« Chaque chose en son temps »

À dix mois de la fin de son deuxième mandat, le président Bouteflika entretient toujours le mystère sur ses intentions. Son agenda ? Achever le programme sur lequel il s’est engagé et préparer l’esquisse du prochain quinquennat.

Publié le 15 juillet 2008 Lecture : 4 minutes.

À un journaliste français qui lui demandait, le 22 juin, de confirmer sa participation au sommet de lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM), le 13 juillet à Paris, le président algérien avait répondu : « Chaque chose en son temps. » À l’occasion de son traditionnel discours devant le haut commandement de l’armée au ministère de la Défense, qui coïncide avec la commémoration de la fête de l’Indépendance et de la Jeunesse (5 juillet), Abdelaziz Bouteflika a récidivé, prenant au passage à contre-pied ceux qui étaient convaincus que le « temps » était à la révision de la Constitution et à l’annonce de ses intentions pour la présidentielle d’avril 2009. Bouteflika a cette fois imposé « le temps des colonels ». Vingt-deux d’entre eux ont été promus au grade de général pour s’être illustrés à la tête d’unités engagées dans la lutte antiterroriste, ou encore à l’étranger en qualité d’attaché de défense. Jamais les promotions du 5 juillet n’auront concerné autant de colonels. En revanche, aucun général n’a reçu d’étoile supplémentaire. Nul ne l’aura relevé, tant les attentes étaient ailleurs.

Réconciliation nationale
Il y a deux ans jour pour jour, au même endroit, devant le même parterre de galonnés, le président avait annoncé son intention de réviser la Constitution. Depuis, plus rien. Pas la moindre indication. Aucune réaction ni aucun commentaire à la suite des nombreuses sollicitations politiques, syndicales ou associatives l’appelant à briguer un troisième mandat. La haute hiérarchie militaire était donc tout ouïe à l’issue de la cérémonie de promotion du 5 juillet 2008. Là non plus, pas la moindre révélation.
La rareté des sorties publiques de Bouteflika depuis quelques mois contribue cependant à contenir la déception de voir le président entretenir le suspense autour de ses intentions. Les hauts gradés sont donc restés suspendus aux lèvres du président durant les quarante-cinq minutes d’un discours lu sur un ton monocorde, entrecoupé de digressions orales empreintes d’émotion et parfois de passion. Le chef de l’État a confirmé le choix stratégique de la politique de réconciliation nationale et de main tendue à ceux qui se sont égarés dans le labyrinthe du djihad salafiste. Parmi les effets positifs de ce choix : la sensible diminution de la violence, même si Al-Qaïda au Maghreb islamique privilégie désormais les opérations spectaculaires. Ce qui a permis une utilisation optimale de la cagnotte pétrolière dans un ambitieux programme d’investissement de plus de 150 milliards de dollars visant à combler le retard du pays en matière d’infrastructures, à améliorer les conditions de vie de la population et à mettre de l’ordre dans la sphère économique en assainissant le climat des affaires de manière à réunir les meilleures conditions pour la création d’emplois.

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Message à la jeunesse
Évoquant pour la première fois les émeutes qui ont secoué l’Algérie ces derniers mois, notamment à Oran ou à Berriane, dans la région du Mzab, Abdelaziz Bouteflika s’est étonné qu’une « défaite en football ou une simple dispute entre voisins dégénèrent et puissent amener des jeunes à brûler leur ville, leur pays ». Le président a imputé ces dérives à la « tragédie nationale » (expression désignant la décennie de violence qui a suivi l’interruption du processus électoral par l’armée en janvier 1992), dont les conséquences sur le tissu social, la configuration de l’espace urbain et la criminalité devraient encore être « perceptibles durant deux ou trois générations ». La veille, dans un message plutôt dit que lu en son nom par son Premier ministre, Ahmed Ouyahia, à l’occasion d’un hommage rendu aux artistes de la révolution, Bouteflika avait reconnu que l’édification de tours d’habitation, l’ouverture de tronçons autoroutiers, la construction de campus, de complexes sportifs ou hospitalo-universitaires ne suffisent pas à combler un déficit de bonheur. Ce déficit qui pousse des centaines de jeunes Algériens à braver quotidiennement la mort pour rejoindre l’eldorado européen par la mer. Un déficit qui est aussi une véritable bénédiction pour les recruteurs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Dans ses deux messages, le président s’est dit comblé par « la vitalité de ces jeunes », mais il faut qu’elle soit canalisée vers l’édification plutôt que dédiée à la destruction, orientée vers la créativité plutôt que la roublardise. La revendication est légitime, mais tout recours à la violence doit être banni. Bouteflika a promis que l’État veillerait à la protection des biens et des personnes face aux « fauteurs de troubles ».
Tout cela laisse à penser que la feuille de route de l’après-2009 est déjà élaborée. Reste à déterminer le casting et l’attribution du rôle principal. « Chaque chose en son temps », se sont alors souvenus les généraux et officiers supérieurs présents ce 5 juillet. Mais la fin du discours est des plus énigmatique. Le président Abdelaziz Bouteflika a conclu son intervention en assurant qu’en près de dix années de pouvoir il a eu le temps de mesurer le poids de ses responsabilités et de ses fonctions. En sollicitant l’appui et le soutien de toutes les bonnes volontés, le président a donné à son discours des allures de testament pour les uns, d’aveu d’impuissance pour les autres. Quelques heures plus tard, les blogs et les micros-trottoirs réalisés par des médias indépendants ont montré la surprise de l’opinion face à l’absence d’annonce concernant la révision de la Constitution. « Chaque chose en son temps », ne cesse-t-il de marteler.

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