Répression à tout-va

En Afrique de l’Est, les journalistes sont sérieusement inquiétés, et la liberté de la presse menacée. Tour d’horizon d’une évolution alarmante.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 5 minutes.

Embastillement, intimidation, refus de visa, expulsion Depuis plus d’un an, des gouvernements est-africains usent et abusent de leurs pouvoirs pour entraver, voire empêcher, le travail des journalistes. Dix-sept d’entre eux croupissent actuellement dans les prisons éthiopiennes, arrêtés dans la foulée des législatives contestées de mai 2005, s’alarme une fois de plus, le 5 août, la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Accusés de trahison, ils sont passibles de la perpétuité, voire de la peine de mort. À côté, leurs confrères ougandais du Daily Monitor – l’un des principaux titres du pays – peuvent s’estimer mieux lotis : le gouvernement s’est « contenté » de bloquer le site Internet du journal pendant la présidentielle du 23 février. Au Kenya, « si je constate que la sécurité nationale est menacée, et si j’estime que c’est justifié, je n’hésiterai pas à répéter l’opération », menace ouvertement le ministre de la Sécurité, le 15 mai, en faisant référence à un raid policier contre un quotidien national deux mois plus tôt.
Mélès Zenawi, Premier ministre éthiopien accroché à son fauteuil ; Yoweri Museveni, vieux dictateur ougandais cinq fois élu ; Mwai Kibaki, chef de l’État kényan arrivé en 2002, porteur d’espoirs puis de déceptions : de l’obstruction bureaucratique à l’arrestation, les trois dirigeants mènent un même combat contre le « quatrième pouvoir » sans pareil en Afrique de l’Est.
La méthode kényane est spectaculaire. Dans la nuit du 1er au 2 mars, des hommes cagoulés et armés – des nervis du gouvernement, apprendra-t-on par la suite – investissent le siège du groupe de presse The Standard. Après avoir fouillé les lieux, ils arrêtent trois journalistes. Une heure plus tard, un raid policier s’attaque à l’imprimerie du quotidien du même nom et met le feu à plusieurs milliers d’exemplaires de l’édition du lendemain. Motif des expéditions : un article évoquant un rendez-vous secret entre le chef de l’État et un membre de l’opposition. Un aveu de faiblesse humiliant pour Mwai Kibaki, qui, abandonné par un nombre croissant de membres de la « coalition arc-en-ciel » – le regroupement de formations politiques qui a contribué à sa victoire en 2002 -, cherche à sauver la face. Le chef de l’État ne va pas jusqu’à s’en prendre aux journalistes étrangers. « Nairobi est une plate-forme médiatique dont l’État est fier, c’est une situation qui donne un rayonnement régional au pays, les autorités ne veulent pas le sacrifier », explique Léonard Vincent, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF).
Addis-Abeba et Kampala, eux, ne se gênent pas. En février, Inigo Gilmore, journaliste anglo-saxon en Éthiopie, se voit refuser son accréditation. La raison : la publication dans l’hebdomadaire britannique The Observer d’un article rapportant le témoignage d’un jeune homme battu dix-neuf jours durant par la police après les législatives de mai 2005. Contesté, le scrutin, dont le Premier ministre Mélès Zenawi est sorti une nouvelle fois vainqueur, a été suivi d’une série de violentes manifestations qui auraient fait au moins 84 morts dans la capitale et entraîné 13 000 interpellations. Mais il ne faut surtout pas en dire un mot. Blake Lambert, correspondant en Ouganda pour l’hebdomadaire britannique The Economist et le quotidien américain Christian Science Monitor, a, lui, carrément été expulsé. Le 9 mars en fin de journée, le journaliste arrive à l’aéroport d’Entebbe après un séjour en Afrique du Sud où il a dû se rendre pour renouveler son visa de travail. L’accueil dans son pays d’adoption, où il est installé depuis trois ans, n’est pas vraiment chaleureux. À peine a-t-il foulé le sol ougandais qu’un homme se déclarant « responsable de l’aéroport » le conduit dans une petite pièce, sans aucune explication. Après quarante minutes de palabres, pendant lesquelles le « directeur » passe de mystérieux coups de fil, l’étranger indésirable est placé dans un avion pour Nairobi d’où il regagnera le Canada après une escale à Londres. C’est seulement de retour dans son pays d’origine qu’il apprend le motif de cette expulsion : « article faux et biaisés », travail « préjudiciable aux intérêts de l’État »… L’auteur de ces appréciations – que l’accusé dément formellement – est le président du « Media Center ». L’instance, créée en 2005 par le gouvernement, est chargée de conseiller le « Media Council », l’organe qui délivre les cartes professionnelles.
Cette crainte épidermique des médias n’est pas née du jour au lendemain. Au Kenya, la classe journalistique se souvient de la première dame débarquant comme une furie au siège du Daily Nation pour protester contre un article qui lui a déplu. C’était en mai 2005. En Éthiopie, les relations entre le pouvoir et les médias sont traditionnellement houleuses. Avant les législatives, les harcèlements sont déjà monnaie courante. Le pays occupe le 4e rang dans le classement des plus gros détenteurs de journalistes réalisé par le CPJ (Comité américain de protection des journalistes), juste derrière son voisin et ennemi érythréen. Après la mort du leader sud-soudanais John Garang, le 31 juillet 2005, dans l’hélicoptère du président Museveni, l’animateur de radio ougandais Andrew Mvenda avait été emprisonné pendant trois jours après une émission consacrée à l’événement.
Pour Léonard Vincent, que « le pouvoir en Ouganda s’en prenne à la presse étrangère » est une « première ». Cherchant à préserver leurs dérives du regard de la communauté internationale, les autorités murent le territoire. « Ce qui se passe en Ouganda ne fait que confirmer la nature du régime en place, analyse de son côté Gabriel Baglo, directeur du bureau Afrique de la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Le cas du Kenya est plus surprenant. » Lors de son élection en 2002, Mwai Kibaki promet « une seconde libération du Kenya », engagement relayé par les médias, qui le soutiennent. « Aujourd’hui, le gouvernement et la presse au Kenya, c’est comme une famille désunie, explique Léonard Vincent. Régulièrement, il y a des disputes. » Un avis extérieur que ne partagent pas les journalistes nationaux : un projet visant à encadrer l’actionnariat des groupes de médias est interprété par les professionnels comme un moyen de les diviser pour mieux les affaiblir.
Tous les observateurs s’accordent sur l’une des conséquences de l’endiguement des médias : l’autocensure. Et regardent avec inquiétude de l’autre côté du continent, en Afrique de l’Ouest, où deux pays inquiètent particulièrement : la Gambie, depuis le meurtre de Deyda Hydra, et le Niger, où le pouvoir semble décidé à ne rien laisser passer à la presse, comme il l’a montré en arrêtant, le 4 août, Mamane Abou, le directeur de publication du Républicain, et Oumarou Keita, l’un de ses journalistes.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires