Désarmement, mode d’emploi

Près de 16 000 miliciens ont été démobilisés depuis la fin des hostilités. Mais la réinsertion dans la vie civile se heurte aux difficultés économiques.

Publié le 21 août 2006 Lecture : 4 minutes.

Brazzaville, avenue Foch, l’une des grandes artères de la capitale. Un pick-up blanc est coincé dans un embouteillage de taxis, de 4×4 clinquants et de voitures vieillottes pleines à craquer. Posé à l’arrière du véhicule, un coffre cadenassé. À l’intérieur, des munitions de gros calibre, peut-être des grenades, voire des pistolets-mitrailleurs, des fusils Il est 13 heures en cette fin juillet. Le conducteur et ses collègues viennent de passer la matinée à sillonner la capitale pour collecter des armes. Ils travaillent à la mise en uvre du Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (PNDDR).

Cette ambitieuse opération succède à une série d’autres menées entre 2000 et 2005. Objectif : récupérer les armes disséminées à travers le pays – particulièrement dans le Pool, le département qui entoure Brazzaville – pendant une décennie de guerres civiles et réinsérer leurs détenteurs. Avec plus de 11 000 obus, lance-grenades et autres pièces d’artillerie collectés et près de 16 000 miliciens officiellement réintégrés à la société durant la période – selon les chiffres du Haut-Commissariat à la réinsertion des ex-combattants -, le but n’est que partiellement atteint. Des armes et des munitions subsistent çà et là, essentiellement à Brazzaville, cachées sous un matelas, enterrées dans une rue ou dans les bancs de sable du fleuve Congo. En 2005, 30 000 armes sont encore en circulation dans le pays, estime Small Arms Survey, un centre de recherche sur les armes légères basé à Genève. Autant d’ex-miliciens doivent être réinsérés, juge de son côté le Haut-Commissariat. L’institution, créée en 2001 à l’initiative des autorités congolaises, compte quatre commissaires représentant les différents signataires des accords de paix.
Après quoi de nouvelles opérations sont jugées nécessaires pour consolider la paix une bonne fois pour toutes : le PNDDR, financé par la Banque mondiale et l’Union européenne à hauteur de 17 et 8 millions de dollars respectivement, est lancé en février 2006. Actuellement et dans un premier temps, la collecte se déroule à Brazzaville et dans le département du Pool, les deux principaux foyers des guerres. Elle est effectuée par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Si les opérations se révèlent concluantes, elles s’étendront à l’ensemble du territoire, hormis les départements de la Likouala, de la Sangha (Nord) et du Kouilou (Sud-Ouest).
Pour inciter à rendre les armes, un système précis de points est appliqué : un lance-roquettes vaut 4 points, un fusil-mitrailleur en rapporte 7 et un obus, 9. L’ex-combattant reçoit en proportion un « kit de réinsertion », qui peut comprendre : une chaise en plastique (25 points), une boîte à outils (250), un moulin à foufou (farine de manioc) électrique (3 200) Pour celui qui sait ce qu’il veut, d’autres équipements sont disponibles « hors catalogue ». Par principe, il est en revanche impossible d’obtenir de l’argent. Autre règle : ce n’est pas le bénéficiaire, mais les employés du Pnud, qui effectuent les achats. Pour se faire connaître, ces derniers ont recours aux services de chefs « intermédiaires » de milices qui démontrent à leurs ouailles tout l’intérêt qu’ils peuvent tirer de leur participation au programme. Si des armes sont effectivement rendues grâce à leur entremise, ils reçoivent 20 000 F CFA (30 euros) par journée. L’ex-milicien peut venir en personne au bureau du Pnud à Brazzaville, mais également passer par un émissaire, et même utiliser un pseudonyme pour remplir le reçu. Il peut également se regrouper avec des frères d’armes ou des voisins pour un lot de plus grande valeur. Le pick-up du Pnud va vers celui qui ne veut pas faire le déplacement. Les armes sont ensuite sciées, en présence de témoins. Une entorse à la règle, toutefois : le 20 mars dernier à Brazzaville, un bûcher de 300 pièces a été embrasé lors de la visite du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Une opération symbolique – et médiatique – pour montrer à la communauté internationale la détermination du gouvernement en matière de désarmement.
De février à juin, 1 000 pistolets-mitrailleurs, 500 grenades offensives, 11 000 munitions de gros calibre, 350 000 cartouches ont été notamment collectés. Près de 1 450 personnes se sont prêtées à l’exercice, dont 80 % d’anciens Cobras, les partisans de l’actuel chef de l’État. Du côté des « vainqueurs », ils ne craignent pas pour leur sécurité. Intimidés par le pasteur Ntoumi, leur chef spirituel qui déclare qu’il n’abandonnera les armes que lorsque ses revendications politiques seront satisfaites, les ex-Ninjas ne représentent que 15 % des désarmés. « Les négociations avec le pasteur Ntoumi n’ayant pas encore abouti, le programme ne peut pas se targuer d’être avancé », confie un membre du Haut-Commissariat. De fait, 97 % des collectes ont jusqu’à présent eu lieu dans la capitale. Certains qui n’ont jamais tenu un pistolet se rendent au bureau du Pnud dans l’espoir de repartir avec un petit quelque chose : ainsi de cette veuve venue déposer les fusils de son époux.
Reste à réinsérer 30 000 personnes, dont 19 000 ex-combattants « auto démobilisés » et 5 000 Ninjas encore actifs autour du pasteur Ntoumi. Après des journées de sensibilisation au Sénat et à l’Assemblée nationale en mars et en avril derniers, les équipes du Haut-Commissariat ont fait le tour des départements au mois de mai, à la recherche de relais – chefs de village et d’ex-combattants – pour faire passer le message. Deux options sont proposées à ceux qui rendent les armes : la réalisation d’un projet de petite entreprise viable – moyennant une formation et un encadrement assuré par une agence – ou la recherche d’un emploi, avec l’aide du Haut-Commissariat. La triste réalité économique – d’après le « Profil sur la pauvreté au Congo en 2005 » publié par les autorités, seuls 56 % des adultes ont un emploi formel – constitue un handicap à la réussite de cette nouvelle formule. Mais, sur le papier, la solution est idéale.

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