Nelson Mandela

Omniprésent sur la scène internationale, l’ancien président sud-africain n’en finit pas de dénoncer l’intervention anglo-américaine en Irak.

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Nelson Mandela aura 85 ans le 18 juillet et, à cette occasion, un banquet de mille cinq cents couverts sera donné en son honneur, à Johannesburg.
Au cours des trois dernières semaines, l’ancien président sud-africain a fait son grand retour sur le devant de la scène mondiale. Et fait la démonstration qu’il n’a rien perdu de son franc-parler. Surtout quand il s’agit de dénoncer l’occupation de l’Irak. Après sa rencontre avec Dominique de Villepin, le ministre français des Affaires étrangères, Mandela a fait l’éloge du président Jacques Chirac et de son refus de soutenir la guerre anglo-américaine. C’était « la position juste », a-t-il estimé. George W. Bush, en revanche, n’a pas été ménagé : « Quiconque prétend agir en dehors des Nations unies doit être condamné. Et plus encore s’il est à la tête d’une superpuissance. »
À Galway, en Irlande, il a réitéré, de manière encore plus virulente, ses attaques contre la politique américaine au Moyen-Orient. À Londres, il a participé au lancement de la Fondation Mandela-Rhodes, qui consacrera une partie de la colossale fortune que Cecil Rhodes édifia grâce à l’or et aux diamants sud-africains à l’amélioration de la condition des Noirs. Lors de la cérémonie organisée à Westminster Hall, où il avait pris place aux côtés de Bill Clinton et de Tony Blair, il a prouvé que son autorité morale restait sans égale. « Vous symbolisez le triomphe de l’espoir sur l’injustice », lui a lancé le Premier ministre britannique. Mandela a poliment remercié, mais sans occulter leurs différences sur le dossier du Moyen-Orient : « Nous divergeons sur un point – et très fortement », a-t-il indiqué.
Blair et Clinton ont ensuite dû l’aider à gagner difficilement la sortie, sous les ovations. Ce n’était pas à eux que s’adressaient les applaudissements, mais au patriarche à demi impotent qu’ils soutenaient tant bien que mal. Poignante image de ces deux responsables politiques dans la force de l’âge recherchant la caution morale d’un vieillard… Et bel hommage rendu à un homme qui, officiellement, n’assume plus aucune fonction politique depuis son départ de la présidence sud-africaine, il y a quatre ans. Et qui, il y a quinze ans, était encore un prisonnier politique condamné à une peine de détention à perpétuité, sans grand espoir de libération.
Mais Mandela a toujours su surprendre ses contemporains. Depuis notre première rencontre, il y a cinquante ans à Johannesburg, je l’ai vu jouer tour à tour bien des rôles : avocat, révolutionnaire, prisonnier, candidat en campagne électorale, chef de l’État… Avant qu’il ne devienne une sorte d’icône universelle. Chaque fois, beaucoup étaient convaincus que ce rôle serait le dernier. Erreur !
Même à la retraite, il réussit à créer la surprise : jamais il ne s’est exprimé plus librement. Le voilà devenu un formidable porte-parole du monde en développement. Qui mieux que lui pourrait protester contre les comportements guerriers de l’Amérique et du Royaume-Uni au Moyen-Orient, et les risques de confrontation majeure qu’ils impliquent ?
À l’époque où il dirigeait l’Afrique du Sud, Mandela entretenait pourtant des relations étroites avec Londres et Washington. L’ancien président George Herbert Bush, qui fut le premier chef d’État à le féliciter après sa libération, était même l’un de ses amis personnels. Rien de tel avec le fils : la politique de
George W. et de ses principaux collaborateurs, qu’il qualifie à l’occasion de « dinosaures », le laisse sceptique. Le vice-président Dick Cheney, en particulier, ne lui inspire pas une affection débordante : au milieu des
années 1980, celui-ci refusa de voter une motion du Congrès exigeant sa libération.
Après les attentats du 11 septembre 2001, Mandela avait, dans un premier temps, apporté son soutien à la guerre contre le terrorisme. Mais le mépris affiché par Bush à l’égard de l’ONU ne tarda pas à le choquer. Tout au long de cette année, ses attaques contre la politique américaine en Irak se sont faites de plus en plus vives. Dès le mois de janvier, il a déploré qu’« une puissance dirigée par un président qui n’a pas de vision d’avenir et se montre incapable de
penser correctement » menace de « faire de la guerre [en Irak] un holocauste ». Quant à Blair, il n’était, à l’en croire, que « le ministre des Affaires étrangères de Bush »…
Un moment, il caressa l’espoir de jouer un rôle
de médiateur pour empêcher la guerre, mais il lui fallut bientôt se rendre à l’évidence : ses liens avec Washington ne cessaient de se distendre. De même, il fut peiné de constater la brusque métamorphose de Colin Powell, colombe devenue faucon. Quant à Bush et à Condoleezza Rice, ils s’abstinrent de répondre à ses appels.
Mandela tenta alors de joindre Saddam Hussein par téléphone. Sans succès. Il s’offrit même de se rendre en Irak, pour peu que les Nations unies lui en fassent la demande. En février, Pretoria proposa de dépêcher une délégation à Bagdad, mais Londres et Washington jugèrent l’initiative par trop favorable à Saddam. La guerre était devenue inévitable.
Quand Américains et Britanniques finirent par envahir l’Irak, il s’abstint de toute nouvelle critique. Ce n’est que depuis quelques semaines, alors que Bush paraît découvrir la nécessité de développer les relations de son pays avec l’Afrique, que Mandela donne à nouveau libre cours à ses attaques. Dans le cadre de sa récente tournée sur le continent, le chef de l’exécutif américain s’est rendu à Pretoria, où il s’est entretenu cordialement avec le président Thabo Mbeki. À ce moment-là, Mandela se trouvait à l’étranger. Heureusement, peut-être…
En fait, ses relations avec Bush sont tout bonnement dans l’impasse. « Je ne suis pas sûr qu’il ait la moindre envie de me voir », estimait « Madiba », il y a trois semaines. Apparemment, ses coups de gueule laissent la Maison Blanche perplexe : « Mais qu’est-ce qu’il nous veut ? » Pourtant, Bush se garde bien d’engager les hostilités avec un contradicteur aussi redoutable. Surtout à l’approche de l’élection présidentielle, où il risque d’avoir besoin des suffrages africains-américains.
En Occident, le prestige de Mandela est intact. Pour les foules énormes que, partout, il déplace, il est un personnage de conte de fées : le prisonnier devenu président. En revanche, pour de nombreux responsables politiques, il constitue un pont d’une importance cruciale entre les deux parties d’un monde plus divisé que jamais depuis le 11 septembre.
Il impose le respect à tous, chrétiens ou musulmans, et n’est pas peu fier de la tolérance religieuse pratiquée naguère par son gouvernement, où siégeaient plusieurs ministres musulmans. De ce point de vue, il en est convaincu, l’Afrique du Sud pourrait servir de modèle à bien d’autres pays. Lui-même n’est pas croyant, mais il a appris à tenir compte de l’influence des chefs religieux. Les religions ont survécu, m’expliquait-il récemment, parce qu’elles sont fondées sur la paix et la famille, non sur la guerre et la destruction. « Aucun pouvoir sur la terre ne peut se comparer à celui de la religion. Et c’est pourquoi je la respecte. »
Son expérience est double : il a exercé le pouvoir, puis s’en est éloigné. Il est capable de se faire entendre des foules immenses du monde en développement, qui se sentent humiliées et persécutées par la superpuissance américaine, mais conserve une autorité morale intacte en Occident et jusqu’aux États-Unis, où il apparaît comme le champion de la réconciliation et de l’instauration d’une société multiraciale.

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