Petits arrangements entre amis

Outre les différents scrutins, la réunion de Maputo a eu son lot de curiosités : le nouveau visage de la diplomatie libyenne après le départ d’Ali Triki, le retour deMadagascar après dix-huit mois de quarantaine, les réactions au périple africain du pré

Publié le 16 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Dans les bairos, les quartiers populaires de Maputo, nul indice ne dévoile que la capitale
mozambicaine accueille, pour la première fois depuis l’indépendance du pays, en 1975,
l’Afrique et ses dirigeants. À l’exception de quelques artères de la ville qui portent des
noms fleurant bon le marxisme-léninisme, nulle trace du passé révolutionnaire du régime. Ni stèle grandiloquente, ni bâtisse à l’architecture post-stalinienne. La segunda cimeira da União africana, deuxième sommet de l’Union africaine, se tient dans cette coquette ville du bord de l’océan Indien. Mais la majorité des habitants de la cité n’y prête guère
attention. L’opinion est plus mobilisée par les joutes électorales à venir. Le président Joaquim Chissano achève dans un peu plus d’une année son ultime mandat, et les bairos se mettent à rêver d’alternance. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, il s’agit de recevoir avec de modestes moyens les deux mille cinq cents participants aux assises africaines. Un Centre de conférences est bâti à la hâte (onze mois) par une entreprise chinoise. Résultat : jamais un sommet africain ne s’est tenu dans un cadre aussi exigu : une salle de plénière ne pouvant pas contenir plus de sept cents personnes, des salles annexes dépourvues d’installations de traduction simultanée, et des journalistes au bord de la crise de nerf car interdits d’accès au centre de conférences. Les capacités hôtelières se sont révélées insuffisantes, et il a fallu recourir aux particuliers pour qu’ils louent tout ou partie de leurs logements.
Premier chef d’État à fouler le tarmac de l’aéroport de Maputo : Kadhafi et ses inévitables amazones. Le Guide, contrairement à ses pairs, n’a pas été hébergé dans un
palace de la ville mais dans une résidence d’État au bairo da Polana à côté d’une superbe église. L’arrivée du Libyen sera suivie de celle de trente-sept chefs d’État et de gouvernement. Une participation honorable, mais quelque peu perturbée par le voyage de George Bush en Afrique. Si le Sud-Africain Thabo Mbeki a pu être présent à temps pour prendre part à un conclave sur le Nepad, organisé le 9 juillet, l’Ougandais Yoweri Museveni, tenu d’accueillir à Kampala le président américain, a dû quitter Maputo juste après l’élection d’Alpha Oumar Konaré à la présidence de la Commission. Il est suivi, quelques heures plus tard, par le nigérian Olusegun Obasanjo, pour, lui aussi, recevoir Bush chez lui. Dans le club des chefs d’État à l’assiduité élastique (Zine el-Abidine Ben Ali, Paul Biya, Hosni Moubarak ou encore Maaouiya Ould Taya), on trouve désormais l’Érythréen Issayas Afewerki, qui boude depuis quelques années les assises africaines.
Ce n’est donc pas nouveau. Contrairement au retour de Madagascar, qui a été quelque peu mis en scène, avec la complicité de Saïd Djinnit, élu commissaire à la paix et à la sécurité. Marc Ravalomanana n’a pas participé au huis clos précédant la cérémonie d’ouverture. Il est resté dans un salon présidentiel du centre de conférences. Au
moment où Thabo Mbeki, encore président en exercice, doit annoncer l’ouverture solennelle des travaux, le numéro un malgache est discrètement appelé, en même temps qu’est officiellement annoncée la fin de la mise en quarantaine de la Grande Île. Synchronisation parfaite, saluée d’une émouvante standing ovation.
Autre entrée en scène : celle de la (nouvelle) équipe diplomatique libyenne. Désormais, le légendaire chapelet d’Ali Triki a laissé place à la pipe d’Abderrahmane Chelgham, ministre des Affaires étrangères de la Jamahiriya depuis trois ans, mais jusque-là curieusement absent des grand-messes africaines. Flanqué en permanence du nouveau « monsieur Afrique » du Guide, Mokhtar Ganas (voir « Coulisses »), Chelgham incarne un nouveau style dans la diplomatie continentale. Moins porté à l’emphase, il aborde sans complexe les intérêts de son pays, sans grandes phrases sur la solidarité africaine, les pères fondateurs et tutti quanti. Formé à l’école occidentale, il privilégie le pragmatisme, la disponibilité et le compromis. Il n’a pas hésité à retirer de la course ses candidats aux postes de commissaires pour éviter une situation de blocage. Ainsi du retrait du candidat de son pays dans la course à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour permettre à son rival mauritanien de décrocher le sésame.
Pour le reste, le sommet s’est consacré au traitement de problèmes récurrents : les conflits, les questions budgétaires avec leur lot d’arriérés de contributions, ou encore les textes qui attendent d’être ratifiés. Ainsi, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union n’est pas près de voir le jour. Seuls 28 des 53 pays membres ont signé le protocole relatif à sa création et 7 d’entre eux seulement l’ont ratifié. Ce qui n’a pas empêché la commission intérimaire de faire avancer le dossier, en élaborant notamment
un règlement intérieur et en ouvrant une réflexion sur la mise en place d’une force africaine de paix prépositionnée et sur un système continental d’alerte précoce.
Le Nepad, lui, a eu droit à un traitement privilégié. Retenu comme thème spécial, il a fait, en marge des travaux, l’objet d’une réunion des vingt chefs d’État membres du comité de mise en uvre, sous la présidence d’Olusegun Obasanjo, avec une participation active du Gabonais Omar Bongo, celle de son beau-père le Congolais Denis Sassou Nguesso et celle de Kadhafi, qui admet ne pas connaître les rouages du Nepad, devenu programme officiel de l’UA. « J’ai beaucoup de propositions à faire mais je ne sais pas dans quel cadre je dois en faire part, a-t-il demandé à Obasanjo, je préconise que chaque secteur d’activité économique soit confié au pays africain qui y est particulièrement performant. On pourrait, par exemple, charger l’Éthiopie des questions liées à l’agriculture », a-t-il poursuivi, mi-grave, mi-ironique.
Plus sérieusement, Maputo a consacré la différence entre grands et petits pays. La taille n’obéissant pas à des critères géographiques, mais à l’importance de la contribution
budgétaire. Preuve en a été donnée par le communiqué de la présidence ivoirienne faisant état des pressions qui l’ont amené à retirer la candidature d’Amara Essy (voir ci-dessous). Elles sont essentiellement le fait de quatre pays : Afrique du Sud, Nigeria, Algérie et Libye. Cela n’a pas été sans provoquer un sentiment de frustration chez les délégués de « petits pays ». L’élection, dès le premier tour, d’Alpha Oumar Konaré montre qu’il n’y a pas eu de « rébellion », mais « les symptômes sont là, analyse un fonctionnaire international nigérien. Si intégration il y a, elle ne peut se faire que dans une parfaite équité entre les pays. » Ce propos est nuancé par un membre de la Commission de l’UA. « La dynamique qui a mené vers la création de l’Union européenne a été portée par le couple francoallemand, alors pourquoi pas un leadership africain efficace. » Cependant, s’agissant de l’Afrique, et pour des considérations géographiques, historiques et culturelles, un tandem paraît bien insuffisant. Depuis quelques mois, il existe une concertation quasi permanente, dans un cadre officieux entre Alger, Abuja et Pretoria. À Maputo, une autre capitale a rejoint le trio : Addis-Abeba. Mais c’est encore insuffisant. Si ce quatuor devenait quintet, alors toutes les régions du continent seraient représentées à condition que l’Afrique centrale soit représentée. La RD Congo pourrait assumer ce rôle. Mais l’instabilité qui y règne ne semble pas devoir être rapidement éradiquée. Le Cameroun pourrait être la solution idéale. L’absence de Paul Biya à Maputo a renvoyé cette question aux calendes africaines.

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