Pour qui roule Charles Konan Banny…

Officiellement, l’ancien Premier ministre s’est rangé sous la bannière d’Henri Konan Bédié. Mais il ne fait pas preuve d’un enthousiasme débordant à l’égard de son aîné.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 6 minutes.

Banquier réputé, Charles Konan Banny est devenu, à 66 ans, un animal politique. En tournée en France de la fin juin à la mi-juillet, l’ex-Premier ministre a pris un malin plaisir à distiller les petites phrases et à entretenir le doute sur ses intentions. « Nul ne peut me chasser de la maison du père », a-t-il notamment rappelé en revendiquant l’héritage de Félix Houphouët-Boigny, le premier président ivoirien.
De quoi ouvrir la guerre de succession à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Officiellement, l’ex-gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) s’est rangé sous la bannière d’Henri Konan Bédié en réintégrant en février le bureau politique du PDCI, qu’il ne fréquentait plus depuis 1990. Mais il ne fait pas preuve d’un enthousiasme débordant à l’égard de son aîné, à qui il reproche ses dérives sur l’ivoirité et sa gestion autoritaire du parti.
Entre la famille Banny et le « Sphinx de Daoukro », on n’en est pas aux premières anicroches Jean, le frère aîné, figure du PDCI, qualifiait il y a peu le président déchu de « casseur imprudent de canari » (NDLR : il a laissé le pouvoir lui filer entre les doigts).
À Paris, le 21 juin, Charles a prononcé un discours de plus d’une heure devant les militants houphouétistes, qu’il veut engager dans la reconquête du pouvoir. Pour cela, il les appelle à bâtir une « société de confiance » en revenant aux fondamentaux du père de la nation, suggère de dresser le bilan de l’action du PDCI depuis la mort du « Vieux » et propose de démocratiser le fonctionnement du parti.
Un activisme qui ne laisse pas indifférent l’entourage du président Bédié, qui le somme de manifester un peu plus d’entrain à soutenir leur champion. « Il doit attendre que le présent passe son heure », indique un cadre du parti.

Homme du recours
Si CKB semble avoir fait une croix sur l’élection de novembre, il n’est pas prêt à se laisser dicter sa partition et milite ouvertement pour une candidature unique des houphouétistes, incarnée indifféremment par Alassane Dramane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR), ou Bédié. Une proposition accueillie favorablement par le secrétaire général du PDCI, le professeur Alphonse Djédjé Mady : « Il a raison. C’est l’idéal. Maintenant, entre ce qui est souhaitable et ce qui est possible »
Du côté du RDR, on ne souhaite pas commenter officiellement ces déclarations, de peur de rompre l’équilibre fragile de la coalition houphouétiste. « On ne peut que s’en réjouir. Banny est appelé à jouer un rôle important dans le futur », affirme néanmoins un des leaders du parti de Ouattara sous le couvert de l’anonymat. De là à penser que CKB jouerait la carte ADOÂ Rien n’est moins sûr, car l’ex-gouverneur privilégie la réconciliation avec Bédié. Ces derniers mois, il s’est rendu à plusieurs reprises au domicile de l’ancien président, à Daoukro, accompagné de son frère Jean ou de chefs coutumiers pour dissiper les malentendus. Bédié reprochait notamment à son cadet d’avoir débauché plusieurs cadres du PDCI dans l’optique de créer son parti politique.
« Les candidats des partis sont tous désignés pour le prochain scrutin. Tout est question de moment ou de situation », explique celui qui se pose en homme du recours bénéficiant de l’onction post mortem d’Houphouët, avant d’enchaîner : « Je suis un homme neuf mais pas nouveau. J’ai laissé des résultats qui sont le reflet de mes ambitions. »
Message reçu cinq sur cinq par les militants, qui spéculent déjà sur l’après-Bédié. « Banny possède une dimension internationale et de l’expérience mais n’a pas encore l’appui d’un parti », explique un de ses soutiens.
Justement, c’est la tâche à laquelle il semble s’atteler depuis son départ de la primature, en mars 2007. Après s’être accordé une période de repos, l’ancien Premier ministre a vite été sollicité pour quelques discrètes interventions telles que la promotion de son ami Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Mais son principal souci reste de mettre en place la structure et les hommes pour une conquête méthodique du pouvoir lors des élections de 2013.
Il s’appuie pour cela sur un premier cercle qui l’accompagnait déjà à la primature. Son cabinet privé, installé dans sa résidence à La Riviera, est dirigé par le professeur Leonard Kodjo, ancien « dircab » d’Henriette Diabaté, numéro deux du RDR, lorsqu’elle était ministre de la Culture. Banny peut compter sur un chargé de communication, Franck Kouassi, un conseiller pour la jeunesse et les relations avec les partis politiques, Jean Mbahia, et un chargé de mission plus particulièrement affecté aux relations avec les autorités traditionnelles, Lambert Kouamé. Il dispose enfin d’un véritable homme de confiance en la personne de Léon Konan Koffi, dont le rôle a toujours été de gérer les dossiers « sensibles » et « réservés ».
Depuis plus d’un an, Banny a redécouvert son pays en participant aux événements culturels, traditionnels et politiques. Il a d’abord sillonné le centre et le sud de la Côte d’Ivoire, régions d’implantation des Akans comme lui. Il compte partir prochainement à la conquête de l’Ouest, de l’Est et du Nord.
Comment finance-t-il ses activités ? C’est un sujet tabou. En théorie, il dispose de revenus liés à ses anciennes fonctions de gouverneur de la BCEAO et de Premier ministre. On le dit aussi actionnaire de plusieurs sociétés, dont la Banque atlantique, et propriétaire de biens immobiliers. La Lettre du Continent lui a même attribué cinq comptes en Suisse. L’ancien Premier ministre a formellement démenti, et a attaqué le courrier hebdomadaire en justice. « Je n’ai aucune affaire, précise l’intéressé. J’ai tout juste une plantation de cola, mais je n’ai guère le temps de m’en occuper. »
À Abidjan, les journées de CKB sont bien remplies. Levé aux aurores, il commence par écouter et regarder les médias internationaux, puis consulte les revues de presse concoctées par ses conseillers. Ensuite, il enchaîne les visites très politiques : militants et cadres houphouétistes, élus, autorités traditionnelles Il consulte régulièrement le président du RDR, qu’il considère comme un ami depuis que celui-ci l’a accueilli à la BCEAO et avec lequel il a une proximité d’analyse en matière d’économie.
Banny garde, par ailleurs, de bonnes relations avec Guillaume Soro, son successeur à la primature. Les deux hommes ont manifesté publiquement leur estime réciproque lors de la quatorzième célébration de la mort d’Houphouët-Boigny, en décembre dernier. Avec Gbagbo, les rapports sont plus ambigus, même si Banny revendique une certaine sympathie : « Lorsqu’on se voit, il m’appelle Charlie. Le problème, c’est qu’il a cru à tort que je voulais le doubler pour la présidentielle. » Il côtoie également Henriette Diabaté et Laurent Dona Fologo, président du Conseil économique et social (CES), lors des offices dominicaux de l’église Saint-Jean de Cocody.

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Son ami Chirac
Dans les mois à venir, on devrait entendre parler de lui. Il réfléchit à la mise en place d’une fondation et prépare un livre d’entretiens dans lequel il dévoile sa vision de l’évolution de la société ivoirienne, ainsi qu’un autre ouvrage retraçant son itinéraire personnel. Le natif de Divo ne manque pas d’atouts. Son épouse est originaire du Nord, et il a également un demi-frère dont la mère est bétée. Diplômé de l’Essec à Paris, il est entré à la BCEAO en 1976, en a grimpé toutes les marches avant d’en prendre les rênes en janvier 1994. Son ami Jacques Chirac l’a imposé fin 2005 à la primature pour relancer un processus de paix « englué ».
Banny semble avoir pris goût à l’exercice du pouvoir. Avant de briguer le fauteuil de président, il se dit disponible pour jouer un rôle dans la campagne des houphouétistes. Une occasion qu’il pourra mettre à profit pour tester ses talents d’orateur et sa popularité auprès des foules. Une répétition pour 2013, en quelque sorte.

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