Des réformes et des impatiences

Le virage est pris. Timidement, avec l’accord global signé en 2006 entre le parti au pouvoir et les principales forces d’opposition. Franchement, depuis les législatives de 2007. Et si les changements ne sont pas encore perceptibles par tous, les premiers

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 4 minutes.

En d’autres lieux, on implore les ancêtres pour que la pluie tombe, fertilise la terre et sauve les récoltes. À Lomé, quand il pleut des cordes, les conducteurs de motos-taxis maudissent le ciel. Bordées de caniveaux bouchés, les artères défoncées de la capitale togolaise se transforment en lac. Et il devient alors impossible d’y exercer cette activité informelle qui occupe, en attendant un vrai emploi, des centaines de jeunes chômeurs chevauchant de pétaradants engins made in China.
Il en va des jours de pluie comme de la hausse vertigineuse du prix des carburants et des produits sur les marchés : les Togolais râlent sur les difficultés de leur quotidien. Les récriminations à l’égard du gouvernement font écho à la question qui meuble les conversations : où va l’argent ?
Les médias ont annoncé la reprise, depuis novembre 2007, de la coopération avec l’Union européenne, principal bailleur de fonds du pays, après quatorze ans de sanctions économiques. Et les Togolais savent que plusieurs conventions de financement, regroupées au titre du Xe Fonds européen de développement (FED), ont été signées en mai dernier, pour un montant total de 123 millions d’euros (voir pp. 64-65). Gilbert Bawara, ministre de la Coopération, a par ailleurs annoncé le 28 juin dernier l’affectation de plus de 1,5 million de dollars de la Banque mondiale pour réhabiliter des routes et développer les transports urbains à Lomé, et de 11 millions d’euros de l’Agence française de développement (AFD) pour l’amélioration de l’alimentation en eau potable de la capitale. Mais Lomé est loin d’abriter autant de chantiers que Dakar. Un cadre du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir) fait même remarquer que, alors que la présidentielle de 2010 se rapproche à grands pas, il n’y a aucune réalisation concrète du premier mandat de Faure Gnassingbé.

Les bons points de la normalisation
Et c’est bien là le problème. « L’apaisement est un préalable nécessaire à la relance de l’économie de notre pays. On ne peut rien construire de durable dans un climat de tension permanente et de fracture politique. Mais, hélas, apaisement et ouverture ne sont pas quantifiables ! » soupire Pascal Bodjona, ministre d’État chargé de l’Administration territoriale.
En août 2006, le parti au pouvoir a signé un accord politique global avec les principales forces politiques du pays. Et, comme convenu par l’accord, les autorités et les différents partis ont fait en sorte que les citoyens votent aux législatives d’octobre 2007 sans que les violences électorales habituelles n’ensanglantent le scrutin. Une grande première ! Idem pour le processus d’ouverture. Le gouvernement du nouveau Premier ministre issu du RPT, Komlan Mally, compte dans ses rangs l’opposant Léopold Messan Gnininvi, président de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA), qui est ministre d’État chargé des Affaires étrangères. Il reste boudé, en revanche, par l’Union des forces de changement (UFC) de Gilchrist Olympio (voir p. 62). Si elle a refusé d’entrer au gouvernement, l’opposition radicale a tout de même effectué son retour à l’Assemblée, avec 27 députés. Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio se sont rencontrés à trois reprises. Bref, c’est un bon point incontestable, la politique d’ouverture a su désamorcer la cocotte-minute togolaise, dont la dernière explosion a fait 500 victimes en 2005 : l’année de la mort d’Eyadéma et de l’élection – contestée – qui porta son fils Faure à la présidence fut émaillée de troubles. Aussi le jeune chef d’État est-il soucieux d’exorciser le Togo des démons de la violence politique. Et de réconcilier les Togolais, dont le pays a été, on s’en souvient, le théâtre du premier coup d’État de l’Afrique postcoloniale.
Le processus vérité et réconciliation prévu par l’accord politique global a ainsi été inauguré par Faure Gnassingbé en avril. Il vise à élucider les violences, atteintes aux droits de l’homme, attentats à la vie des dirigeants et autres tentatives de déstabilisation survenues depuis 1958. Il s’agit également de proposer des « mesures d’apaisement », encore indéterminées, qui pourraient prendre la forme d’une indemnité. Le président togolais a engagé le pays dans une phase de consultation des citoyens. De Lomé à Tsévié, de Kara à Dapaong, d’Atakpamé à Sokodé, dans toutes les préfectures et sous-préfectures, on donne son avis sur les attributions de la ou des commissions.
« C’est très bien, tout cela. Mais nous, on veut du cash ! » s’écrie un fonctionnaire. Bien que revalorisés à hauteur de 3 % en janvier, les salaires n’ont pas suivi la hausse des prix, et le pouvoir d’achat s’est érodé, même s’il n’y a pas eu, ici, d’émeutes de la faim. Mais ici comme ailleurs, entreprendre des réformes est une tâche ingrate. Moderniser la justice, assainir les finances publiques pour centraliser l’argent sur un compte général du Trésor (gage d’un meilleur contrôle des ressources), former des cadres de haut niveau et faire repartir une mécanique grippée par quatorze ans de sanctions économiques sont, certes, un ouvrage moins clinquant que la réalisation de routes et de ponts. Mais n’est-ce pas le début de la fin de cette unité de façade qui a longtemps empêché le développement du Togo ?

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