Sénégal : Clinton, lui, y avait mis les formes

Publié le 15 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

Les Sénégalais ont beau revendiquer leur attachement à la téranga – « hospitalité », en wolof -, ils se sont montrés aujourd’hui quelque peu excédés par la visite du président George W. Bush dans leur pays, le 8 juillet, et les mesures de sécurité draconiennes qui l’ont entourée. Ils ne manquent d’ailleurs pas de comparer cette visite avec celle effectuée par son prédécesseur Bill Clinton, en mars 1998. Le démocrate était resté quarante-huit heures, le républicain s’est contenté de quatre… Clinton avait visité l’intérieur du pays, allant jusqu’à Dal Diam, un hameau à 10 km de Thiès (70 km de Dakar), fait un tour à la Grande Mosquée de Dakar, revêtu un habit local, serré des mains, son épouse Hillary s’était rendue dans une école publique. Le couple avait passé deux nuits à Dakar et honoré un dîner officiel, même si le président s’était contenté d’un sandwich. George W. et Laura Bush ont été beaucoup plus expéditifs, tout ayant été organisé pour qu’ils aient le moins de contacts possible avec la population locale.

Du reste, le souci du détail dont ont fait preuve les Américains est édifiant. Dans la nuit du 7 au 8 juillet, cinq gros-porteurs américains atterrissent à l’aéroport international Léopold-Sédar-Senghor, acheminant, entre autres, la logistique et le personnel de sécurité. Les trois premiers se posent vers minuit. À 2 h 30, après le départ d’un vol d’Air Portugal, plus aucun avion n’est admis dans l’espace aérien sénégalais. À 5 heures arrive un Boeing 747 de la délégation. Une partie du personnel de l’aéroport est ensuite autorisée à quitter le travail avant l’heure. Ils doivent partir avant l’arrivée d’Air Force One. De même, les techniciens de la tour de contrôle sont priés de céder leur place à des confrères américains, qui guideront eux-mêmes l’atterrissage de l’avion présidentiel. Celui-ci se pose à 7 h 30…
Des personnalités accompagnant George Bush, les plus en vue ont été le secrétaire d’État Colin Powell et la patronne du Conseil national de sécurité Condoleezza Rice. Mais leur rôle s’est borné à être présents aux côtés de leur chef, les échanges avec leurs homologues sénégalais se limitant à quelques sourires ou, au mieux, à des poignées de main. Bill Clinton, lui, était venu avec le PDG de Xerox, Paul Allaire, mais aussi avec Rodney E. Slater, qui avait signé avec Tidjane Sylla, alors ministre sénégalais du Tourisme et du Transport aérien, un protocole sur la sécurité aérienne et le rétablissement de la liaison entre les États-Unis et le Sénégal, suspendue à cause des difficultés de la compagnie américaine PanAm.
Dans son discours prononcé à Gorée, l’île où transitaient les esclaves en partance pour les Amériques, George W. Bush a cité Nelson Mandela, Léopold Sédar Senghor, Kwame Nkrumah, Jomo Kenyatta, Haïlé Sélassié et Anouar el-Sadate. Autre style, Clinton avait fait cet honneur à Senghor (deux fois), au cinéaste Sembène Ousmane, au chanteur Youssou Ndour et à deux basketteurs sénégalais évoluant dans le championnat américain NBA, Matar Ndiaye et Sitafa Savané. Quant au président sénégalais Abdoulaye Wade, il a axé son allocution sur la nécessité, pour l’Afrique, de développer ses infrastructures, et demandé, pour cela, l’aide de son invité. Son prédécesseur, Abdou Diouf, n’avait pas été en reste sur ce chapitre, sollicitant assistance pour la construction d’une autoroute à péage Dakar-Diamniadio (35 km), le renouvellement du parc des véhicules de transport en commun et la modernisation du port de Dakar. Ces projets sont toujours d’actualité et figurent au programme de l’actuel gouvernement…

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Assurément, l’image de l’Amérique auprès de l’opinion publique aura été un peu plus écornée par le passage de l’hôte de la Maison Blanche. De mémoire de Sénégalais, on n’avait jamais vécu autant de frustrations. Des habitants de l’île de Gorée délogés, leurs maisons fouillées par des chiens renifleurs, des kiosques à journaux et des points de vente de tickets PMU démolis au bulldozer sans autre forme de procès, des ministres que l’on a tenté de fouiller au corps, les présidents du Bénin, du Cap-Vert, de la Gambie, du Ghana, du Mali, du Niger et de la Sierra Leone confinés dans un bus… Dans la nuit du 7 juillet, un avion a volé à basse altitude au-dessus de Dakar pour en faire des clichés aériens. Quelques heures plus tard, les habitants du quartier résidentiel de Sacré-Coeur voyaient des éléments du Secret Service (en charge de la sécurité du président et des personnalités américaines) passer au peigne fin les moindres recoins. La même scène s’est produite à d’autres endroits de la capitale. Pour faire bonne figure, la quasi-totalité des agents américains étaient des Noirs. Cela n’a pas évité à la population de subir les affres de la visite : toutes les grandes rues avaient été fermées à la circulation, et même aux piétons à certains endroits. Il régnait ce 8 juillet une drôle d’ambiance de jour chômé à Dakar, pas vraiment de fête. Mais les 245 journalistes américains qui accompagnaient le président auront certainement relaté son passage à l’île de Gorée. Et c’était bien là l’essentiel : que l’électorat noir américain sache que George W. Bush a tenu à se rendre dans ce lieu hautement symbolique…

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