leur disposition.
Quid de la facture ? « Une tradition veut que les chefs d’État ne paient pas dans les hôpitaux militaires », précise le docteur Eulry. L’État algérien, lui, a tenu à régler les frais de séjour de Bouteflika. Le montant n’a pas été révélé, mais on peut l’estimer en se fondant sur les tarifs publics de l’hôpital. Les prix varient en fonction des spécialisations et vont de 330 à 1 900 euros la journée d’hospitalisation, selon qu’on est assuré social ou non. Bouteflika ne cotisant pas à la Sécurité sociale française, il suffit de faire le calcul.
Le Val-de-Grâce, un hôpital comme les autres ? Presque. Sa seule curiosité réside finalement dans sa forme singulière, car, vu du ciel, l’établissement ressemble à une vertèbre géante. Tout un symbole.

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