[Chronique] Burkina : « L’Observateur Toubabou » ou des vertus du candide immergé
Pour les souvenirs de ses pérégrinations burkinabè, le journaliste français Thibault Bluy vient de remporter le Grand Prix du Manuscrit Francophone 2020.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 31 octobre 2020 Lecture : 3 minutes.
Lorsque ses « semelles de vents » le font atterrir à Ouagadougou en juillet 2015, Thibault Bluy (qui a également été journaliste à Jeune Afrique) imagine débarquer dans le calme transitionnel qui suit la tempête insurrectionnelle d’octobre 2014. Bombardé reporteur du quotidien privé local L’Observateur Paalga, le fraîchement diplômé de l’École de journalisme de Sciences Po Paris s’apprête à couvrir la première transition démocratique en cinquante-cinq ans d’indépendance de la Haute-Volta. L’autoproclamé « herbivore de l’information » n’imagine pas qu’en dix mois, il sera notamment témoin de deux autres événements historiques majeurs.
En septembre, à quelques semaines du scrutin, le général Gilbert Diendéré tente un coup d’État qui, s’il fera long feu, conduira à un léger report de l’élection et servira de leçon aux militaires si souvent impliqués dans la politique burkinabè.
En janvier 2016, un mois à peine après l’investiture du président élu Roch Marc Christian Kaboré, la capitale subit le tout premier attentat jihadiste sur son sol, au restaurant Le Cappuccino et à l’Hôtel Splendid. De cette expérience journalistique unique naîtra, après le séjour ouagalais, le livre L’Observateur Toubabou, dont le titre mixe le nom
du journal hôte et le terme désignant les Caucasiens dans le Sahel.
Le 24 octobre dernier, le Grand Prix du Manuscrit Francophone 2020 lui était attribué, ex-aequo avec Les Sanglots de la Terre, de Renauld D’Avril.
Récit initiatique
Primé dans la catégorie « essai », L’Observateur Toubabou est tout autant un compte-rendu factuel de l’histoire contemporaine qu’un récit initiatique. Le style est musclé, aussi virevoltant que le deux-roues de l’auteur que l’on croit voir zigzaguer dans les six-mètres de latérite. Forcément imagées, dans cette Afrique colorée et survitaminée, les
phrases cambrées nous font ressentir le souffle sec de l’Harmattan, en cette période engoncée entre deux saisons des pluies.
« Onques », « potron-minet » ou « élytres »
Le vocabulaire, lui, se déploie avec gourmandise, tant l’auteur reconnaît avoir redécouvert sa langue maternelle dans un de ces pays francophones qui font autant de bien au passé du français qu’à son avenir linguistique. Jugés ampoulés sous les ors parisiens, les termes désuets ont toujours droit de cité dans les articles burkinabè comme
dans le livre de Thibault Bluy : « onques », « potron-minet » ou « élytres ». Les nouveaux mots souvent parentés au nouchi ivoirien, eux, s’en donnent à cœur joie : « kodos », « gombo » ou « kôrôcratie »…
Si le journaliste français échappe aux pièges des expatriés sous bulle et aux automatismes des envoyés spéciaux parachutés, c’est qu’il plonge son recul de jeune Français dans la vieille marmite du premier quotidien local, lancé sous la Haute-Volta et incendié sous la révolution burkinabè. Thibault Bluy n’est pas de ceux qui disent avoir « fait l’Afrique ». Lors d’interviews où il arbore une tenue traditionnelle burkinabè, il sous-entend plutôt qu’il est un peu de ceux que l’Afrique a faits.
Entre Candide et Zola
Entre Candide et Zola – référence convoquée par la préface du directeur de publication Edouard Ouédraogo – l’auteur n’est pas dupe des « réflexions de Blanc » qu’il s’entendait prononcer, avant de les déminer, nourri d’un regard de plus en plus « décentré » et « hybridé ». Tissées, la virginité de son regard sur le Faso et la légitimité du groupe de presse qui l’emploie font le reste. Les mots édités en reliure, échos des mots publiés en colonnes, proposent à un lectorat français abreuvé de clichés déceptifs une nouvelle clef de compréhension de ce pays où intervient une force française. Et Thibault Bluy de rappeler qu’en 2016 – année de son séjour –, le Burkina Faso était mieux placé que la France au classement de Reporters sans frontières…
L’Observateur Toubabou – Un reporter français au Burkina Faso
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