Éric Guglielmi, photographe de l’Afrique et du temps long
En France, deux expositions présentent des séries photographiques de l’artiste français réalisées sur le continent. Des œuvres où l’esthétique soutient la réflexion politique.
C’est par hasard que, en 1992, l’Afrique est entrée dans la vie d’Éric Guglielmi. « Je rentrais d’un reportage sur les mines du Potosi (Bolivie) et on m’a proposé de convoyer un camion au Mali. J’ai accepté. Et je suis finalement resté presque cinq ans en Afrique de l’Ouest. »
Mali, Mauritanie, puis Sénégal ou encore Éthiopie, le jeune photographe (il a alors 22 ans) travaille pour la presse française, notamment pour Jeune Afrique.
Après avoir été témoin des secousses politiques et sociales du continent, il prend un virage radical : « Après un reportage au Rwanda, j’ai tout arrêté en 2002, et je n’ai plus fait de photographie pendant presque cinq ans. »
Loin de l’agitation de la presse
Lorsqu’il reprend la photographie, Éric Guglielmi choisit des sujets au long cours, loin de l’agitation de la presse. Et il troque son appareil photo portatif contre une chambre photographique, une machine de plusieurs kilos qu’il porte sur le dos quelles que soient les conditions climatiques.
L’Afrique le rappelle, et il recommence à la parcourir pour produire une « trace » de ce qu’il voit. Mais que voit-il maintenant qu’il s’est extrait de l’immédiateté de l’actualité ? Des paysages abîmés, des visages étranges, des foules pieuses et des maisons poussiéreuses.
Derrière ces images se cachent des histoires et des événements politiques : s’il ne se décrit pas comme « photographe engagé », Éric Guglielmi rappelle que son engagement politique date de son adolescence et imprègne son travail.
Avant de photographier un sujet, il le pense en amont et le construit, un processus qui peut prendre un an. Ainsi sa série en cours Paradis perdu (exposée à Douchy-les-Mines, dans le nord de la France) réalisée depuis 2017 au Cameroun dans la réserve du Dja, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987.
« J’ai commencé en 2015-2016, j’ai beaucoup lu sur le sujet, j’ai regardé des reportages comme ceux de la GZ [organisme allemand de coopération internationale]. Il y a donc tout un travail intellectuel avant les images. »
Viennent ensuite les séjours sur le terrain, plusieurs séjours pour s’imprégner du lieu et des gens : « La série a commencé en 2017, et elle va durer normalement jusqu’en 2022 », explique Éric Guglielmi, confirmant qu’il s’agit bien de travailler en profondeur son sujet.
Stoïcisme
Transporter la chambre photographique jusqu’au lieu du documentaire, s’organiser pour y rester plusieurs semaines, gagner la confiance des habitants, et supporter les aléas du séjour, autant de problèmes que le photographe aborde avec stoïcisme.
« Faire trois jours de moto dans la forêt, dormir dans des hamacs, trouver un guide local et porter tout le matériel, ça fait partie du travail. Sans compter que je me suis retrouvé au commissariat ou même en prison dans presque tous les pays du continent ! »
Au-delà des anecdotes, Éric Guglielmi cherche à rendre visible des situations sociales mal connues, comme celle des habitants de la réserve du Dja. « Ces habitants vivent dans la forêt et de la forêt, mais depuis qu’elle est classée à l’Unesco, ils ne peuvent plus chasser les animaux. C’est leur mode de vie qui est menacé, ils ne comprennent pas pourquoi. Et en près de cinquante ans ils n’ont vu aucun expert de l’Unesco sur place ! »
Paradis perdu montre donc des habitants démunis au milieu de la forêt, des portraits posés qui ont nécessité de longues négociations, car, comme le rappelle le photographe, « dans le documentaire, il y a un cérémonial, ce sont des mises en scène maîtrisées ». En Afrique de l’Ouest, la chambre photographique est peu connue, et cela crée un effet de curiosité chez les modèles du photographe, qui en joue pour gagner leur confiance.
Le noir et blanc pour s’extraire du temps immédiat
La série offre aussi de superbes photographies de la forêt, avec ses arbres à moitié effondrés et ses clairières brumeuses. Les tirages sont faits par Éric Guglielmi lui-même, avec la technique argentique au platine palladium, qui donne des tons chauds aux nuances de noir et gris. Il a, pour cette série, choisi le noir et blanc, une manière de s’extraire du temps immédiat, sans doute, et de se démarquer de la photographie de presse.
Auparavant, en 2006, il avait photographié en couleur, notamment le pèlerinage à Touba, au Sénégal, une série exposée à l’Institut des cultures d’Islam (Paris). Il avait cette fois-là choisi le format panoramique et la couleur pour retranscrire l’attente des pèlerins et l’atmosphère étouffante.
Je dois me mettre dans la même position que les gens et me fondre dans l’environnement
« C’était mon premier travail documentaire, et même artistique, avec une longue préparation avant », explique Éric Guglielmi, en rappelant dans quelles conditions il a pu travailler : « Moi je suis blanc, et athée convaincu, je suis externe à cet univers. Je dois me mettre dans la même position que les gens, donc j’attends, pendant des heures, et je me fonds dans l’environnement. En Afrique, on est obligé de prendre son temps de toute façon…»
Femmes aux robes bariolées, modestes objets de dévotion, assemblées informelles dans le sanctuaire, les photographies plongent le spectateur au cœur de ce lieu chargé de ferveur, avec un sentiment de temps suspendu.
Et pour clôturer ses projets, Éric Guglielmi publie un livre, en général avec sa propre maison d’édition, baptisée Gang, car « le livre est un support démocratique, et c’est la seule trace légère d’un projet », une trace amenée à se diffuser longtemps après les expositions.
Paradis perdu, dans le cadre des Photaumnales, à Douchy-les-Mines, jusqu’au 3 janvier 2021.
Touba, dans le cadre de l’exposition « Croyances », à l’Institut des cultures de l’Islam, à Paris, jusqu’au 27 décembre 2020.
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