Que reste-t-il du PS ?

Le Parti socialiste essaie de se relever de sa défaite de mars 2000. Et apprend la dure vie de l’opposition sur fond de dissensions internes.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 9 minutes.

La scène se répète depuis six ans, pour devenir banale aujourd’hui. On y voit Ousmane Tanor Dieng arpenter seul les marches de « La Maison du Parti socialiste (PS) » dans le quartier dakarois de Colobane, en ressortir pour prendre le volant d’une voiture modeste et se rendre à son domicile. Sans escorte ni courtisan. Sous le seul regard des rares employés rescapés du licenciement massif qui a frappé les permanents du siège. Qui l’eût cru, avant l’alternance de mars 2000 et la fin de l’hégémonie quarantenaire du parti de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf ?
Premier secrétaire du PS, tout-puissant directeur de cabinet de Diouf (chef de l’État de 1981 à 2000), Tanor, comme l’appellent ses compatriotes, était sans nul doute l’homme le plus entouré, le plus courtisé et le plus jalousé du Sénégal. Depuis plus de six ans, lui et son parti expérimentent la dure loi de l’opposition en Afrique, avec son lot d’isolement, de privations, voire de brimades. Créé en 1948 par Senghor, premier président du Sénégal indépendant, le Bloc démocratique sénégalais (BDS), rebaptisé Union progressiste sénégalaise (UPS) en 1958, puis Parti socialiste en 1974, vit aujourd’hui la phase la plus critique de son histoire (voir encadré page 46). Animé d’une forte culture de gouvernement, il a été à la fois traumatisé et déstructuré par la perte du pouvoir.
De débauchages de ses cadres en défections de ses militants de base, de réduction de ses moyens en perte d’influence le parti poursuit son petit bonhomme de chemin en se rétrécissant. Si Diouf a perdu avec 41,5 % des voix à la présidentielle de février-mars 2000, le PS est passé de 93 à 10 députés aux législatives d’avril 2001. L’ampleur de la débâcle a conduit certains observateurs à pronostiquer sa « disparition progressive ».
La défaite a ouvert la page peu glorieuse de la « transhumance politique ». De nombreux dignitaires du désormais ex-parti au pouvoir ont tourné casaque et rejoint la formation de Wade : Mbaye Jacques Diop, Assane Diagne, Adama Sall, Abdourahmane Sow, Sada N’Diaye, Abdoulaye Diack, Iba Guéye, Aïda Mbodj
Même l’ex-porte-parole du PS, Abdourahim Agne, qui se disait « dernier des Mohicans », a fondé sa propre formation politique, le Parti républicain (PR), après de nombreux et vains appels du pied à Wade. Et il est fort probable qu’Agne, qui négocie discrètement depuis plusieurs semaines avec le chef de l’État, s’allie à lui à l’occasion des élections présidentielle et législatives de février 2007.
La saignée continue : ce 1er août, Demba Cissé, un pilier du PS dans le département de Nioro, a « transhumé » vers les prairies bleues – l’épi de maïs jaune sur fond bleu étant l’emblème du parti de Wade. Mais la migration de cadres habitués à une position de pouvoir, donc à l’étroit dans l’opposition, ne reflète pas le mouvement des militants de base. Beaucoup de ces derniers prennent le sens inverse, déçus des promesses d’emploi et de réduction du coût de la vie qui avaient été faites par la nouvelle équipe aux affaires.
Après quatre années de descente aux enfers (de 2000 à 2004), le PS commence à sortir la tête hors de l’eau à la faveur de la fin de l’état de grâce et des erreurs d’inexpérience de Wade et de son équipe. Après plusieurs décennies de désamour, les universitaires franchissent le Rubicon, forment un réseau pour rejoindre le parti de Tanor, en 2004. La même année, des cadres de l’État et du privé mettent en place l’association Vision socialiste, affiliée au PS. Les jeunes leur emboîtent le pas, et créent Jeunesse pour la démocratie et le socialisme.
Depuis 2000, le parti a vendu 356 000 cartes de membre, un record dans un pays sous-développé. Et compte en écouler davantage, principalement dans le monde rural, en surfant sur le mécontentement qui y prévaut, notamment à cause des difficultés de la filière arachidière. Ce réservoir de voix constitue un enjeu fondamental pour les dirigeants du PS. Ils estiment « très importante » la marge de progression de leur formation dans les campagnes. Tanor multiplie les interventions en faveur des paysans et inscrit de manière récurrente la question du monde rural à l’ordre du jour des réunions du bureau politique (BP, une trentaine de membres qui dirige le parti).
Le PS redevient peu à peu fréquentable. Et semble même reprendre du poil de la bête. Son discours se tonifie à mesure qu’approchent les échéances électorales de 2007. Fêtant le 6 août 2006 son premier anniversaire, Convergence socialiste, un autre mouvement affilié, n’hésite pas à évoquer la question jusqu’ici taboue de l’âge d’Abdoulaye Wade – officiellement 80 ans – et de sa capacité à diriger le pays au-delà de 2007.
Mais malgré ses tentatives de reprendre l’initiative, le parti de Senghor est en proie à des divisions internes, sources de sérieux remous. Dernière crise grave en date : la brèche ouverte au début de cette année par des membres du BP. Pas moins de dix grosses pointures, pour la plupart d’anciens ministres aujourd’hui maires de grandes villes ou présidents de conseils régionaux, ont publié, le 4 janvier, un brûlot qui fustige la gestion du premier secrétaire.
Long de huit pages et intitulé « Manifeste de création du courant Démocratie-Solidarité du Parti socialiste », ce document est signé par des figures qui ont marqué la vie politique du pays, de Senghor à Diouf : l’ancien président de l’Assemblée nationale, Amath Cissé ; l’ex-maire de Dakar et actuel édile de Yoff, Mamadou Diop ; son homologue de Passy et ancien ministre et ex-directeur de cabinet de Diouf, Moustapha Kâ ; le premier magistrat de Tambacounda et ci-devant ministre de la Ville, Souty Touré ; le président du conseil régional de cette métropole de l’Est, Cheikh Abdou Khadre Cissokho ; l’inamovible ministre sous Diouf et maire de Ziguinchor, Robert Sagna ; le député du PS pendant plusieurs décennies, longtemps resté à la tête de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS, principale centrale syndicale du pays affiliée au défunt régime socialiste), Madia Diop
Tous épinglent « la gestion patrimoniale » du parti par Tanor depuis la chute de Diouf, dénoncent « le manque de débats internes », demandent la réactivation du conseil d’orientation (une structure créée au lendemain de la défaite pour remplir les fonctions de président du parti laissées vacantes par Diouf), la collégialité dans la prise des décisions, la tenue rapide d’un congrès qui n’a pas été réuni depuis 1996. Et exigent l’audit du patrimoine du PS.
Le « trésor de guerre » – supposé ou réel – légué par Abdou Diouf à son départ est au cur de la bagarre. Estimé par les initiateurs de « Démocratie-Solidarité » à 10 milliards de F CFA (dont 6 milliards destinés aux dix unions régionales, à raison de 600 millions de F CFA pour chacune, et 4 milliards affectés au fonctionnement de la direction du parti) et à une cinquantaine de véhicules 4×4 offerts par des amis saoudiens de l’ex-chef de l’État, ce patrimoine aurait été géré par Tanor, à les entendre, comme ses biens personnels.
Réplique des proches du premier secrétaire : « Abdou Diouf a laissé vides les caisses du parti. Les fonds que lui ont remis ses amis à l’occasion de la présidentielle de 2000 ont été entièrement dépensés pour les besoins de la campagne. Le PS s’est appauvri depuis qu’il a perdu le pouvoir. Outre le licenciement de quarante-cinq de ses permanents, la plupart de ses cinquante 4×4 sont en panne. En 2005, le parti n’a même pas pu honorer sa contribution annuelle de 10 millions de F CFA au budget de l’Internationale socialiste. »
Toutes les questions soulevées dans le Manifeste ont été discrètement mais longuement débattues au sein du BP. De février à mai 2006, à l’occasion de réunions du conseil d’orientation, de nombreuses propositions ont été formulées pour trouver des solutions. Il reste à les consigner dans un rapport à valider par les instances du parti. « C’est à ce niveau qu’interviennent les blocages, indique un des membres de Démocratie-Solidarité. Depuis deux mois, Tanor trouve toujours des raisons pour reporter systématiquement les réunions programmées du conseil d’orientation. Il ne veut manifestement pas que les résolutions que nous avons demandées soient mises en uvre pour un fonctionnement collégial et démocratique du parti. »
Mais la plus grande menace pour la cohésion du PS se profile à l’horizon de la présidentielle de février 2007. Le choix du candidat du parti expose celui-ci à de graves risques d’implosion. Dans l’intimité de leurs rencontres hebdomadaires, les membres du courant en sont arrivés à la conclusion que l’un des leurs, Robert Sagna, est mieux à même de défendre les couleurs du PS. Ils ont une stratégie pour faire triompher leur champion. Et ont arrêté une position qui peut se résumer ainsi : « Il n’y a pas de candidat naturel pour le PS. Nul ne sera investi sur la base d’un vote mécanique du BP. Il convient d’organiser un débat d’idées pour comparer les chances de gagner de tous les postulants et procéder à un choix. »
Un modus operandi qui ne sera pas du goût des « pro-Tanor », décidés à s’appuyer sur leur majorité confortable au sein du BP pour adouber leur mentor.
Si ces deux positions, a priori inconciliables, restent figées, le parti va au-devant d’une double candidature, une scission, épilogue logique de l’interminable guérilla qui le mine depuis une décennie (voir encadré page 44).
Le congrès, censé trancher les questions pendantes, peine à se tenir. Le renouvellement préalable des instances, qui avait été prévu pour avoir lieu avant la fin de 2005, a encore été renvoyé aux calendes sénégalaises. Pour des raisons qui tiennent autant aux contraintes logistiques qu’aux querelles de personnes.
En attendant, le PS continue à fonctionner avec un comité central et un BP obsolètes – plusieurs de leurs membres ont quitté le parti, ou sont décédés. Ces structures, lourdes, sont très peu adaptées à une formation d’opposition. Le Comité central compte pas moins de 600 membres. Les « coordinations » sont au nombre de 87, dont 28 pour la seule ville de Dakar. Si d’aucuns pensent qu’il faut en réduire le nombre pour leur faire épouser le nouvel électorat du parti, d’autres estiment qu’il faut les conserver pour assurer le meilleur « maillage » possible du pays.
Une seule certitude : le PS ne pourra pas entretenir indéfiniment une si lourde machine, ne serait-ce que pour des raisons financières. Ses caisses sont aujourd’hui vides. L’essentiel de ses ressources provient des indemnités partiellement reversées par ses dix députés : 1,5 million de F CFA par mois.
Mais les dirigeants des autres formations amies qui siègent avec lui au sein de l’Internationale socialiste (IS) ne l’abandonnent pas. Président de son comité Afrique, Tanor effectue de nombreuses missions pour le compte de l’IS. Et il n’est pas rare de le voir dans les palais de chefs d’État d’obédience socialiste en Afrique et ailleurs. Une ouverture sur l’international qui peut être source de plus-value, notamment politique dans la perspective des futures batailles électorales.
Après avoir tenu face à la tempête, Tanor s’impose aujourd’hui aux yeux de nombre de ses « camarades » comme celui qui a évité le naufrage. Mais il ne se fait aucune illusion sur sa capacité à remporter la présidentielle de l’année prochaine. Si une phrase à l’adresse du pouvoir (« Au temps du PS, il n’y avait pas ces dérapages ») revient de plus en plus dans leur bouche, les Sénégalais ne semblent pas prêts à faire revenir de sitôt aux affaires ceux qui ont dirigé le pays quarante ans durant.
La direction du parti l’a compris, qui travaille activement à la mise en place d’une force politique commune à toute l’opposition. Après avoir adhéré, au lendemain de sa défaite, au Cadre permanent de concertation de l’opposition (CPC), le PS est aujourd’hui membre actif de la Coalition populaire pour l’alternative (CPA). Laquelle est parvenue à obtenir l’accord de toutes ses composantes sur un programme politique, et à leur faire accepter le principe d’une liste commune aux prochaines législatives.
Le parti bientôt sexagénaire, au passé glorieux, voit l’avenir sous le signe de l’ouverture. Après avoir régné sans partage plusieurs décennies durant, le voici devant une évidence historique : l’ère du parti unique ou écrasant est révolue.

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