Le temps de la division

À moins d’un an des élections législatives, le pays vit au rythme des querelles au sein des partis, voire des scissions. Face au manque d’actions sur le terrain, tout le monde cherche ses repères.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 6 minutes.

Les observateurs de la vie politique congolaise sont unanimes : les partis traversent une période difficile. Pour certains, les turbulences sont telles que l’horizon ne cesse de s’assombrir. À commencer par celui des grandes formations, dont la logique est, pour le moins, déroutante. Les 15 et 16 juillet dernier, par exemple, Michel Mampouya, ancien numéro deux du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI), l’un des grands partis de l’opposition, a organisé à Brazzaville le congrès constitutif de sa propre formation politique, le Parti pour la sauvegarde des valeurs républicaines (PSVR). Il avait été exclu du MCDDI par son président, Bernard Kolélas, qui lui reproche d’avoir composé avec le président Denis Sassou Nguesso, alors que lui-même vivait en exil. Or le même Kolélas, après son retour au Congo en octobre 2005, pour les obsèques de son épouse, s’est bel et bien réconcilié avec le chef de l’État.

L’Union panafricaine pour la démocratie sociale (Upads) de l’ancien président Pascal Lissouba – qui vit en exil en Europe depuis sa chute en 1997 – est aussi en proie aux démons de la division. Tout a commencé en 2001 quand Lissouba nomme Paulin Makita secrétaire général intérimaire du parti, après la suspension de Christophe Moukouéké. Cette promotion n’enchante pas les caciques de l’Upads. Et le promu n’a pas la tâche facile. De rebondissement en rebondissement, la question de la légitimité des uns et des autres se pose. Makita, lui, se considère toujours comme le secrétaire général intérimaire du parti, jusqu’au prochain congrès « qui pourrait se tenir en décembre 2006 ». Pourtant, un nouveau personnage est entré en scène : Pascal Gamassa, ancien ambassadeur du Congo au Gabon et parent de Pascal Lissouba. Il conteste l’autorité de Makita en exhibant des documents que l’ancien président aurait signés et qui le placeraient, lui, à la tête de la Commission nationale préparatoire du congrès (CNPC). Pour Makita, ces documents sont fabriqués par Gassama, qui aurait extorqué la signature de Lissouba, « très malade ». Et il a décidé de porter plainte « contre Gassama et certains autres pour faux et usage de faux ». Il pense que les barons de l’Upads ne lui pardonnent pas sa « virginité politique », sa « popularité auprès des militants », sa « conception démocratique du parti » et « la confiance » que lui témoigne Lissouba.

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Benoît Koukebene, ancien ministre des Hydrocarbures sous Lissouba et qui affirme être « dans le camp de ceux qui veulent que le parti fonctionne », a un autre point de vue : « Gassama est l’homme du consensus. Il faut réhabiliter tout le monde pour aller au congrès. Il n’y a pas de querelle de réformes au sein de l’Upads, c’est une querelle de personnes. » Signe que rien ne va plus, le président du groupe parlementaire de l’Upads à l’Assemblée nationale, Joseph Kignoumbi kia Mboungou, a été limogé par ses camarades en avril. Pour certains, cette crise de l’Upads ne serait rien d’autre qu’une guerre de succession dans laquelle des personnalités originaires de la Bouenza voudraient arracher le leadership à celles du Niari (région de l’ex-président)…

Le Parti congolais du travail (PCT), la formation politique de Denis Sassou Nguesso, est également dans la tourmente. Au cur du débat : la « refondation » ou non de l’ex-parti unique, symbole du « socialisme scientifique » dont certains se réclament encore aujourd’hui. Le camp des « refondateurs », dans lequel on retrouve notamment le président du Sénat et secrétaire général du PCT, Ambroise Édouard Noumazalay, ainsi que Charles Zacharie Bowao, secrétaire général adjoint du gouvernement, veut enterrer le vieux parti pour en créer un nouveau, plus ouvert et rassembleur, « dans un nouvel espace politique ». Les « conservateurs », menés par Gabriel Oba Apounou, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, et Justin Lekoundzou, veulent garder le PCT en le réformant. Charles Zacharie Bowao, l’un des plus ardents partisans de la refondation, contre-attaque : « Ils savent faire du bruit, mais ils sont minoritaires au sein du parti et dans le pays. S’il n’y a pas d’évolution, les élections législatives de 2007 manqueront de visibilité. Comme en 2002, il risque d’y avoir beaucoup de candidats indépendants. Si nous avons une majorité, elle sera fluctuante. Sans refondation, le PCT ne pourra pas gagner. » L’opposition pense pour sa part que la création d’un grand parti n’est qu’une stratégie électorale. « Sassou n’aura plus qu’à dire nous sommes les plus nombreux et nous avons gagné », souligne un opposant. Le congrès de l’ancien parti unique, cent fois reporté, pourrait avoir lieu en décembre. En attendant, les partis de la majorité présidentielle, les Forces démocratiques unies (FDU), ne semblent pas disposés à soutenir le chef de l’État. Ils l’accusent de ne pas tenir compte de leurs préoccupations. Et, surtout, d’avoir « une gestion approximative du pouvoir ».

L’opposition en exil essaye, elle aussi, de donner de la voix. Benoît Koukebene a créé en France un groupe de réflexion baptisé Telema (« debout », en lingala) et « ouvert à toutes les sensibilités ». Il prône « la rupture avec le pouvoir actuel parce que le pays est en difficulté ». Pour cela, il compte sur « la volonté, la détermination, la mobilisation générale de toutes les forces qui ne sont pas d’accord avec ce système ». Dénonçant « la mauvaise gestion du pays et de la manne pétrolière », il propose la transparence, le partage équitable des ressources nationales, la promotion du développement Le général à la retraite Emmanuel Ngouélondélé, ancien chef des services de renseignements congolais dans les années 1980 et parent par alliance de Sassou Nguesso, l’ex-ministre Lambert Galibali, l’homme d’affaires Médard Mbemba et quelques autres, ont mis sur pied le Cercle des républicains pour le nouvel ordre national (Cernon). Leur objectif : sauver le Congo qui « croupit dans un état de dénuement et de privation ». Reste à connaître l’influence réelle des exilés sur les réalités congolaises.

Tant de remue-ménage témoigne que la classe politique congolaise cherche un second souffle. À l’approche des législatives de 2007, il y a beaucoup de débats internes et peu d’actions de terrain, même si quelques meetings sont organisés de temps à autre. Écartelée entre la survie au quotidien et la résignation, l’opposition, souvent accusée d’être corrompue et instrumentalisée par le pouvoir, n’a mené qu’une seule action notable : la constitution d’un front pour réclamer une commission électorale indépendante, à l’initiative d’André Milongo, ancien président de l’Assemblée nationale et président de l’Union pour la démocratie et la république (UDR-Mwinda, opposition). Quant au pouvoir, il a conscience de la crise de confiance ambiante et du principal reproche qui lui est fait : il n’aurait pas tenu toutes ses promesses. Sur le plan sécuritaire, l’équation Frédéric Bitsangou dit Ntoumi, chef du Conseil national de la résistance (CNR), implanté avec ses rebelles dans le Pool, n’est pas résolue. Un proche du dossier indique que le gouvernement, par manque de volonté politique ou par calcul, laisse pourrir la situation. Les hommes du pasteur Ntoumi ont toujours leurs armes, la seule carte qui leur reste. Le rebelle a posé ses conditions, dont certaines apparaissent difficilement acceptables : intégration de 1 500 de ses hommes dans l’armée nationale, reconnaissance du CNR comme parti politique et sa représentation au sein des institutions Sans oublier, pour lui-même, le statut de « ministre d’État résidant au Pool chargé des questions de paix et de la reconstruction ». De source officielle, les contacts ne sont pas rompus.

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Dans la perspective de la présidentielle de 2009, à laquelle Denis Sassou Nguesso sera vraisemblablement candidat, la grande question est de savoir qui seront ses challengeurs. Du côté de l’opposition, c’est le flou. Aucune nouvelle personnalité de stature nationale n’a encore émergé. Quant aux « grandes figures » actuelles, elles ne pourront pas se présenter à cause de la limite d’âge, fixée à 70 ans par la Constitution : Kolélas, Joachim Yhombi Opango, André Milongo, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya Certains pensent à Mathias Dzon, directeur national de la Banque des États de l’Afrique centrale et leader de l’Union patriotique pour le renouveau national (UPRN), une des composantes de la majorité présidentielle. Il pourrait faire figure de candidat « de poids » face à Denis Sassou Nguesso. Encore lui faut-il s’imposer d’ici à 2009.

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