Tchad : risky business
Alain Faujas est journaliste.
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Alain Faujas
Alain Faujas est spécialisé en macro-économie.
Publié le 30 avril 2014 Lecture : 3 minutes.
Surprise, le Tchad va mieux ! Oh, ce n’est pas la gloire, et tout y est beaucoup plus compliqué que chez ses voisins. « Mais on oublie que la croissance y est tirée par le pétrole, rappelle Yves Boudot, directeur du département Afrique à l’Agence française de développement (AFD). C’est un État fort militairement et faible en termes de maîtrise d’ouvrage. Son développement passera par l’accélération de la mise en oeuvre des réformes. »
Véritable catastrophe économique et sociale, le pays reste abonné aux dernières places dans tous les classements mondiaux : indice de développement humain de l’ONU, Doing Business de la Banque mondiale, Forum économique de Davos, indice de perception de la corruption de Transparency International…
Et pourtant, si l’amélioration est trop lente et peu équitablement répartie, elle est réelle. Certes, les 106 000 barils extraits chaque jour ne profitent guère à la population, mais ils remplissent les caisses de l’État. Ces caisses ont beau être encore opaques, elles permettent d’assurer un investissement public important, à défaut d’être optimal, et de développer les infrastructures routières, énergétiques ou immobilières. Reste que, avec une espérance de vie d’à peine cinquante ans, on vit encore cinq ans de moins en moyenne au Tchad que dans le reste de l’Afrique subsaharienne, malgré un indice de pauvreté qui recule d’environ 1 % par an depuis dix ans.
Services, infrastructures, énergie… À peu près tout reste à faire dans ce pays. Pour les investisseurs étrangers, le jeu en vaut la chandelle.
Des progrès sont également perceptibles du côté de la croissance et des finances publiques. La fin des affrontements armés a permis de réduire les dépenses militaires, et de nouveaux champs pétroliers entrent en production. En conséquence, une forte hausse du PIB est annoncée, de plus de 10 % pour l’année 2014.
À en croire le Fonds monétaire international (FMI), un tiers des dépenses publiques étaient exécutées selon une procédure d’urgence entre 2007 et 2010. Cette proportion a été ramenée à un cinquième en 2012, et la clarté des comptes de l’État s’en est trouvée un peu améliorée.
Mais que la guerre est jolie… Avec son intervention militaire au Mali, le Tchad a prouvé aux institutions de Bretton Woods qu’elles ne pouvaient plus ignorer les exigences financières de la sécurité régionale.
« La Banque mondiale et le FMI ont donc réactivé le processus d’annulation de la dette du Tchad bloqué depuis 2002, explique Sébastien Dessus, chef économiste à la Banque mondiale pour une partie de la zone sahélienne. En signe de bonne volonté, N’Djamena a mis fin à un prêt trop coûteux de 2 milliards de dollars contracté auprès de l’Eximbank chinoise. Ce retour à l’orthodoxie devrait bientôt permettre l’effacement de près de 1 milliard de dollars de dette tchadienne. C’est important, moins en raison des 40 à 50 millions de dollars que le Tchad n’aura plus à rembourser chaque année que parce qu’il ne sera plus en situation de dette insoutenable. Ce qui permettra à de nombreux bailleurs de fonds de revenir vers lui. »
Reste que le retour des bailleurs de fonds publics ne suffira pas à consolider le développement tchadien. Il lui faudra aussi séduire les investisseurs privés pour faire décoller l’emploi et le secteur formel, mais les fonds étrangers demeurent effrayés par les foucades du pouvoir et les méandres d’une administration peu efficace. « On perçoit bien la volonté officielle d’assainir le climat des affaires, souligne Jaouhar Ben Zid, directeur opérationnel du nouveau bureau de Deloitte à N’Djamena. Mais il ne semble pas que l’agence des investissements chargée de simplifier la vie des créateurs d’entreprise ait les moyens nécessaires pour réduire les délais des procédures.
Le Tchad demeure enclavé, et le manque d’infrastructures routières augmente le coût des produits importés. La main-d’oeuvre est peu formée, l’accès à l’électricité aléatoire et la fiscalité inéquitable, puisqu’elle ne pèse que sur le secteur formel et que le Tchad n’a pratiquement pas signé de conventions fiscales avec d’autres États qui éviteraient la double imposition. »
Est-ce à dire que le Tchad demeure une destination dangereuse en termes économiques que tout entrepreneur rationnel doit éviter ? « Absolument pas, répond Jaouhar Ben Zid. À peu près tout reste à faire dans ce pays, et l’offre, à tous points de vue (services, infrastructures, énergie…), y est si peu développée que ceux qui y investiront les premiers connaîtront un développement très rapide et bénéficieront d’une sécurité rétablie. » La prise de risque en vaut la peine. Oui, que la guerre est jolie… quand elle s’arrête.
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