[Chronique] Nigeria : des motifs d’espoir au-delà de l’or noir
Face à la plus grave récession que le Nigeria ait connue depuis quarante ans, et malgré des contraintes persistantes, les réformes s’accélèrent.
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Nicholas Norbrook
Rédacteur en chef de The Africa Report
Publié le 27 novembre 2020 Lecture : 3 minutes.
Le pétrole n’a été découvert dans le delta du Niger que quatre ans avant l’indépendance du Nigeria, dont le 60e anniversaire a été célébré en octobre. Depuis lors, l’exportation de matières premières a dominé l’économie, au détriment du progrès industriel. La consommation règne, la création de valeur est minime.
« À l’indépendance, l’économie du pays était très prometteuse, l’agriculture étant l’épine dorsale des trois régions. Dans le Nord, l’arachide, le coton, la gomme arabique, dans l’Ouest, le cacao, et dans l’Est, les produits dits “de palme” », se souvient Aliko Dangote.
Pour l’homme le plus riche d’Afrique, le dynamisme de l’économie prépétrolière et les débuts de l’agroalimentaire auraient pu placer le Nigeria sur le même chemin industriel que nombre de pays asiatiques.
Pour les plus optimistes, Dangote illustre cette lutte contre la domination du pétrole. D’abord, sa richesse s’est construite sur le sucre et le ciment, et non sur le pétrole. Il se trouve par ailleurs au cœur de la politique industrielle du Nigeria, qui incite les producteurs à s’approvisionner en matières premières localement.
Marché intérieur
Cette politique a été conçue par le général Olusegun Obasanjo. Premier président élu démocratiquement en 1999, il choisit d’imiter la politique des chaebol sud-coréens : l’émergence de champions nationaux. Sous la présidence de Goodluck Jonathan, la loi de 2011 sur le contenu local dans l’industrie pétrolière a contribué à la création d’une série d’importantes compagnies locales, dont Seplat et Oando.
Le gouvernement actuel du président Buhari « protège » aujourd’hui les riziculteurs de la concurrence internationale (frontières fermées, fourniture d’engrais et d’intrants à bon marché).
Il faut cependant noter que la promotion de l’industrie locale s’est faite parallèlement à l’ouverture économique. Olusegun Obasanjo, par exemple, a libéralisé le secteur des télécommunications, qui contribue désormais à hauteur de 40 milliards de dollars au PIB du Nigeria – l’équivalent de toute l’économie du Cameroun voisin.
Le mélange de forces du marché et d’aide de l’État a fonctionné – pour certains
Et le secteur de la tech du Nigeria à lui seul mobilise des dizaines de millions de dollars chaque trimestre. La première véritable licorne africaine est nigériane : Interswitch, spécialiste des paiements. Sa jeune rivale Paystack a été rachetée, à la mi-octobre, par l’américain Stripe.
Depuis la fin des années 1990, tant le PIB que le revenu par habitant sont en forte progression. Ce mélange de forces du marché et d’aide de l’État a donc fonctionné – pour certains. Le capitalisme nigérian continue cependant de s’adresser aux plus forts et aux plus influents : les géants locaux et les multinationales étrangères.
Le taux de chômage a triplé depuis cinq ans ; un Nigérian sur deux est au chômage ou sous-employé. Les optimistes diront qu’il s’agit là d’étapes difficiles mais nécessaires sur la voie d’une économie florissante, et que les entreprises nigérianes sont meilleures que bien d’autres firmes africaines pour « internaliser » la création de valeur au lieu d’importer passivement des biens étrangers. Et ce dans une multitude de secteurs.
Accélération des réformes
Comme l’explique Don Jazzy, le chef de file de la musique nigériane : « Il ne s’agit pas seulement de créer des artistes mondiaux, mais de développer cette industrie en Afrique. Nous essayons d’instaurer une plus grande sécurité de l’emploi, plus que de faire émerger juste une superstar. »
De nombreuses entreprises étrangères quittent le marché nigérian, ou l’évitent
Il en va de même pour des industriels comme Aliko Dangote et Abdul Samad Rabiu, passés de l’importation de produits de base à la création d’industries nationales et qui travaillent sur des projets de raffinerie. On peut déjà imaginer quels types de projet de grande valeur seront menés.
Les pessimistes insisteront sur les contraintes qui persistent. Les seuls ports nigérians coûtent aux entreprises quelque 6,5 milliards de dollars de pertes de revenus chaque année…
S’y ajoutent des obstacles moins visibles, comme les coûts engendrés par le système judiciaire. De nombreuses entreprises étrangères quittent le marché nigérian, ou l’évitent ; moult PME locales sont harcelées pour des pots-de-vin. Il reste que ce marché exerce un attrait indéniable sur les investisseurs.
En 2017, les investissements directs étrangers ont rebondi à 12 milliards de dollars. Face à la plus grave récession que le pays ait connue depuis quarante ans, les réformes s’accélèrent pourtant.
On se dirige vers une privatisation partielle de la compagnie nationale pétrolière. Les prix de l’électricité et du carburant sont déréglementés. Les réformes du système juridique pourraient institutionnaliser le pouvoir des États de la fédération, loin du gouvernement fédéral. Il y a encore de l’espoir.
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