L’histoire d’amour de Xu Jinghu

À Pékin, le directeur des affaires africaines est une femme. Figure incontournable de la diplomatie, elle pourrait être appelée à de plus hautes fonctions dans un avenir proche.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 4 minutes.

Au ministère chinois des Affaires étrangères, pendant de longues années, le poste de directeur général du département des affaires africaines ne passait pas pour être un cadeau. Jamais personne n’aurait envisagé que cette responsabilité puisse, un jour, devenir un tremplin vers une carrière ministérielle. Et pourtant, la voie de garage est devenue une voie royale.
Tout a changé, il y a dix ans, quand l’Afrique s’est progressivement installée au premier rang des priorités de la diplomatie chinoise. En 2006, un ancien fonctionnaire de ce département, Lü Guozeng, est devenu vice-ministre des Affaires étrangères. Et, aujourd’hui, c’est la propre directrice des affaires africaines, Xu Jinghu, qui est donnée comme une possible ministre dans un futur proche. C’est dire l’importance que revêt désormais l’Afrique aux yeux des dirigeants chinois. En témoigne d’ailleurs le nombre croissant de déplacements sur ce continent du président Hu Jintao et du Premier ministre Wen Jiabao.
Très connue en Afrique, mais aussi dans les milieux diplomatiques du monde entier, Xu Jinghu, 53 ans, a passé vingt-neuf années à s’occuper du continent noir. Non seulement elle a accompagné sur le terrain le renforcement spectaculaire des relations entre la Chine et l’Afrique, mais, surtout, c’est elle qui conçoit la politique africaine de Pékin depuis les années 1990.
En novembre 2006, quand le gouvernement chinois a organisé le premier sommet Chine-Afrique – avec la participation de plus de quarante chefs d’État africains – dans la capitale chinoise, Xu, qui en était l’un des principaux artisans, a connu son heure de gloire : la préparation de cette réunion planétaire a été pour elle l’occasion de rencontrer les plus hauts dirigeants chinois et de faire preuve de ses nombreux talents.
Si Xu Jinghu a sillonné l’Afrique dans sa presque totalité, elle n’y a pourtant résidé qu’à deux reprises. Au Gabon, de 1985 à 1989, comme troisième secrétaire d’ambassade, puis à Madagascar en tant qu’ambassadrice, entre 2001 et 2004. Durant ces deux mandats, elle a noué de nombreuses amitiés avec les dirigeants, les politiques et les professionnels locaux. À Madagascar, elle a même été invitée au mariage de la fille du Premier ministre, ce qui, des années plus tard, ne manque pas de lui laisser un souvenir émerveillé.
La « Madame Afrique » chinoise est née le 28 octobre 1954 dans une famille nombreuse de la banlieue de Changshu, à 70 kilomètres de Shanghai. La ville est connue pour son lac, ses promenades en montagne et, surtout, pour être une pépinière de talents (la cité a vu grandir, au cours de son histoire, 8 Premiers ministres, 19 académiciens et des dizaines de célébrités dans de multiples domaines).
La jeune Xu reçoit une éducation très stricte de son père, un cadre local. Sa mère est infirmière dans un hôpital. Excellente élève à l’école primaire et secondaire, Xu, qui avait 12 ans quand éclata la Révolution culturelle, n’en fut pas moins contrainte d’interrompre ses études, comme des millions de « jeunes instruits », pour aller à la campagne se faire « rééduquer par la classe paysanne ». Les travaux agricoles et cette expérience dans un milieu rude la marqueront profondément. Toute sa vie elle aura à cÂÂur d’attirer le respect des autres et de les aider à lutter pour améliorer leurs conditions de vie.
À la fin de la Révolution culturelle, quand on voulut rouvrir les portes des facultés, il s’avéra que les talents manquaient : dix années s’étaient écoulées sans qu’ait été organisé le moindre examen d’entrée à l’université ! Le gouvernement chinois puisa donc dans le vivier des meilleurs « jeunes instruits » pour former une nouvelle élite de diplomates, ingénieurs, chercheurs, etc.
Xu Jinghu faisait partie de la sélection. En octobre 1975, elle est admise à l’institut des langues étrangères de Pékin pour y apprendre le français. Quatre ans plus tard, brillamment diplômée, elle intègre le ministère des Affaires étrangères. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, appelé lui aussi à devenir ambassadeur, Gao Yusheng. Ce qui vaut au couple de constituer aujourd’hui le seul ménage d’ambassadeurs chinois francophonesÂÂ
Des années plus tard, dans une interview accordée à une revue chinoise, l’ancienne étudiante de l’institut des langues avouera qu’elle a commencé sa carrière en Afrique avec desÂÂ ciseaux ! Le Premier ministre de l’époque, Zhou Enlai, ayant en effet déclaré que, « dans la diplomatie, rien n’est insignifiant », Xu prit le départ de son impressionnant parcours africain en s’immergeant dans la presse : chaque jour elle dévorait les journaux et découpait tout ce qu’elle y trouvait concernant l’Afrique, avant de transmettre les informations aux responsables de son service. En même temps, elle ne cessait de collecter pour son propre compte les données de toute nature qui lui ont permis de comprendre en profondeur le continent.
Un continent dont elle a fini par « tomber amoureuse », selon son propre aveu. Sans doute la diplomate aura retrouvé sur cette terre, où la ruralité n’a pas disparu, un peu de ses origines campagnardes. En vingt ans, Xu Jinghu a visité plus de trente pays africains. Elle est souvent tombée malade, a enduré moustiques, climats et guerres. Comme beaucoup de diplomates chinois, elle a toujours donné la priorité à son travail. Quand elle a été en poste au Gabon, son fils de 3 ans est resté en Chine chez ses parents. Pendant des années, ils ont communiqué grâce à des enregistrements apportés par des collègues qui venaient en mission. Lorsque son beau-père est décédé en 1985, ses occupations l’ont empêchée de se rendre aux funérailles. Quant aux fêtesÂÂ À neuf reprises, la diplomate a fêté le nouvel an en Afrique, préférant se ruiner en téléphone pour entendre la voix de ses proches plutôt que de rentrer au pays pour la circonstance !
C’est peu dire que la croissance permanente des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine doit énormément à ce bourreau de travail. Xu Jinghu est désormais un interlocuteur incontournable. Et pour longtemps encoreÂÂ

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