La crise mondiale aux portes du continent

Après avoir échappé aux récentes turbulences économiques, l’Afrique est à présent menacée. Les signes sont déjà tangibles : ralentissement de la croissance et hausse de l’inflation.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique a peur. Elle était le continent que les prévisionnistes annonçaient comme le seul à accélérer encore son rythme de croissance en 2008 (+ 6,3 %) et en 2009 (+ 6,4 %). Du nord au sud et en dépit des plaies des conflits persistants, elle gérait de mieux en mieux ses chiches ressources. Mais voici que la crise partie des États-Unis il y a tout juste un an se fait mondiale et paraît incontrôlable. Au début, ce fut l’explosion de la « bulle » immobilière et l’imprudence des financiers américains et européens. Puis la mécanique infernale a fait fuir les investisseurs vers les matières premières, pétrole en tête, dont les cours ont grimpé vertigineusement depuis trois mois. Ont suivi la baisse du dollar, la dégringolade des Bourses, qui ont perdu entre 20 % et 50 % depuis le début de l’année, y compris à Johannesburg et à Lagos (voir encadré), l’inflation, qui a atteint des niveaux inédits dans les pays industrialisés (4 %-5 %) comme dans les économies en développement (9 %-10 %), symptômes d’autant plus inquiétants qu’aucune autorité supranationale n’est en mesure d’y remédier.
La semaine dernière au Japon (voir encadré p.70), les huit nations les plus riches du monde n’ont rien trouvé à dire de crédible sur le désordre monétaire (yuan et dollar trop faibles, euro trop fort), sur le troisième choc pétrolier en cours avec un baril montant à 140 dollars ou sur l’épreuve alimentaire provoquée par le doublement du prix de la plupart des céréales en un an. Si le ralentissement de l’économie mondiale s’aggravait, nul doute que l’Afrique en subirait, elle aussi, les conséquences. Les experts du Fonds monétaire international (FMI) ont calculé que sa croissance avait une chance sur cinq de retomber à moins de 5 % l’an, bien loin des 7 % requis (et presque atteints) pour faire reculer la pauvreté de moitié d’ici à 2015, selon les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) fixés par l’ONU.
On sait par quels canaux la crise mondiale peut contaminer les économies africaines. Le premier est le commerce extérieur. En effet, la moindre croissance et l’inflation dans les pays du Nord inhibent les achats de leurs consommateurs, ce qui déclenche en cascade une moindre demande de produits industriels, puis une contraction de la demande de minerais qui servent à fabriquer ceux-ci. L’Afrique figurant parmi les grands exportateurs de matières premières verrait ses recettes d’exportation amputées gravement. Selon les modèles de prévisions, on estime que 1 point de croissance mondiale en moins réduit la croissance africaine de 0,3 à 0,5 point. Deuxième mode de transmission de la crise : le canal financier. Les arrivées de capitaux privés ont plus que quadruplé depuis 2000 et ont représenté en 2007 53 milliards de dollars, c’est-à-dire le double de l’aide publique internationale. Autant dire que ces investissements privés se tariraient rapidement si l’Afrique retombait en léthargie. Troisième mode de transmission de la crise et, désormais, le plus dangereux, l’inflation. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, a prévenu, le 9 juillet, que ce fléau était « en train de devenir incontrôlé » dans certains pays émergents d’Amérique latine et d’Afrique. On pense évidemment plutôt à l’Afrique du Sud, qui vient de franchir le seuil des 11 % d’inflation, qu’à l’aberration du Zimbabwe, dont on sait qu’il a dépassé les 100 000 % !

Prix alimentaires : + 83 % depuis 2005
Andrew Berg et Paulo Drummond, du département Afrique du FMI, ont analysé les dégâts provoqués par l’inflation dans l’économie de ce continent. « De nombreux pays africains subissent de plein fouet la crise mondiale des prix du carburant et de l’alimentation, note leur rapport publié le 1er juillet. La flambée des prix alimentaires, en particulier, frappe surtout les pauvres, qui consacrent souvent une très grande part de leurs dépenses à l’alimentation -, et risque donc d’annuler les progrès accomplis en matière de lutte contre la pauvreté, de cohésion sociale et, plus généralement, de développement. » Ils ajoutent : « La hausse des prix du carburant (exemple : + 44 % pour le gazole en Côte d’Ivoire depuis le 7 juillet) produit, elle aussi, des effets dévastateurs de diverses manières : elle fait monter le coût de la production agricole et aggrave la crise alimentaire. » L’ONG Oxfam estime que les prix alimentaires ont bondi de 83 % depuis 2005 et que cette poussée a fait basculer 100 millions de personnes dans l’extrême pauvreté, soit 1 dollar par personne et par jour. Berg et Drummond concluent : « Pour de nombreux pays, la conjonction de ces deux chocs entraîne une augmentation considérable de la facture d’importations, ce qui risque de nuire à leur stabilité macroéconomique, à la croissance et aux efforts déployés pour atteindre les Objectifs du millénaire. » Dix-huit pays africains sont particulièrement menacés. Il s’agit des pays où la hausse des prix du carburant et de l’alimentation a absorbé la moitié de leurs réserves en devises (Érythrée, Éthiopie, Guinée, Liberia, Madagascar, Malawi, République démocratique du Congo et Zimbabwe) ou représente 2,5 % de leur produit intérieur brut (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, République centrafricaine, Sierra Leone et Togo).
Existe-t-il des parades à ces menaces ? Le FMI préconise une aide extérieure qui donnerait à ces pays un répit pour étaler dans le temps les hausses inévitables et éviter de coûteuses émeutes de la pauvreté. Côté alimentaire et à court terme, il faudra également une aide que Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, a chiffrée à 10 milliards de dollars, en majorité pour l’Afrique subsaharienne. Mais, Union européenne, Banque mondiale et FMI en tête, tous les donateurs en sont d’accord : le vrai remède à l’inflation des prix agricoles réside dans une forte augmentation de la productivité du paysan africain. Car les rendements de blé dur en Algérie sont dix fois inférieurs à ceux de l’Europe occidentale ; 4,9 % des terres arables africaines seulement sont irriguées et 11 % sont plantées avec des semences sélectionnées, contre 55 % des terres asiatiques. Si l’on veut que la production de lait de la vache africaine passe de 1 litre par jour à 15 – ce qui est tout à fait possible -, il est nécessaire de fournir à son éleveur des trayeuses électriques, une chaîne du froid, donc de l’électricité, une nutrition animale adaptée et des vétérinaires. Cela s’appelle une « révolution verte ». Elle n’aura pas lieu sans les milliards d’euros et de dollars d’aide annoncés par les pays riches et pas encore parvenus à leurs destinatairesÂ

la suite après cette publicité

À quand la révolution verte ?
Mais cette « révolution » arrivera trop tard pour amortir la crise qui est aux portes de l’Afrique. Il faut donc que celle-ci persévère dans les réformes de gouvernance qui lui ont valu, depuis le début de ce siècle, une croissance prometteuse. Elle doit poursuivre la construction d’ensembles économiques régionaux (SADC, UEMOA, etc.) attractifs pour les investisseurs et seule solution aux pénuries alimentaires locales. Enfin, les Africains doivent prier pour que l’Asie continue de se comporter comme la locomotive mondiale à la place d’un Occident languissant. La Chine partout sur le continent, mais aussi l’Inde et le Japon au sud du Sahara ainsi que les pays pétroliers du Golfe au Maghreb et au Machrek investissent comme jamais dans les entreprises locales et achètent à tour de bras phosphate, charbon, coton et café africains. S’ils résistent aux vents mauvais qui soufflent sur la planète, l’Afrique aura plus d’atouts pour poursuivre sa marche en avant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires