Jean-Baptiste Satchivi, militant économique
Dans un contexte national hostile au secteur privé, Jean-Baptiste Satchivi, le nouveau président de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin s’est donné cent jours pour redresser l’organisation.
Le téléphone sonne. Jean-Baptiste Satchivi s’excuse. À l’autre bout du fil, Thomas Boni Yayi est inquiet : en cette mi-mars, les autorités nigérianes ont à nouveau fermé la frontière qui sépare leur pays, désormais première puissance économique du continent, de son « petit » voisin ouest-africain.
Écouté
Si le président béninois appelle, c’est pour recueillir l’avis de l’un des principaux – et des rares – capitaines d’industrie du pays. Quelle stratégie tenir face aux tensions sur les importations de riz, de pneumatiques ou d’autres biens ?
« Le Nigeria ferme régulièrement sa frontière avec le Bénin », décrypte Jean-Baptiste Satchivi, une fois la conversation terminée. Récemment élu à la tête de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin (CCIB), l’homme d’affaires a d’ailleurs fait de ces fermetures à répétition l’un des points importants de son mandat. « Nous allons établir une plateforme de discussion permanente entre les entreprises du Nigeria et celles du Bénin », souligne-t-il, ajoutant : « Comment peut-on être situé à côté de la première puissance économique du continent et ne pas être la deuxième ? »
Moustache et mouche finement taillées, cheveux ras légèrement grisonnants, regard noir perçant, Jean-Baptiste Satchivi a l’aisance de l’homme habitué au succès. Mais pas l’arrogance. Fondateur, avec son épouse Gilberta, du groupe CDPA-Agrisatch, un leader de l’aviculture et du négoce alimentaire au Bénin, il semble ne plus avoir qu’une seule idée en tête : redonner vie à une CCIB à la dérive depuis cinq ans et même pratiquement à l’abandon depuis deux ans.
Talon a été banni, Ajavon et Olofindji Babatundé ont été écartés…Pas lui.
Au terme d’une campagne de près d’une année, 84 élus consulaires ont été désignés le 5 anvier dernier. Vingt jours plus tard, un bureau central de sept personnes et des bureaux régionaux étaient nommés, avec, à leur tête, Jean-Baptiste Satchivi. « Je veux bâtir une chambre de commerce forte, au service de tous, active sur un territoire étendu et porte-étendard du secteur privé à l’international », souligne le patron.
Audits
Le 15 juin, la période des cent jours fixée par le nouveau dirigeant s’achèvera. Les audits opérationnels et financiers de cette institution employant 90 personnes, la rénovation du siège et la modification du schéma organisationnel seront en principe achevés. « C’est un budget de 750 millions de F CFA [1,15 million d’euros] pour cette seule période », lâche Satchivi.
Le patron entend revoir la gestion financière d’une CCIB qui n’avait même plus les moyens de remplacer les moteurs de ses 50 véhicules, bâtir un budget solide et redynamiser un dialogue public-privé qui, selon lui, « peine à décoller ». Et bien sûr faire la promotion du Bénin qui avance. Sur le coton – « il faut monter à un taux de transformation de 30% à 40%, contre 5% aujourd’hui » -, l’industrie (le « parent pauvre du Bénin »), les énergies renouvelables ou les partenariats public-privé, Satchivi se montre disert. Mais orientez la discussion sur la politique économique de Thomas Boni Yayi ou le très délicat climat des affaires au Bénin, et il se montre plus prudent.
Pas un mot plus haut que l’autre, Satchivi reste souriant. « Il veut vraiment rester neutre sur le plan politique », analyse un financier qui le connaît bien. Dès sa nomination, il a eu à traiter un cas très épineux : celui des deux huileries du pays en conflit avec l’État sur la question cotonnière. Satchivi a fait preuve de la plus grande habileté, demandant aux huiliers de prouver les avaries (humidité excessive et acidité du coton) qu’ils dénonçaient avant de se prononcer… « Outre Talon, d’autres hommes d’affaires de premier plan ont été plus ou moins bannis. Notamment Sébastien Ajavon, un concurrent direct de Satchivi. D’autres, comme Razaki Olofindji Babatundé, ont été un peu écartés, explique un entrepreneur, qui s’interroge : Comment Satchivi fait-il pour ne pas être emporté par la vague paranoïaque qui atteint le sommet de l’État ? »
Politique
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Pour Boni Yayi, Satchivi incarne l’entrepreneur vertueux, celui dont le pays a besoin. Une sorte d’anti-Patrice Talon. Le président et ses proches ne se privent pas de le mettre en avant publiquement. De fait, le parcours qui a mené à la création d’un groupe dynamique au chiffre d’affaires de 75 millions d’euros a tout du beau symbole.
En 1988, Jean-Baptiste et Gilberta se lancent dans l’aventure avec une poissonnerie à Dantokpa, le marché de Cotonou. L’activité décolle grâce aux qualités de manageur du premier ainsi qu’à la (modeste) fortune familiale de la seconde.
En 2007, le couple ouvre dans la zone de Porto-Novo la Société de brasserie et de boissons (SBB), qui fabrique l’Obama Beer à partir de produits locaux comme le sorgho.
Deux ans plus tard, Agrisatch, une autre filiale de CDPA, inaugure un complexe avicole moderne de 25 ha dans la commune de Tori-Bossitô, à 35 km de Cotonou. Tout est automatisé, 90 000 oeufs sont produits chaque jour, 28 000 futurs poussins sont en incubation. En 2013, le groupe reçoit le soutien des agences financières de développement française Proparco et belge BIO dans le cadre d’un projet d’extension de la production. Le marché nigérian voisin, énorme consommateur de volailles, est dans la ligne de mire.
Famille
Depuis son élection à la tête de la CCIB, Jean-Baptiste Satchivi a officiellement laissé la direction du groupe à son épouse et à Jean-Claude Sodatonou, directeur opérationnel. « Dans la pratique, Gilberta avait déjà une très grande influence, précise un proche. Elle essaie de préserver CDPA, l’activité d’import-export qui constitue encore la part la plus importante du groupe. Les deux pôles industriels, Agrisatch et SBB, c’est son aventure à lui. »
L’entreprise familiale ne devrait donc pas pâtir des nouvelles fonctions de Satchivi. Mais jusqu’où ira-t-il, se demandent certains, songeant à Jean-Louis Billon, président de Sifca, dont la nomination à la tête de la CCI ivoirienne a constitué le premier pas vers une carrière politique.
« Les CCI sont l’antichambre des ministères », commente un financier. Satchivi n’en dit mot. Mais son programme pour l’économie du pays est clair : discuter en permanence avec les autorités pour prévenir les problèmes plutôt que d’avoir à les régler en pleine crise, être un militant économique du Bénin et lancer les états généraux du privé. La suite viendra en son temps.
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