Les Rambo de la frontière

Le ministère de la Défense recourt de plus en plus à des sociétés militaires privées. D’ici à la fin de l’année, tous les agents de sécurité postés aux check points de Cisjordanie seront des civils.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 3 minutes.

Agitation parmi des travailleurs palestiniens qui attendent de passer au tentaculaire poste de contrôle entre Bethléem et Jérusalem. Les hommes, qui ont attendu patiemment une bonne partie de la nuit, sont fatigués et ont peur d’être en retard sur les chantiers israéliens voisins. L’un d’eux vient de tenter de resquiller, et les autres protestent bruyamment. Jusqu’à une date récente, les gardes armés chargés de rétablir l’ordre auraient été des soldats ou des policiers israéliens. Mais le jeune homme qui se dirige vers le trublion, le fusil d’assaut à l’épaule, est un civil. Il a les cheveux longs et mal coiffés, un look que même le règlement très souple de Tsahal n’aurait pas toléré. Sous son gilet pare-balles, il ne porte pas d’uniforme, mais un simple pull vert. Ici aussi, des emplois d’ordinaire réservés à des militaires sont de plus en plus confiés à des compagnies privées de sécurité. C’est un changement qui n’a guère retenu l’attention dans un pays qui, par ailleurs, s’intéresse de près aux affaires militaires et qui reste profondément attaché à son armée.
Selon le gouvernement israélien, ce changement profite à tout le monde. Les civils palestiniens sont mieux accueillis et mieux informés par d’autres civils formés à la tâche que par de jeunes soldats de 19 ans un peu trop nerveux. « Personne n’aime les contrôles de sécurité, explique Shlomo Dror, porte-parole du ministère de la Défense. L’objectif est de faciliter les contacts, d’un côté, tout en respectant, de l’autre, les impératifs de sécurité. » Le ministère israélien de la Défense a commencé à faire appel à des compagnies de sécurité privées il y a plus de deux ans, mais leur présence n’a été remarquée que très récemment. Selon Dror, la totalité des trente points de passage par lesquels les Palestiniens peuvent entrer en Israël comptent aujourd’hui des agents de sécurité privés, et il y en a au moins un dont ils ont entièrement la charge. Pour l’instant, ils ne travaillent qu’aux postes-frontières avec la Cisjordanie. Le gouvernement israélien refuse de donner des chiffres. Selon Dror, ils sont « plusieurs centaines », mais le nombre devrait augmenter rapidement. « À la fin de l’année, indique Dror, tous les agents de sécurité des postes de contrôle seront des civils. »

Une bonne affaire
Pour des sociétés comme Modiin Ezrahi, qui prétend être la plus importante d’Israël, c’est une bonne affaire. « L’armée et la police israéliennes, dit son vice-président, Yehiel Levy, confie de plus en plus à des civils des tâches jusqu’ici réservées à des militaires et à des policiers. » Modiin Ezrahi n’a commencé que l’an dernier à envoyer du personnel sur les postes de contrôle. La société compte aujourd’hui environ deux cents agents en activité autour de Jérusalem. Mais cette tendance à la privatisation des postes de contrôle est vigoureusement dénoncée par des associations de défense des droits de l’homme comme B’Tselem et Machsom Watch. L’ONU, de son côté, constate des « difficultés » à certains endroits depuis les changements. Hanna Barag, de Machsom Watch, traite de « Rambo » ces agents de sécurité. « Ils ne sont pas plus civils que les soldats, dit-elle, avec leurs armes et leurs gilets pare-balles. »
Daniel Levy, un spécialiste du Moyen-Orient de la New America Foundation à Washington, ancien conseiller du ministre israélien de la Défense Ehoud Barak, estime que le recours à des civils fait davantage entrer l’occupation dans les moeurs en facilitant la surveillance des déplacements des 2,5 millions de Palestiniens. « Cela donne le sentiment que l’occupation n’est plus le même fardeau, dit-il. En fait, le fardeau est simplement déplacé. » Pour Hanna Barag, cette privatisation vise à « déconnecter la population israélienne de la réalité de l’occupation ». « Contrairement aux jeunes soldats impressionnables, dit-elle, les gens qui font ce boulot, quand ils rentrent chez eux, ne racontent pas à leur mère ce qu’ils ont dû faire. »

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