L’Europe cadenassée

Dans la foulée de la « directive retour », l’Union européenne vient d’adopter le « pacte sur l’immigration et l’asile ». Même si la portée du nouveau texte sera avant tout symbolique, sa validation témoigne d’une évolution inquiétante de la politique migr

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Après la « directive retour », adoptée le 18 juin par les eurodéputés du Parlement de Strasbourg, place au « pacte sur l’immigration et l’asile ». C’est sûr, la Croisette a vécu des moments plus glamours ! Défendu par Brice Hortefeux, le ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, et érigé au rang de priorité de la présidence française de l’Union européenne, le texte a été présenté le 7 juillet dernier au Conseil européen de Cannes sur la justice, les affaires intérieures et l’immigration. La version finale, amendée pour tenir compte des réticences espagnoles, a fait l’objet d’un large consensus, accréditant l’idée que l’immigration, hantise de Nicolas Sarkozy, est en passe de devenir une obsession européenne.
Le document concocté par l’ami de trente ans du président français pourrait être signé dès le mois d’octobre. Son préambule souligne que l’Union, qui reçoit chaque année quelque 2 millions de migrants, « n’a pas les moyens d’accueillir dignement tous ceux qui voient en elle un eldorado ». Du Sarkozy dans le texte. Le pacte invite donc les États membres à mettre en place une politique d’immigration « choisie », qui ferait la part belle aux migrations professionnelles, et à améliorer, « selon les procédures et les moyens qui leur paraîtront adaptés », les politiques d’intégration des étrangers non communautaires. Il incite en outre les Vingt-Sept à s’assurer de l’application de la règle voulant que ceux qui se trouvent en situation irrégulière sur un territoire le quittent effectivement.

Un coup de matraque dans l’eau ?
La France, qui souhaitait bannir les vagues de régularisations massives très prisées par Madrid ou Rome, a toutefois dû faire machine arrière sur ce point pour ne pas froisser ses partenaires et hypothéquer l’avenir de son projet, dont l’unanimité était requise pour être adopté. Le pacte se borne donc à une formulation qui ne mange pas de pain : l’UE « convient d’écarter les régularisations générales et inconditionnelles pour se limiter à l’avenir à des régularisations au cas par cas, dans le cadre des législations nationales, pour des motifs humanitaires ou économiques ». Le « contrat d’intégration », auquel faisait mention la première mouture du texte, a par ailleurs été écarté de la version finale, toujours à la demande de l’Espagne. Concernant l’asile, Paris a dû tenir compte des objections de Berlin et renoncer à l’idée de créer une agence européenne disposant de pouvoirs d’instruction et de décision. En lieu et place, un bureau destiné à faciliter les échanges d’information entre les Vingt-Sept verra le jour l’an prochain. Une procédure d’asile unique sera également instaurée d’ici à 2012, même si chaque État conservera la faculté d’offrir ou non sa protection à un demandeur.
En fait, le pacte sur l’immigration et l’asile s’assimile avant tout à une déclaration de principes et n’aura pas, à brève échéance du moins, une portée comparable à la « directive retour », qui donne la possibilité à un État de prolonger jusqu’à dix-huit mois la durée de rétention d’un clandestin. L’Europe donne en effet le sentiment de s’être dotée d’un pacte sans s’être véritablement penchée sur la question de l’immigration dans toutes ses dimensions, et ce alors que le Vieux Continent – qui n’a jamais aussi bien porté son nom – est confronté à une sérieuse crise démographique et à l’inéluctable phénomène du vieillissement. Alors que, d’un pays à l’autre, les situations diffèrent considérablement, l’harmonisation souhaitée par Nicolas Sarkozy sera, elle, impossible à atteindre avant longtemps, car la question migratoire continue de relever de la souveraineté des États. Depuis plusieurs années, la France est ainsi, parmi les grands pays d’Europe, celui qui est le plus restrictif. Elle n’a accueilli, en 2006, que 135 100 immigrés légaux supplémentaires – dont une écrasante majorité au titre du regroupement familial, un droit qui n’est pas susceptible d’être remis en question car garanti par la convention européenne des droits de l’homme et reconnu par la jurisprudence -, contre 181 500 en Italie – qui applique pourtant des quotas -, 509 800 au Royaume Uni, 558 500 en Allemagne, et 803 000 en Espagne, championne, il est vrai, des régularisations.Â
Est-ce à dire que le pacte n’est rien d’autre qu’un coup de matraque dans l’eau ? Pas vraiment, car il dispose d’une indéniable portée politique – il a été unanimement adopté par le Conseil des vingt-sept ministres – et, plus encore, symbolique. Si, pour son architecte, Brice Hortefeux, il est équilibré et ne promeut « ni Europe forteresse ni Europe passoire », sa signature prochaine, quelques semaines après celle de la directive retour, ajoutée aux propos aux relents toujours plus xénophobes de beaucoup de dirigeants européens, va incontestablement raviver le spectre d’une Europe bunkerisée, repliée sur elle-même, jalouse de ses richesses, et synonyme, pour l’étranger, de visas et de fermeture hermétique des frontières. Le pacte va en outre jeter une ombre – indélébile ? – sur le projet d’Union pour la Méditerranée, lancée à Paris le 13 juillet, dans lequel les plus sceptiques ne veulent voir qu’un instrument de plus pour gérer les flux migratoires.

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Levée de boucliers latino
Évidemment, les réactions aux nouvelles orientations européennes sur l’immigration ne se sont pas fait attendre. Les plus virulentes sont venues d’Amérique latine. Réunis en sommet à Tucumán, en Argentine, le 1er juillet, les pays du Mercosur, le marché commun sud-américain, sont montés au créneau pour dénoncer fermement la directive retour – qualifiée de « directive de la honte » -, ses velléités de criminalisation des migrants irréguliers, et la perception négative de l’immigration qu’elle reflète. Cette levée de boucliers latino-américaine s’explique : la région « a accueilli avec générosité et solidarité des millions de migrants européens » au cours des siècles écoulés et s’étonne de l’ingratitude de l’UE, souligne le communiqué rédigé par les chefs d’État.
Et l’Afrique, pourtant concernée au premier chef par la directive ? Rien. Réunis en sommet à Charm el-Cheikh les 30 juin et 1er juillet, les dirigeants de l’Union africaine ont fait preuve d’un silence assourdissant. Mieux : certains, pour conserver des rapports privilégiés avec Paris, se sont empressés de signer des accords « de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire », qui se traduisent notamment par des facilités de réadmission. Le Gabon (juillet 2007), le Congo-Brazzaville (octobre 2007), le Bénin (novembre 2007), le Sénégal (février 2008), la Tunisie (avril 2008) pourraient bientôt être imités par l’Égypte, le Cap-Vert, le Mali et le Cameroun. « La France et mon pays sont d’accord sur l’essentiel », vient de déclarer le président camerounais, Paul Biya, à Brice Hortefeux. La messe semble dite.Â

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