Un pays dopé par l’or noir

Grâce au surplus pétrolier, l’État affiche des indicateurs économiques éloquents. Reste à mettre ces ressources au service de la lutte contre la pauvreté.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 5 minutes.

Plusieurs fois par semaine, les rues de Brazzaville sont le théâtre d’une scène haute en couleur : à proximité de chaque station-service, une cinquantaine de taxis – reconnaissables à leurs couleurs vert et blanc – sont garés en un semblant de file qui congestionne la circulation. Pendant que les autres automobilistes agacés jouent du klaxon, les chauffeurs, debout, accoudés sur la portière ouverte, donnent de la voix et s’invectivent. Ils se disputent leur tour à la pompe. Il est à peine 8 heures du matin, mais déjà la ville gronde comme en pleine journée. Nous sommes dans la capitale du cinquième producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne. Il y a pourtant des jours où le carburant se fait rare et même d’autres il vient à manquer. Les approvisionnements empruntent le Chemin de fer Congo-Océan (CFCO), au départ de Pointe-Noire, le poumon économique du pays. Mais l’insécurité et la vétusté des installations ferroviaires affectent la régularité des arrivages. Alors, à Brazza, il peut arriver que l’on se batte pour quelques litres d’essence qui s’accumulent dans des cuves au sud du pays.
Le paradoxe est à l’image de la situation économique actuelle. Les recettes de l’État sont fortement dépendantes de l’or noir (70 % du total en moyenne entre 1997 et 2003). Grâce à la hausse inespérée des prix du baril – plus 40 % en moyenne pour le pétrole congolais en 2005 -, elles ont pratiquement doublé en 2005. La tendance se maintient en 2006. Depuis le début de l’année, l’État a déjà encaissé 120 milliards de F CFA (183 millions d’euros) au titre du « surplus pétrolier ». Ce montant correspond à la différence entre les recettes attendues et les recettes encaissées. Il s’est élevé à 170 milliards de F CFA sur l’ensemble de l’année 2005. Le produit intérieur brut (PIB) a profité lui aussi de la bonne conjoncture : + 7,9 % en 2005. A priori, une bonne nouvelle pour les finances du pays. Mais l’État, écrasé par une dette extérieure de 9,5 milliards de dollars, rembourse les arriérés et, conformément aux préconisations du Fonds monétaire international (FMI), place le surplus pétrolier sur un compte bloqué. Résultat, à court terme, ce n’est pas parce que les recettes de l’État augmentent allégrement que les investissements publics destinés aux infrastructures, à l’éducation ou à la santé observent le même rythme. Les dépenses dites pro-pauvres – sociales – ont toutefois augmenté de 0,5 point en 2005. Elles représentent 4,9 % du PIB.
Les besoins sont criants. D’après le « Profil de la pauvreté au Congo en 2005 » réalisé par le Centre national de la statistique, 50,1 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, établi par les auteurs du rapport à 1,7 dollar par jour (839 F CFA). L’activité est nettement entravée par l’état des infrastructures : seulement 5 % du réseau routier national (17 300 km) sont bitumés. En matière d’éducation, on compte en moyenne un instituteur pour cent élèves. L’électricité est un privilège : on ne dénombre que 5 300 abonnés en zone rurale. Prenant la mesure des richesses nationales, les Congolais grognent devant la baisse du niveau de vie. En juin, le gouvernement a annoncé une augmentation de 11 % des prix de l’essence, rompant avec un système de stabilité des prix fort coûteux pour l’État. La nouvelle a déclenché un tollé : à Pointe-Noire comme à Brazzaville, les chauffeurs de taxi ont fait grève pour réclamer une augmentation du tarif de la course, de 700 à 1 000 F CFA. Quand les salaires n’ont pas bougé depuis douze ans, il est difficile d’obtenir des citoyens qu’ils participent à l’effort collectif !
La plupart d’entre eux semblent résignés. « L’amélioration ne peut venir que de la main invisible », déclare Innocent. À bientôt 31 ans, licencié en économie, il tient une échoppe dans le centre de Brazza où l’on peut aussi bien acheter une carte de téléphone que du vernis à ongle. Les fonctionnaires – au nombre de 80 000, sur 4 millions d’habitants officiellement – sont moins désabusés. « Au moins, à la fin du mois, mon salaire est payé », admet un employé du ministère des Affaires étrangères. En décembre 2004, l’État a commencé à rembourser vingt-quatre mois d’arriérés de salaires, pensions et droits des entreprises liquidées. Par ailleurs, les rémunérations dans le secteur public doivent augmenter de 5 % par an entre 2006 et 2008. « Et aujourd’hui, je peux rentrer chez moi à pied, la nuit, sans craindre des bandits », ajoute avec reconnaissance le même serviteur de l’État.
La vie quotidienne des Congolais ne s’en ressent pas encore, mais la réputation de leur pays s’améliore. L’apurement des arriérés des dettes extérieure et commerciale a commencé. Le 8 mars, la communauté internationale a ouvert la voie vers un effacement de l’ardoise dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE, voir encadré ci-contre). Dans l’idéal, il pourrait intervenir en 2009. Le temps de former une main-d’uvre qualifiée – 41 % de la population a moins de 18 ans – pour continuer à construire les infrastructures indispensables au décollage économique, et de valoriser des ressources sous-exploitées pour ne plus dépendre principalement du pétrole. La forêt fait partie de ces richesses à mettre en valeur. Elle couvre 60 % du territoire national et ne représente guère plus de 5 % du PIB (en 2004, dernière statistique connue). Les industriels ont l’obligation de transformer 85 % de la production sur le territoire congolais. Actuellement, seuls 50 % le sont effectivement. « On se donne deux ans pour atteindre le quota », explique Henri Djombo, ministre de l’Économie forestière. La signature d’une convention, en décembre dernier, entre le ministère et Asia Congo Industrie doit créer un effet d’entraînement : pour 41 millions d’euros, le groupe malaisien a acquis quatre unités forestières de l’ancienne Société des bois du Congo (Socobois), dont l’exploitation avait été interrompue lors de la guerre de 1997. Au passage, l’acquéreur – redouté par la concurrence -, s’engage à construire des infrastructures sociales et routières dans la Lekoumou et le Niari, les deux départements où il est présent.
Le secteur sucrier concentre également quelques espoirs. Face à la suppression progressive des prix préférentiels pratiqués par l’Union européenne, la Saris Congo est sûre de perdre un débouché important : chaque année, elle vend 13 000 tonnes au marché européen, soit 5 milliards de F CFA, pour une production de 65 000 tonnes. « Nous allons nous retrouver en concurrence avec des pays qui ont des coûts de production très bas. Nous allons perdre ce marché », estime Nicéphore Fylla, PDG de la Saris et député de Poto-Poto, un quartier de Brazzaville. Solution : viser l’Afrique centrale, marché déficitaire de 50 000 tonnes. « Au niveau de la sous-région, nous avons des coûts de production très bas, ayant la même monnaie, nous sommes compétitifs », ajoute-t-il. Toutefois, un changement s’impose : le sucre exporté en Europe est roux alors qu’il faut du sucre raffiné pour les marchés de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). En vue d’augmenter sa capacité de raffinage, la Saris prévoit un investissement de 3,5 milliards de F CFA en 2006. Encore faudra-t-il que le chemin de fer puisse évacuer les exportations.

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