Un bateau à la mer

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

L’Union pour la Méditerranée (UPM) a donc été lancée en fanfare à Paris par des Européens, des Africains et des Asiatiques : une (petite) cinquantaine de chefs d’État, pas moins !
Tout aura été fait pour nous impressionner, nous faire croire que nous assistions à la mise à la mer d’un vaisseau de ligne appelé à accomplir un beau voyage.

Dans sa dernière livraison, Jeune Afrique vous a présenté les atouts et les faiblesses de cette étrange construction. Le beau nom d’Union que ses auteurs lui ont donné sera-t-il mérité, ou bien paraîtra-t-il usurpé, comme je le crains ?
Avons-nous assisté à la naissance d’une grande idée et d’une ÂÂoeuvre appelées à faire leur chemin, à laisser une trace dans l’Histoire, ou bien à la mise en place d’un nouveau « machin » sans avenir ?
Le bateau accomplira-t-il le grand périple annoncé, ou bien est-il voué à faire des ronds dans l’eau sans effets notables sur la région ?
Je me suis posé ces questions dans un éditorial de La Revue pour l’intelligence du monde, dont je reprends ici l’essentiel, en rappelant la genèse et les données de l’UPM.
La réponse qui s’en dégage est, vous le verrez, sans appel.

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Auteurs de l’idée, Nicolas Sarkozy et son conseiller spécial, Henri Guaino, nous avaient annoncé, au début de 2007, une Union médi­terranéenne dont la France serait le héraut, l’organisateur et le chef de file. Mais, dès le 20 décembre de la même année, devenu président de la République, Nicolas Sarkozy s’est rendu à l’évidence : la France ne pouvait porter un projet aussi vaste et être, seule, le grand interlocuteur européen des pays de la rive sud. Il accepta donc d’embarquer l’Italie et l’Espagne dans le bateau de la future Union dont le capitaine, cependant, restait français.
Le plus méditerranéen des pays d’Europe, la Grèce, fut tout simplement oubliéÂÂ
Sur ce, au nom de l’Union européenne (UE), dont elle était devenue le centre et, d’une certaine manière, la conscience, l’Allemagne* rappela la France et ses deux coéquipières à leurs obligations : membres de l’UE, elles n’étaient plus libres de leurs mouvements et ne pouvaient « y aller » sans le reste de l’Europe.
Ignoraient-elles que l’UE avait déjà mis en ­ÂÂoeuvre depuis plus de dix ans un certain « processus de Barcelone » liant ses membres aux pays méditerranéens ?
Angela Merkel, chancelière d’Allemagne, traça la voie à suivre, la seule qui fût possible : « Le processus de Barcelone avait été un flop, certes. Mais c’est de là qu’il faut partir et dans ce cadre qu’il faut se placerÂÂ »
Bon gré, mal gré, la France, l’Espagne et l’Italie acceptèrent d’enterrer l’Union méditerranéenne et de revenir auÂÂ processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée.

Pour camoufler leur reculade et le changement de nature auquel ils ont consenti, les auteurs français du projet ont recours à deux artifices :
– Chaque fois qu’ils le peuvent, ils oublient d’appeler le projet par son nouveau nom et tentent d’accréditer le sigle UPM.
– Ils pensent avoir sauvé les apparences en se faisant les hôtes, à Paris, de son premier sommet et en le convoquant le 13 juillet, veille de la fête nationale française.
Nonobstant cette tentative de maquillage, nous sommes très clairement en présence d’une resucée ou d’un « réchauffé » du processus de Barcelone.
La venue à Paris, les 13 et 14 juillet, de nombreux chefs d’État de la rive sud de la Méditerranée a permis de l’habiller différemment, de lui donner un peu de lustre.
Voulez-vous un autre signe de ce rétrécissement ? La France de Nicolas Sarkozy a confié le dossier de cette Union à l’un de ses ambassadeurs, Alain Le Roy. Va-t-il attacher son nom à l’entreprise, consacrer quelques années de sa carrière à la faire monter en puissance ? Non : il est déjà nommé à une autre haute fonctionÂÂ et pas en Méditerranée ! D’ailleurs, avant d’être chargé de l’UPM, il était en posteÂÂ à Madagascar.

Sarkozy et Guaino ont donc pensé, en 2007, que la France serait capable d’être « le coeur et le moteur » d’une politique « d’entente et de coopération » entre les pays riverains de la Méditerranée.
Il ne fait aucun doute que l’actuel président de la République française entend redonner à son pays une place prépondérante dans l’espace géopolitique Méditerranée – Moyen-Orient. Il a senti que le pays de De Gaulle en avait besoin, ne serait-ce que pour faire contrepoids à cette Allemagne devenue le centre de l’Europe.
« La France ne peut être la France sans la grandeur », disait Charles de Gaulle. Elle aspire en tout cas à jouer un rôle international actif pour rester dans « la cour des grands ».

Mais, en 1993, à l’initiative de son Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, elle a choisi d’abandonner son rôle de puissance africaine. Elle renonçait ainsi aux fruits d’un investissement séculaire et même aux avantages que lui donnait l’utilisation de sa langue par 150 millions d’Africains.
Devenu président de la France (de 1995 à 2007), Jacques Chirac « l’Africain » n’a pas esquissé, sauf en paroles, le moindre retour vers l’AfriqueÂÂ
Oubliant ce qu’elle leur devait, sous-estimant le supplément de puissance qu’ils lui avaient apporté, la France s’est donc détournée des Africains (au nord comme au sud du Sahara).
Elle a abaissé le rideau de ce côté-là et, se tournant vers le Nord et l’Est, mis tous ses jetons sur la case Europe.

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Quinze ans se sont écoulés depuis le « tournant Balladur » ; la France, c’est une évidence, n’a plus ni les hommes, ni les moyens financiers, ni même la liberté juridique ou la volonté d’être pour les pays de la rive sud de la Méditerranée un vrai partenaire.
Ces « partenaires » méditerranéens et africains ne sont ni sourds ni aveugles : pourquoi prendraient-ils au sérieux les discours qu’elle tient alors qu’elle ouvre toutes grandes ses portes à n’importe quel travailleur pourvu qu’il soit européen, tandis qu’elle les verrouille devant tout Méditerranéen ou Africain, fût-il francophone, fût-il étudiant ou chercheur ?

Plusieurs chefs d’État du sud de la Méditerranée trouveront leur compte, une poignée de chefs d’entreprise européens à la recherche (prudente) de marchés dans ce qu’on leur dira être « une annexe de l’Europe » tâteront l’eau.
Le nouveau « machin » occupera des centaines de fonctionnaires. Mais il me paraît exclu que l’UPM ait pris racine – et le grand large – d’ici à la fin de l’actuel mandat de Nicolas Sarkozy, en 2012.

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* Le passage de l’Union européenne de 15 à 25 puis 27 membres a en effet « grandi » l’Allemagne en la plaçant au centre géographique de l’UE, lui donnant du même coup cet « espace vital » et ces pays satellites dont elle a toujours rêvé. Regardez une carte : c’est frappant.

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