Algérie : la stratégie de l’évitement
Corruption, investissements étrangers, diversification des activités et fin de l’économie de rente… Pendant la campagne présidentielle, les sujets les plus cruciaux pour l’avenir de l’Algérie ont été consciencieusement ignorés. Revue de programmes.
Dans quelques jours, la campagne de la présidentielle algérienne prendra fin. Le vote est prévu le 17 avril. Or, bien qu’elle entre dans une phase très incertaine, l’économie est la grande absente des débats. Après plusieurs années de hausse, les revenus pétroliers ont baissé en 2013, entamant largement l’excédent commercial du pays et faisant planer le risque d’un retour à l’endettement extérieur.
L’Algérie dépend de plus en plus de l’étranger pour nourrir une population de plus de 37 millions d’habitants. En 2013, 9,5 milliards de dollars (6,9 milliards d’euros) de produits alimentaires ont été importés (+ 6,2%). L’industrie est agonisante et représente moins de 4% du PIB, selon le Forum des chefs d’entreprise (FCE).
Silence
Depuis 2001, le gouvernement multiplie les plans d’investissements publics pour faire tourner l’économie, avec un risque évident de dérapage… « Il faut faire davantage attention aux finances publiques, on ne peut pas continuer à augmenter les investissements sans tenir compte du terrain », met en garde Mustapha Mekideche, économiste et membre du Conseil national économique et social (Cnes).
Malgré ce tableau inquiétant, les six candidats à la présidentielle n’ont rien dit – ou très peu – des questions économiques. Dans son programme électoral, Abdelaziz Bouteflika a globalement prôné la continuité : utilisation de la dépense publique comme moteur de croissance, aides massives au logement, révision du code de l’investissement, lutte contre la corruption endémique et le marché noir…
Face à lui, Ali Benflis, ancien chef du gouvernement, s’est engagé à faire bouger quelques lignes, mais sans être très précis. Il serait difficile de trouver dans leurs programmes respectifs un quelconque mode opératoire ou des hypothèses chiffrées. Ont-ils des conseillers économiques ? Qui sont-ils et quelle est leur influence ? Impossible de le savoir. « Les candidats évitent d’aborder les problèmes fondamentaux. On dirait une élection communale », tranche l’économiste algérien Abderrahmane Mebtoul. Examen détaillé.
La fin de l’âge d’or énergétique
L’Algérie vit sur sa manne pétrolière. Depuis le début des années 2000, et grâce à la hausse du prix des hydrocarbures, le pays a accumulé les réserves de change (200 milliards de dollars à fin 2013), mais elles ont été pour l’essentiel investies à l’étranger ou dans le financement d’une généreuse politique de subventions publiques. Renforçant la logique d’économie rentière. « Un tiers du PIB est consacré aux transferts sociaux et aux subventions », souligne Abderrahmane Mebtoul.
Pour les candidats, la campagne électorale n’aura nullement été l’occasion de rompre avec cette logique de rente. En témoigne le plan quinquennal 2014-2019 d’investissements publics proposé par Abdelaziz Bouteflika. « Évoquer de façon insistante la rupture avec la rente pourrait être contre-productif, car, en filigrane, c’est la fin des subventions qui est suggérée – ce que redoutent les Algériens, qui souhaitent que l’État continue de payer les logements, de subventionner les produits de première nécessité et les carburants », lâche Slim Othmani, un important chef d’entreprise algérien.
Mais c’est oublier un élément central : la découverte massive de pétrole et de gaz de schiste aux États-Unis a changé la donne et tire déjà les prix vers le bas. « En 2011, les exportations algériennes d’hydrocarbures vers les États-Unis représentaient de 11 à 12 milliards de dollars. L’année dernière, elles sont tombées à 5,1 milliards de dollars », insiste Mebtoul.
Toujours des promesses…
L’Algérie peine à diversifier une économie fortement dépendante des hydrocarbures – ils représentent plus de 97% des recettes en devises. Les autorités répètent régulièrement leur volonté de réduire cette dépendance, mais sans y parvenir. Amara Benyounes, porte-parole (contesté) du candidat Bouteflika, fixait ainsi dans le journal Metronews l’objectif de « faire passer le secteur non pétrolier de 4%-5% à 10%-15% du PIB dans les cinq prochaines années ».
Mais cet homme politique plutôt libéral fait-il le poids face à un Ahmed Ouyahia, également conseiller du chef de l’État ? Ce dernier promet un soutien à la production nationale, le redéploiement des entreprises publiques en partenariat avec des groupes étrangers et la révision (sans davantage de précision) du code de l’investissement.
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Ali Benflis ne prône pas autre chose en proposant de développer la production nationale, de réduire les importations et d’encourager l’investissement. Il entend en particulier résoudre le problème du manque de foncier industriel et faciliter la création d’entreprises.
« L’Algérie est le seul pays au monde où l’on doit demander une autorisation pour investir dans le pays et créer des richesses », déplore Issad Rebrab, le patron de Cevital, premier groupe privé algérien dont plusieurs projets attendent l’aval du gouvernement (par le biais du Conseil national de l’investissement) depuis des années. Un sujet sur lequel les candidats restent silencieux.
L’investissement à l’étranger
Alors que le Maroc déploie sa diplomatie du business au sud du Sahara, l’Algérie ne semble pas savoir ce qu’est la géopolitique économique. Et ce malgré la puissance de la Sonatrach, première entreprise du continent et géant du pétrole.
Pis, pour investir à l’étranger, les entrepreneurs doivent demander une autorisation. « On ne peut pas développer les exportations hors hydrocarbures sans transférer des devises pour investir et créer des structures à l’étranger », s’indigne Ramdane Batouche, patron de Général Emballage (carton ondulé), une entreprise privée installée à Akbou, en Kabylie, et qui exporte une partie de sa production. Benflis souhaite autoriser les entreprises locales à investir hors des frontières nationales pour leur permettre de se développer. « La volonté politique ne suffit pas. Il faut des instruments efficaces pour déployer des stratégies économiques, ce qui n’existe pas en Algérie », ajoute le PDG d’un groupe privé de services.
La règle des 51%-49%
C’est une loi qui a beaucoup fait parler d’elle. Mise en place en 2009, elle oblige les investisseurs étrangers à s’associer avec un entrepreneur algérien (à hauteur de 51%). Ali Benflis s’est engagé à revoir cette mesure, qui, bien que son bilan soit contesté, semble plutôt bien vue par un grand nombre d’entrepreneurs pour son rôle positif en matière de transfert de technologies.
L’ancien Premier ministre compte la réserver aux secteurs stratégiques uniquement, sans les définir. Bouteflika, lui, ne se prononce pas, ne prenant même pas la peine de la défendre. Quant à la réglementation de change dénoncée par les investisseurs étrangers, ni l’ex-chef de gouvernement ni l’actuel président ne se sont exprimés sur le sujet.
Un climat des affaires plombé
Point noir de l’économie algérienne, le climat des affaires est plombé par plusieurs scandales de corruption, notamment autour de contrats signés avec des compagnies étrangères. « Personne n’aborde le sujet de la corruption », déplore Abderrahmane Mebtoul. La question de la fin de l’économie informelle, frein à la production nationale et à la diversification des ressources fiscales, n’est pas abordée non plus.
Les banques publiques, qui dominent le secteur, ont une politique de crédit souvent difficile à comprendre ou qui, en tout cas, exclut les PME. « Aujourd’hui, il vaut mieux être importateur que producteur en Algérie », déplore un entrepreneur. Ce dossier non plus n’aura pas été examiné lors de la campagne.
Des patrons tétanisés
Le 15 mars, Slim Othmani démissionnait bruyamment du Forum des chefs d’entreprise (FCE) après l’annonce, par l’organisation patronale, qu’elle apportait son soutien à Abdelaziz Bouteflika (comme en 2004 et en 2009). Depuis, personne ne l’a officiellement suivi. Un désaveu ? « Vu le nombre impressionnant de messages de soutien qu’il a reçus de toutes parts, certainement pas », commente un proche du patron. Selon nos informations, une trentaine de dirigeants auraient suivi son exemple en quittant eux aussi le FCE, mais sans bruit. De fait, les chefs d’entreprise algériens ont globalement choisi de garder le silence, malgré l’indigence du débat économique pendant la campagne. Les seuls à s’être engagés officiellement se rangent derrière Bouteflika, à l’instar d’Ali Haddad, le PDG d’ETRHB Haddad, un géant privé du BTP, ou de Reda Kouninef, dont le groupe est actif dans l’agroalimentaire, les travaux publics et les médias. Ce sont d’ailleurs eux qui ont poussé le FCE à prendre position.
Issad Rebrab, le plus grand chef d’entreprise du pays, qui s’était prononcé contre Bouteflika en 2004 et 2009, s’est tu cette fois. Les décideurs économiques algériens font preuve de résignation ou, c’est selon, de pragmatisme. « Je préfère la continuité à l’aventure », résume un membre du conseil national du FCE. « Lorsque l’on fait des affaires, on ne peut pas se faire un ennemi du pouvoir », explique un autre, présent lors du vote de soutien et tétanisé, comme beaucoup d’autres, par un système omnipotent et sans vision économique.
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