Le coiffeur fou de Casablanca

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 2 minutes.

Quand on est en voyage et que le voyage se prolonge, tôt ou tard se pose la question du coiffeur. Eh oui, on ne peut pas toujours faire de la philosophie, on ne peut pas disserter chaque semaine sur Kant ou Ibn Hazm : aujourd’hui, c’est de taille et de tonsure qu’on va causer. Hier, votre serviteur était donc confronté à Casablanca au problème du merlan (sympas, les synonymes, ça évite les répétitionsÂ). Marre d’être hirsute, marre des cheveux qui se dressent sur l’occiput comme épis au vent, il fallait d’urgence trouver un artiste capillaire. Mais lequel ? N’habitant plus depuis belle lurette à Casa, je pose la question autour de moi ; et chacun de m’indiquer des adresses plus faramineuses les unes que les autres, jusqu’à celle du hajjam qui coupe les tifs à Brad Pitt quand celui-ci visite le royaume – mais pour cela, il fallait aller à Marrakech. Bref, mille suggestions jusqu’à ce que mon ami Anas me précise que son coiffeur est sourd-muet.
Un figaro sourd-muet, là, je dresse l’oreille.
C’est un rêve, un coiffeur silencieux : au moins, il ne vous infligera pas ses commentaires sur la marche du monde, sa solution ingénieuse pour résoudre le conflit du Proche-Orient et sa recette du tagine aux pruneaux. Je dis donc banco, aboule l’adresse de l’oiseau rare ! Anas objecte qu’il s’agit d’un quartier populaire, excentré, mal famé Qu’importe !
Effectivement, le zigoto était sourd-muet. Mais en même temps, c’était l’homme le plus bavard que j’aie jamais rencontré. Certes, il s’exprimait par gestes, mais il parlait tout le temps, donc il agitait sans arrêt les mains, lesquelles tenaient des ciseaux pointus et même, de temps à autre, un rasoir effilé. L’angoisse En plus, il n’arrêtait pas de me donner des petits coups dans les côtes pour que je lui réponde, donc il fallait bien que je le « déchiffre ». Vous avez déjà essayé de déchiffrer à l’envers – dans le miroir – les propos d’un sourd-muet armé jusqu’aux dents ? Non ? Alors vous avez échappé à un grand moment de panique. Évidemment, je disais oui à tout ce qu’il racontait, puisque c’était lui qui brandissait l’arme blanche ; mais on ne pouvait exclure un malentendu et ses sanglantes conséquences, lui lisant sur mes lèvres blêmes des « bien sûr » épouvantés, moi épelant à l’envers ses gestes désordonnés.
J’en suis sorti vivant, mais la boule à zéro : comment dit-on « ça suffit » à un corsaire aux écoutilles ensablées ? La leçon, ami lecteur : si vous vous trouvez un jour à Casablanca, évitez le sourd perruquier. N’importe quel autre vous soûlera de ses bavardages, mais au moins vous n’aurez pas à craindre pour votre vieÂ

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