Jusqu’où ira Israël ?

Un mois après avoir déclenché ?son offensive contre le Liban, ?Tel-Aviv est loin d’avoir atteint ses ?objectifs. Et semble décidé, sinon ?à lancer une vaste opération terrestre, ?du moins à poursuivre les bombardements.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 6 minutes.

Après quatre semaines de guerre au Liban, Israël se trouve devant un choix d’une extrême importance pour son avenir : ou bien il continue de bombarder le Liban et se lance dans une vaste opération terrestre, ou bien il stoppe son offensive et entame des négociations, bien que ses buts de guerre n’aient pas été atteints. La première option suppose une volonté guerrière dont Tsahal ne manque pas. La seconde suppose des qualités d’hommes d’État qui semblent faire cruellement défaut au Premier ministre Ehoud Olmert et à ses collègues.
Dans sa folie destructrice, l’aviation israélienne a fait plus de 6 400 sorties contre 4 000 objectifs. Elle a anéanti l’infrastructure nationale du Liban, démoli des villages entiers et une bonne partie de Beyrouth, tué plus de 1 000 Libanais, en a blessé plus de 3 000 et provoqué le déplacement de 1 million de personnes, le quart de la population.
Ces attaques aveugles contre des civils sont un crime de guerre. Mais elles font également apparaître chez les dirigeants israéliens un trouble psychologique profond, une sorte d’égarement, qui a sans doute ses racines dans les longues souffrances et les peurs du peuple juif. Le paradoxe est que plus Israël se comporte de cette manière barbare, plus il massacre d’Arabes, et moins son avenir dans la région est assuré.
Bien avant la création de l’État, quand les sionistes se battaient pour imposer leur présence en Palestine, leurs chefs, tel David Ben Gourion, se sont convaincus que seule la force pourrait venir à bout de l’hostilité arabe. Puisque les Arabes n’accepteraient jamais chez eux un État israélien, il fallait les y obliger. Israël devait dominer militairement la région ou, sinon, risquer de disparaître. Toutes les batailles avaient une dimension existentielle. Toutes les guerres devaient être gagnées ! Telle a été la raison de l’acquisition par Israël d’armes atomiques, et telle est la raison de sa détermination actuelle à empêcher l’Iran, ou n’importe quel autre État de la région, d’en faire autant.
Cette sombre vision de l’environnement arabe et musulman – alliée à un appétit insatiable de terre arabe – explique en partie la sauvagerie de ces dernières semaines. Les Palestiniens, en particulier, devaient être mis au pas, et leur mouvement national réduit à l’impuissance, parce qu’on supposait qu’ils ne pardonneraient jamais aux Juifs de leur avoir volé leur pays. Le résultat a été des décennies d’une oppression criminelle.
Alors que le Liban n’a été victime d’attaques israéliennes que par intermittence, en 1968, 1978, 1982, 1993, 1996 et 2006, les Palestiniens n’ont pas eu un moment de répit au cours du siècle écoulé.
Israël tient absolument à « gagner » la guerre du Liban. Il s’est convaincu qu’il ne peut pas se permettre de la perdre, ou de ne pas « triompher » de manière éclatante. Son premier objectif est de mettre fin aux tirs de roquettes du Hezbollah qui, pour la première fois dans une guerre israélo-arabe, tombent en grand nombre sur le territoire israélien, causant des pertes humaines, paralysant le nord du pays et forçant des centaines de milliers de personnes à se réfugier dans des abris. Le ministre de la Défense, Amir Peretz, a déclaré qu’Israël se battrait jusqu’à ce que le Hezbollah soit désarmé et ne puisse plus envoyer de roquettes sur son territoire.
Même le quotidien du centre gauche Haaretz, généralement pondéré, demande qu’on aille jusqu’à une guerre terrestre pour mettre un terme aux tirs de roquettes. La demande a été reprise sur tout l’éventail politique. « Seule l’armée israélienne peut le faire, s’est écrié le vieux routier de droite, Moshe Arens, et elle doit être la seule. C’est la seule manière de gagner la guerre ! »
Le problème est que détruire le Hezbollah pour mettre fin aux tirs de roquettes n’est peut-être pas un objectif réaliste. Ni Israël ni sans doute personne d’autre n’en a les moyens, comme l’ont démontré ces quatre dernières semaines. Ce n’est certainement pas possible dans les délais que la communauté internationale peut accorder. La force multinationale envisagée qu’Israël souhaite pour protéger sa frontière n’est qu’une fiction. Aucun pays n’enverra de soldats pour combattre le Hezbollah au nom d’Israël.
Israël doit admettre cette désagréable vérité que la force, même une force écrasante, ne peut mettre un terme aux tirs de roquettes. Seules des négociations – et l’acceptation d’un « équilibre de la dissuasion » avec le Hezbollah – pourraient le permettre. Mais Israël est loin d’accepter une telle éventualité.
Une publicité du mouvement La Paix maintenant parue dans le Haaretz du 8 août est ainsi conçue :
« La guerre est contre le Hezbollah
Le cessez-le-feu doit être aussi avec le Hezbollah.
Un accord sans le Hezbollah et la Syrie
Ne vaudra pas le papier
Sur lequel il sera signé. »
Pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions à l’ONU sur une résolution demandant la fin des hostilités, le gouvernement du Premier ministre libanais Fouad Siniora a proposé à l’unanimité de déployer 15 000 soldats au Sud-Liban, mais seulement si Israël se retire immédiatement. Comme le gouvernement compte deux membres du Hezbollah, on doit supposer qu’eux aussi sont d’accord.
Pour faire avaler la pilule aux États-Unis et à Israël, le Liban a suggéré un délai de soixante-douze heures entre l’évacuation israélienne et l’arrivée de l’armée libanaise, quand le Sud-Liban serait sous le contrôle de l’ONU. C’est incontestablement une proposition constructive, mais Israël veut davantage. Il veut que le Hezbollah soit détruit, et hors d’état de mener de nouvelles attaques.
L’opinion israélienne, cependant, et une bonne partie de la presse sont assez lucides pour reconnaître que la guerre se heurte à des difficultés. Si méthodique que soit la destruction, les frappes aériennes n’ont pas arrêté les tirs de roquettes, les affrontements au sol ont été difficiles, coûteux en hommes et en matériel, et n’ont connu qu’un succès limité. Des dizaines de milliers de réservistes ont été rappelés et se préparent. Mais même une offensive sur le fleuve Litani, comme l’envisage le cabinet de guerre, pourrait ne pas suffire à mettre fin aux tirs de roquettes.
La guerre a montré qu’Israël était vulnérable à un affrontement asymétrique conduit par une guérilla arabe, qui a surpris les forces israéliennes par son ardeur au combat, son professionnalisme militaire et la qualité de ses armes. Quoi qu’il arrive ces prochaines semaines, il faudra tirer les leçons de ce qui s’est passé, même si Israël fait l’impossible pour tenir bon, puisque tout cela va contre sa doctrine sécuritaire, contre le mythe de ses « invincibles » forces armées – et aussi contre sa paranoïa invétérée.
La question clé est de savoir s’il y a assez de sagesse chez les dirigeants israéliens – au gouvernement, chez les chefs militaires, à la Knesset, dans les partis politiques et parmi les leaders d’opinion influents – pour comprendre que la vieille formule des conditions imposées à un monde arabe impuissant ne fonctionnera plus. Cette politique a fait son temps. Elle doit être repensée et corrigée. La sécurité d’Israël ne peut pas être obtenue au prix de celle de ses voisins. De fait, en refusant de négocier et de faire des concessions, ou de se retirer complètement du territoire arabe occupé, Israël a créé le phénomène même qu’il voulait éviter – c’est-à-dire des mouvements de résistance arabes qui refusent de se laisser intimider. Le Hezbollah et le Hamas prendront des coups terribles, mais ils ne se coucheront pas. Quelles que soient leurs déclarations sur leur volonté de détruire Israël, ces mouvements ne représentent pas une menace existentielle pour l’État juif. Il est absurde de le penser. Ils ne peuvent pas détruire Israël, mais ils ne veulent pas être détruits.
Israël et les États-Unis les définissent comme des organisations terroristes. Mais ce sont surtout des mouvements populaires qui représentent les aspirations de leurs communautés respectives – les chiites du Sud-Liban, qui subissent depuis des dizaines d’années l’occupation et l’oppression israéliennes, et les Palestiniens persécutés, humiliés et affamés des territoires occupés -, et leur désir d’être libérés de la présence d’Israël. C’est avec eux que l’État hébreu doit maintenant négocier et essayer de s’entendre.
Dans son innocence, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice a dit que la crise actuelle représentait les « douleurs de l’accouchement » d’un « nouveau Moyen-Orient ». Elle pourrait bien s’apercevoir que le Moyen-Orient qui est enfanté par la guerre du Liban n’est pas celui qu’elle attendait.

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