Ebale Zam
Rejeté dans son pays natal, ce Camerounais de 39 ans, homosexuel assumé, est devenu l’un des chorégraphes les plus en vue de la danse contemporaine belge.
À la fin du spectacle de danse arrive enfin la touche africaine. Ebale Zam verse des litres d’eau sur son partenaire. L’eau, rituel de passage, sceau d’une relation puissante. « Fort et léger ! » s’émerveille une spectatrice. « Le propos est là, mais les choses ne sont pas encore à leur place », relativise un connaisseurÂÂÂ La critique ne braque pourtant pas le chorégraphe, qui en a vu d’autres : présenté en juin dernier au Théâtre Marni, une scène multidisciplinaire de Bruxelles qui a déjà révélé de nombreux talents, L’Amitié est le quatorzième spectacle d’Ebale Zam. « Il retrace l’histoire d’une relation ambiguë entre deux hommes », raconte l’artiste en posant sa tasse de thé vert. Ses épaules musclées dépassent de son débardeur orange.
Il y a trente-quatre ans, Ebale Zam dansait déjà. Telle une légende, son histoire débute dans une forêt – forcément vierge – du sud du Cameroun, au sein de la tribu des Bulus-Fangs. Les habitants du village Essaman sont en liesse. En pleine cérémonie, Mama Belle, sa grand-mère prêtresse, le pousse au milieu d’un cercle de femmes. Le garçon n’a alors que 5 ans, et il danse. C’est une révélation.
Ebale Zam n’a pas grandi au village. Son enfance et son adolescence ont eu pour décor Yaoundé. Le Yaoundé des Blancs, avec boys et bonnes à la maison. Jeune, Ebale a eu une vie de privilégié, il le sait. Une vie qu’il doit à son père, chargé de mission à la présidence camerounaise, qui meurt prématurément à 42 ans. C’est alors sa maman, Julienne, qui prend en charge la progéniture. Onze enfantsÂÂÂ
Institutrice de profession, Julienne danse aussi, parfois, au centre culturel français de la capitale camerounaise. À 14 ans, l’adolescent lui présente sa première chorégraphie, dans laquelle il fait intervenir ses frères et sÂÂÂurs. Conquise, Julienne le propulse sur scène, en première partie de l’un de ses spectacles. « Maman a joué un rôle de transition avec ma grand-mère, explique Zam aujourd’hui. Elle ne dansait plus sur la terre battue du village. » Julienne avait déjà traduit, aussi, le répertoire familial traditionnel dans une forme de modernité. « Moi, avec le hip-hop et le break dance qui déboulaient, j’ai eu une autre ouverture. »
À l’époque, le gamin n’a aucun doute sur ce qu’il veut faire plus tard. Tout en courant derrière son bac, c’est pourtant dans le mannequinat qu’il commence sa carrière, en défilant pour des couturiers locaux. Ce n’est qu’à 21 ans qu’il bifurque vers le chant, repéré par un chercheur de talents, Nkembe Pessok, qui lui permet de suivre une formation vocale pendant trois ans.
Arrive alors 1993, une année cruciale : celle des trois choix qui bouleverseront à jamais la vie d’Ebale. Il rencontre une diplomate qui lui ouvre les portes du bouddhisme. « Sa pratique m’a permis de comprendre que c’est ce que nous faisons qui est important, et que ce que l’on est importe peu. » Le jeune Camerounais de 23 ans n’hésite alors plus à reconnaître son homosexualité Une décision qui ne se prend pas à la légère au Cameroun, où la loi punit cette pratique de cinq ans de prison. Enfin, Zam lance Nyanga Dance, sa première compagnie de danse contemporaine, qui se taille rapidement une réputation au-delà des frontières. Le succès le mène en Côte d’Ivoire, au Ghana et à Madagascar. Bientôt, l’Europe se montre également intéressée. Mais, en 1995, lors de la première tournée de Nyanga Dance sur le Vieux Continent, le grand frère d’Ebale, peintre, meurt d’empoisonnement. « La jalousie, sans doute », élude-t-il en haussant les épaulesÂÂÂ
Deux ans plus tard, le danseur remporte l’Épi d’or de la danse contemporaine au Festival national des arts et de la culture (Fenac) de Yaoundé. D’autres consécrations suivront. Mais, dans ce Cameroun qui criminalise l’homosexualité, Ebale Zam souffre de son statut. « Socialement, j’avais du mal à vivre dans un pays ou j’étais à jamais condamné. Et je n’avais aucune envie de me cacher. » La rue insulte le gayÂÂÂ Ebale frôle deux fois le viol. Lui qui adore le Cameroun doit se résoudre à le quitter. En 2000, il part recevoir le prix de l’Association française d’action artistique (Afaa), à Paris. Il ne reviendra pas.
De France, il passe en Belgique où l’attend son cousin Christopher, qui vit à Bruxelles. La rumeur s’installe au pays : Ebale fuit, il se prostitue. Julienne pleure. Aujourd’hui encore, dans cet exil qui dure toujours, elle « prie Dieu chaque jour pour qu’il fasse en sorte que [son] fils soit comme les autres, raconte-t-elle. Parce que toute maman veut voir son garçon avec une progéniture ». Mais quelle que soit la vie qu’il ait choisie, Julienne soutient son fils, envers et contre tout. « Ebale a besoin de moi. Je ne l’ai pas revu depuis huit ans, c’est dommage. Mais c’est mon enfant, je ne peux pas le rejeter. Je l’aime », lance-t-elle.
À l’expiration de son visa, le jeune homme aurait pu connaître la galère qui fait le quotidien de tout clandestin. Mais, grâce à un riche mécène qui repère en lui le danseur sur un geste de main alors qu’il se promène dans la rue, ce sont les francs-maçons et la noblesse que Zam fréquente. Il s’agit d’une histoire d’amour, aussiÂÂÂ Le mystérieux inconnu veut investir dans la danse et croit en l’Afrique – comme au talent d’Ebale, qu’il aide à fonder sa propre compagnie, Nyanga Zam.
Pendant ce qu’il appelle « une période de combat », le chorégraphe se consacre uniquement à la danse. « Comme d’autres sont condamnés à mort, j’étais condamné à réussir. Je n’avais rien d’autre. » Il monte plusieurs spectacles, s’inspirant notamment des libertés humaines. Ebale finit par se construire un nom.
Entre-temps toutefois, il rompt avec cet amant dont la vie dorée l’étouffe. Aujourd’hui, le salon du danseur camerounais se pare simplement de draps orange, d’encens, de masques africains et de quelques magazines gay posés sur la table. De la piété de sa mère, Ebale a conservé dans son studio du quartier Cimetière-d’Ixelles un petit oratoire. Mais c’est d’un autel bouddhique qu’il s’agitÂÂÂ Au mur, une photo de Marilyn Monroe et des portraits de proches parents sont également accrochés. La foi, la famille, l’art : avec son éducation à l’occidentale mâtinée de racines africaines et saupoudrées de croyances asiatiques, Ebale Zam est un enfant du métissage au cÂÂÂur désormais apaisé, grâce à sa récente rencontre, lors d’un voyage au Japon, avec le maître bouddhiste Sensei Ikeda.
Dernier cadeau en date du généreux mécène qu’il a éconduit, Ebale Zam a été invité à la fête organisée pour les quinze ans de règne du roi Albert II, au palais royal de Bruxelles, le 30 août prochain. Ensuite, il se lancera dans l’enseignement de la danse au Burkina Faso, dans le cadre d’un partenariat Nord-Sud. Et le Nord, ce sera lui, l’homme carrefour, toujours amoureux de son Cameroun natal même s’il ne peut y retourner sans se mettre en danger. Julienne aimerait pourtant bien revoir son danseur. « Dites-lui que je pense à lui. Chaque seconde », demande-t-elle encore avant de raccrocher.
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