Comment Kadhafi a pris Wade de vitesse

Publié le 21 août 2006 Lecture : 3 minutes.

La rencontre surprise, le 8 août à N’Djamena, entre le président tchadien Idriss Déby Itno et son homologue soudanais Omar Hassan el-Béchir consacre la réconciliation entre les deux pays amorcée lors du dernier sommet de l’Union africaine, à Banjul (Gambie).
En dépit de la conclusion, au mois de février à Tripoli, d’un accord de paix parrainé par Mouammar Kadhafi, les deux pays avaient en effet rompu leurs relations diplomatiques, deux mois plus tard. Au cur de ce conflit larvé : la guerre dans la province soudanaise du Darfour. On sait que le Tchad soutient activement les rebelles soudanais repliés sur son territoire. Et inversement.
La dernière médiation qui a abouti aux retrouvailles de N’Djamena a été conduite, au nom de l’UA, par le président sénégalais. Pourquoi Abdoulaye Wade ? « Parce que le Sénégal, explique Ahmat Allam-mi, le chef de la diplomatie tchadienne, est un grand ami de notre pays et que le contingent qu’il a affecté à la mission de l’UA au Soudan pourra jouer un rôle important dans la création d’une force chargée de neutraliser les milices. » Wade entretient également d’excellentes relations avec le gouvernement soudanais, dont il fut, dit-on, longtemps le conseiller. Il est surtout l’un des rares dirigeants africains à avoir clairement reproché au président soudanais de chercher à déstabiliser le Tchad.
Au début de sa médiation, à Banjul, Wade se fait pourtant damer le pion par le « Guide » libyen, qui parvient à organiser une entrevue entre Déby Itno et Béchir. Mais il reprend bientôt la main. Le ministre tchadien des Affaires étrangères se rend à Khartoum, et Lam Akol, son homologue soudanais, à N’Djamena. Le 27 juillet, dans la capitale tchadienne, les deux hommes signent un procès-verbal censé constituer le prélude à la rencontre des deux chefs d’État, le 9 août à Dakar, pour la réconciliation officielle. Pour bien préparer cet événement, Wade séjourne au Tchad, puis à Khartoum et dans le Darfour, où il rend visite à la force de maintien de la paix de l’UA. Et puis, le 8 août, plusieurs chefs d’État se retrouvent à N’Djamena pour l’investiture de Déby Itno (réélu à la tête de l’État le 3 mai).
Wade convainc Béchir, qui n’est pas invité, de faire le déplacement. Pendant la cérémonie, les deux hommes prennent place côte à côte. Arrive le moment où les invités doivent féliciter leur hôte. Le protocole les appelle à tour de rôle. Il est prévu que Béchir et Wade soient appelés en même temps. En attendant, c’est le tour de Kadhafi. À l’appel de son nom, le « Guide » ne bronche pas. On le voit faire un signe de la main à un membre de sa suite, puis lui parler à l’oreille. L’homme appelle le chargé du protocole et s’entretient avec lui quelques instants. Peu après, Kadhafi et Béchir sont appelés simultanément et se dirigent, ensemble, vers Déby Itno. Accolades générales. Kadhafi saisit le bras de ses collègues et les lève vers le ciel.
Wade n’en croit pas ses yeux : le Libyen vient de lui voler la vedette. Dépité, il rentre chez lui juste après la cérémonie. La rencontre de Dakar est désormais sans objet. Elle aura peut-être lieu, pour la forme, « après le 25 août », selon Ahmat Allam-mi. En attendant, Déby Itno a quand même, le 9 août, dépêché à Dakar son Premier ministre, Pascal Yoadimnadji, et son ministre des Affaires étrangères. Peut-être pour remercier Wade d’avoir joué un rôle dans la réconciliation.
La normalisation des relations entre N’Djamena et Khartoum pourrait déboucher sur une évolution de la situation au Darfour. Le Soudan, qui refuse toujours le déploiement d’une force onusienne dans sa province occidentale, devra reconsidérer son soutien aux milices djandjawids, qui y sèment la mort et la désolation. Il devra surtout cesser d’offrir une base arrière aux rebelles tchadiens. Le Tchad, quant à lui, est condamné à lâcher les rebelles du Darfour.
En définitive, Déby Itno apparaît comme le grand gagnant de l’opération : la présence d’une dizaine de chefs d’État à son investiture légitime son élection controversée. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, il vient de normaliser ses relations avec la Chine et de renouer avec la Banque mondiale. Les grands perdants sont les mouvements politico-militaires qui le combattent, sans succès, depuis plusieurs mois, même si ceux-ci conservent leur capacité de nuisance.

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