Toledo sauvé par une femme ?

Contesté de toutes parts, le président compte sur son Premier ministre pour continuer sa politique de redressement économique.

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Le 7 juillet, quand l’institut péruvien Apoyo publie les résultats de sa dernière enquête, la sanction tombe : 13 % d’opinions favorables. Pour un chef d’État élu deux ans auparavant avec 53 % des suffrages, c’est très peu. C’est même catastrophique. Mais pour Alejandro Toledo, c’est presque une bonne nouvelle. Car depuis son arrivée au pouvoir, en juillet 2001, c’est la première fois qu’un sondage n’indique pas une nouvelle chute de sa popularité. Moins d’un mois auparavant, fin juin, elle était tombée à 11 %, contre 85 % d’opinions défavorables.
Cette remontée de deux petits points correspond en fait à une seule semaine de travail du nouveau gouvernement, dirigé pour la première fois dans l’histoire du pays par une femme : Beatriz Merino. Encore convient-il de préciser que, avec 2 % de hausse, Alejandro Toledo ne bénéficie que très peu de l’approbation générale qu’a suscitée la nomination, le 28 juin, de l’ancienne surintendante des services fiscaux au poste de Premier ministre, puisqu’elle recueille, elle, 71 % d’opinions favorables. C’est dire l’ampleur du fossé qui sépare désormais les couches populaires de l’homme qu’elles ont porté au pouvoir en raison principalement de ses origines modestes et de son image de cholo (Indien pauvre) qui a réussi.
Car la désillusion des Péruviens est grande. Elle est, en réalité, à la mesure de l’espoir qu’avaient suscité ses trop belles promesses électorales, parmi lesquelles le doublement du salaire des enseignants ; la création d’un million d’emplois à la faveur d’un ambitieux programme de travaux d’infrastructures et de logements sociaux ; la généralisation de l’aide et du crédit aux petits agriculteurs, etc. Le pays était en récession depuis trois ans, et la pauvreté avait gagné du terrain après l’effondrement du système corrompu de l’ancien président Fujimori.
En fait de politique sociale, c’est une implacable rigueur budgétaire qui s’est abattue sur le pays, sous les applaudissements des milieux d’affaires et du Fonds monétaire international. Au point que le Pérou est aujourd’hui classé par le FMI parmi les meilleurs élèves de la région. En 2003, son taux de croissance devrait être de l’ordre de 4 % (il était de 5,2 % en 2002), le déficit budgétaire devrait se maintenir autour de 2 %, et le taux d’inflation ne devrait pas dépasser 2,5 %. De quoi susciter la jalousie chez nombre de ses voisins, qui évoluent, comme le Pérou, dans un contexte régional plutôt déprimé.
Reste que ce redressement économique a un coût social élevé et que, à deux reprises, le président péruvien s’est trouvé confronté à de puissants mouvements de protestation. En juin 2002, un an seulement après son élection, il avait dû imposer, l’état d’urgence et faire appel à l’armée pour venir à bout d’une révolte anti-privatisation, qui, partie d’Arequipa, la deuxième ville du pays, avait entraîné tout le Sud dans une grève générale contre la vente de deux entreprises publiques d’électricité à une société belge. Sous la pression de la rue, Toledo avait finalement levé l’état d’urgence et remis son projet à plus tard.
À la fois conspué par les manifestants pour sa politique libérale (l’intervention de l’armée a, en outre, causé la mort de deux manifestants) et critiqué dans son propre camp pour son revirement, il était sorti très affaibli politiquement de cette épreuve et avait dû remanier son équipe après la démission du ministre de l’Intérieur Fernando Rospigliosi. Mais le malaise de la société péruvienne est si profond qu’un an plus tard, à la fin du mois de mai dernier, le pays s’est embrasé à nouveau. Cette fois, ce sont les enseignants du public et les petits agriculteurs qui ont déclenché le mouvement. Alors que le candidat Toledo avait promis de doubler leurs salaires (ils ne gagnent que l’équivalent de 170 euros par mois), les professeurs, soutenus par leurs élèves, ne réclament finalement que 70 euros d’augmentation. Les petits agriculteurs, qui n’ont pas non plus bénéficié des aides promises lors de la campagne électorale, exigent, quant à eux, de substantiels allègements fiscaux.
Les premiers ont appelé à la grève générale illimitée pendant que les seconds organisaient le blocage des principaux axes routiers. En moins de vingt-quatre heures, plus de trente barrages rendaient pratiquement impossible la circulation sur la Panaméricaine, cet axe vital pour le pays qui longe la côte Pacifique, du Chili jusqu’à l’Équateur. Les salariés de la santé, ceux de la justice, et d’autres catégories de fonctionnaires ont vite fait de rejoindre le mouvement. Pour enrayer cette lame de fond, encore plus puissante que la précédente, Toledo a de nouveau eu recours à la manière forte. Le 3 juin, il décrétait l’état d’urgence, suspendait les droits constitutionnels et envoyait des blindés dans toutes les grandes villes du pays. Du coup, la « journée nationale de protestation », prévue pour le 4 juin, devenait une journée à haut risque, les dirigeants syndicaux et les manifestants étant désormais considérés comme « hors la loi » par le ministre de l’Intérieur Alberto Sanabria. En dépit d’affrontements parfois violents avec les forces de l’ordre, le pire a été évité, et la grève, finalement, tire à sa fin.
Il n’en demeure pas moins que le malaise est profond et que Toledo ne pourra pas, indéfiniment, mettre l’armée dans la rue pour « sauvegarder la stabilité démocratique ». Il faudra bien, un jour, que ces milliers de fonctionnaires et de petits agriculteurs profitent, eux aussi, des fruits de la croissance. Mais on voit mal comment il pourrait en être ainsi, à brève échéance en tout cas, alors que le FMI vient à nouveau d’inciter le gouvernement à poursuivre ses efforts de redressement, notamment en menant à bien le programme de privatisation qu’il s’est fixé.
C’est toute la difficulté de la mission que vient d’accepter Beatriz Merino, à la suite de l’amicale pression de l’écrivain Mario Vargas Llosa – candidat malheureux à la présidentielle de 1990 contre Alberto Fujimori -, qui avait lui-même refusé le poste. Ainsi, d’ailleurs, que toutes les autres personnalités politiques auxquelles Toledo avait fait la même proposition, à la suite de la démission, le 23 juin, du Premier ministre Luis Solari et de la totalité de son gouvernement.
Âgée de 54 ans, célibataire, fiscaliste rigoureuse, Beatriz Merino n’a pas tardé à marquer son territoire en annonçant publiquement : « En ce qui concerne le président Toledo, avec tout le respect que je lui dois, il faut qu’il sache que je ne me suis jamais soumise à l’empire d’aucun homme. » Avant d’ajouter que l’accord passé entre eux prendra la forme d’un « cogouvernement ». Le troisième Premier ministre de Toledo sera donc un chef de gouvernement à la française, a aussitôt commenté la presse péruvienne. Ce qui est, tout compte fait, une manière assez habile de prendre ses distances avec un président rejeté par près de huit Péruviens sur dix.

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