Une seule issue : « la terre contre la paix »

Publié le 21 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Les États-Unis et leurs alliés font preuve d’une incapacité grandissante à comprendre les racines du conflit au Moyen-Orient. Que dire alors de leur volonté – et de leur capacité – à l’enrayer
Il faut avant tout souligner, comme le faisait, il y a peu, dans le Washington Post, Brent Scowcroft, le conseiller à la sécurité nationale de George Bush père : « Le Hezbollah n’est pas la cause du problème. Il n’est qu’une conséquence du conflit qui s’est cristallisé autour de la Palestine depuis 1948. » Le Hezbollah est, en effet, né de l’invasion israélienne du Liban en 1982, qui avait pour objectif de détruire l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Les sages-femmes sont certainement l’Iran et la Syrie (il est né à l’ambassade iranienne à Damas), mais ses parents sont bien Israël et les États-Unis, qui se sont abstenus de retenir leur allié avant qu’il ait rasé quasiment tous les quartiers musulmans de Beyrouth.
Depuis les années 1980, les tentatives répétées d’Israël de détruire le Hezbollah ont toutes échoué. L’assaut auquel nous assistons aujourd’hui est à peine parvenu à égratigner les capacités opérationnelles du groupe islamiste chiite. Bien au contraire, il a redoré son blason aux yeux des Libanais et des Arabes. Jusque chez les sunnites, qui, pourtant, considèrent les chiites comme des fanatiques et des agents de l’Iran.
Le Hezbollah est une organisation qui a vu le jour sur le lit d’un conflit en souffrance de solution, tout comme le Hamas. Et cette guerre a pour racine véritable le problème de la terre, et plus précisément la question de savoir comment (et si) Arabes et Juifs peuvent se partager cette Terre sainte si exiguë, et si inflammable.
L’incapacité diplomatique et politique à résoudre ce conflit est une abdication étonnante de responsabilité de la part des dirigeants actuels, notamment vis-à-vis des générations futures. Lesquelles affronteront de plus graves difficultés encore avant de lui trouver une solution définitive. Une solution définie par Bill Clinton et reprise lors des innombrables pourparlers entre Israéliens et Arabes à Taba, en Égypte, après l’échec des négociations de Camp David en 2000, solution qui s’est retrouvée dans l’accord informel de Genève, ainsi que dans l’adoption de ses conclusions par la Ligue arabe à Beyrouth, en 2002.
L’« initiative de Beyrouth pour la paix » subordonnait la pleine reconnaissance de l’État hébreu par les pays arabes à un retrait israélien des territoires occupés après la guerre des Six-Jours de 1967. Ce qui signifiait la création d’un État palestinien couvrant quasiment toute la Cisjordanie et Gaza, avec comme capitale Jérusalem-Est. Sans oublier ce que le plan de paix arabe appelle une « solution juste » : des dédommagements, plutôt que le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Cette solution n’a jamais réellement été tentée. Les accords d’Oslo en 1993-1995 allaient timidement dans cette direction. Ils n’ont jamais été appliqués, principalement parce que les Israéliens ont cru qu’ils pouvaient continuer à installer des colonies dans les territoires sans que les Palestiniens réagissent.
La période d’expansion la plus faste de ces colonies illégales a paradoxalement correspondu aux plus beaux jours du processus de paix. Sous les gouvernements travaillistes de Itzhak Rabin et Shimon Pérès, entre 1992 et 1996, le nombre de colons a bondi de 50 %, tandis que, à l’intérieur des frontières d’Israël, la population augmentait quatre fois moins vite. Jérusalem-Est a été encerclée par quatre grosses colonies. La politique du logement et la délimitation des zones dans la ville ont permis de lui assurer une majorité juive. Comme s’en vantait, en son temps, Ariel Sharon : « À Jérusalem, nous construisons des faits qui ne pourront jamais être ébranlés. »
L’autre responsable de l’échec d’Oslo est Yasser Arafat. Il était si anxieux de jouer les hommes d’État et si incapable de le faire que la première tactique d’Israël dans les négociations a été de l’isoler. Il s’est senti floué et n’a jamais voulu abandonner l’option de « la lutte armée ». Les pays arabes, quant à eux, qu’ils aient été en relation avec Israël (Égypte, Jordanie) ou non (Syrie, Arabie saoudite), ont toujours favorisé la solution « ni guerre ni paix ». Elle leur permettait de justifier les états d’urgence qu’ils imposent à leur population et grâce auxquels ils exercent leurs dictatures et monopolisent les ressources.
Les États-Unis, seule puissance capable de sortir les belligérants de l’impasse, ont, chaque jour un peu plus, refusé de le faire. Il y a dix ans, assurant que les colonies israéliennes tueraient le processus de paix, l’ancien secrétaire d’État James Baker disait : « Sous l’administration Carter, nous considérions que ces colonies étaient illégales. Sous Reagan et Bush, elles étaient devenues un obstacle à la paix. Et sous Clinton, elles sont simplement dérangeantes. »
George W. Bush a été encore plus loin en approuvant la mainmise de Sharon sur les territoires en 2002, en soutenant la construction d’une prétendue barrière de sécurité à l’intérieur de la Cisjordanie, et en laissant Israël annexer les colonies qui séparent Jérusalem-Est de ses terres en 2004.
Tout était donc en place pour que Ehoud Olmert, le Premier ministre, fixe les frontières de son pays là où Ariel Sharon avait décidé qu’elles seraient en 1982. En se fondant sur la géographie sans tenir compte de la démographie, il aurait voulu consentir aux Palestiniens un dixième de ce qu’était leur pays, sur trois bantoustans isolés. Le projet était irréalisable. Aujourd’hui, on ne peut même pas envisager de le mettre en pratique. Aucun Arabe, aucun musulman ne saurait l’accepter. Et beaucoup d’Israéliens qui y étaient favorables ont changé d’avis. Être attaqué depuis des territoires qu’Israël a laissés aux Arabes, raisonnent-ils, signifie que ce conflit est devenu existentiel : « Le Hamas et le Hezbollah veulent nous détruire. » C’est peut-être vrai. Mais ce qui a certainement donné du pouvoir et du prestige à ces organisations bien au-delà de leur légitimité naturelle réside dans une succession d’échecs, dont la raison profonde est l’absence d’une recherche sincère d’un accord fondé sur le principe de « la terre contre la paix ». n
© Financial Times et Jeune Afrique 2006.
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