Montrer patte blanche

Aux États-Unis comme en France, les étrangers devront dorénavant se plier à une nouvelle formalité : le relevé d’empreintes digitales.

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

Dans quel film policier ne voit-on pas les criminels tremper leurs doigts dans l’encre pour être fichés ? Utilisé par les services de police depuis plus de cent ans, le relevé des empreintes digitales a mauvaise presse. Pourtant, il faudra s’y faire. Car, criminels ou non, les étrangers devront dorénavant montrer patte blanche pour entrer aux États-Unis ou dans les pays européens de l’espace Schengen.
Les Américains sont les plus volontaristes en la matière depuis qu’ils ont décidé, après les attentats du 11 septembre 2001, d’intensifier leur système de surveillance des étrangers présents sur le territoire américain. Mais les Européens, qui doivent s’adapter aux contraintes américaines, ne sont pas en reste. En lançant le programme Visit (Visitor and Immigrant Status Indication Technology System, « Système d’indication du statut du visiteur et de l’immigrant »), le 29 avril, date marquant les cent jours du département de la Sécurité intérieure, le secrétaire de cet organisme, Tom Ridge, annonçait les nouvelles procédures auxquelles les étrangers devront se plier. Au menu : un relevé généralisé des empreintes digitales, qui ne concerne plus seulement les ressortissants des pays considérés « dangereux » par les États-Unis, mais tous ceux qui ont besoin d’un visa, c’est-à-dire environ 60 % des personnes qui entrent dans le pays chaque année. À la différence des visas classiques, qui n’ont pas empêché onze des dix-neuf terroristes du 11 septembre de rester illégalement sur le territoire américain, les nouveaux documents feront appel à la biométrie. Avec une puce ou un code-barres contenant une caractéristique biologique unique et propre à l’individu (empreintes digitales, iris de l’oeil ou reconnaissance faciale), il devient très facile pour les autorités de suivre les immigrés et de détecter ceux qui sont en situation illégale.
À partir du 1er janvier 2004, les documents des visiteurs étrangers seront ainsi passés au scanner, et les douaniers prendront les empreintes et une photographie numérique du visage. Instantanément, les données pourront être confrontées aux listes de présumés terroristes. A priori, seuls les ressortissants d’Europe occidentale, du Japon, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de Slovénie et de Singapour seront exemptés de la procédure, puisqu’ils peuvent entrer aux États-Unis sans visa pour un séjour inférieur à trois mois. Mais les Américains leur demandent tout de même d’avoir des passeports sécurisés.
Le 20 juin, les autorités américaines ont ainsi rappelé à leurs homologues françaises qu’un tel document sera exigé pour les hommes d’affaires ou les touristes qui se rendent aux États-Unis. Depuis 2001, la France s’est mise aux normes internationales, mais il reste encore en circulation beaucoup de passeports qui ne franchiront pas la frontière américaine au-delà du 1er octobre 2003, date limite indiquée par les États-Unis. La France a demandé un report de cette date pour la mise aux normes de tous ses passeports.
Dans le même temps, tous les pays de l’Union européenne (UE) sont pressés par l’administration Bush d’aller plus loin et d’inclure des indications biométriques avant octobre 2004. Lors du sommet de juin 2003 à Thessalonique, en Grèce, les dirigeants européens se sont mis d’accord sur l’intégration de « puces » dans les passeports de leurs citoyens, sans avoir défini de calendrier précis.
Parallèlement, les pays européens prennent les mêmes mesures que les Américains. La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne s’apprêtent à revoir leur pratique des visas et à équiper leurs consulats d’appareils de relevés biométriques. L’Italie l’a fait dès juin 2002. Le projet de loi français sur l’immigration devrait être voté avant la fin de l’été. Si le texte est adopté en l’état, à partir de l’année prochaine, les étrangers qui veulent entrer en France devront d’abord faire procéder au relevé de leurs empreintes au consulat français de leur pays. Une fois le visa périmé, les autorités n’auront aucun mal à retrouver la date et l’endroit où le précieux document a été délivré. Même si son propriétaire déclare l’avoir « perdu ». « L’immigration clandestine en France concerne surtout des personnes qui rentrent légalement avec un visa temporaire et restent ensuite, explique-t-on au ministère de l’Intérieur. Dorénavant, il sera beaucoup plus facile de les repérer. »
L’harmonisation des pratiques liées à la biométrie, qui permettra de suivre les gens à travers le monde, est donc en marche. Un groupe d’experts a été mis en place au niveau des pays du G8 par Nicolas Sarkozy, le ministre français de l’Intérieur, juste avant le dernier sommet des huit pays les plus riches, à Évian, au début du mois de juin. Ils se réuniront en Allemagne d’ici à la fin de l’année et rendront ensuite leurs recommandations.
En attendant, l’ensemble des pays occidentaux a débloqué des budgets importants pour lutter contre l’immigration clandestine pour les uns, contre le terrorisme pour les autres, et, bien souvent, les deux en même temps. Depuis les attentats du 11 septembre, la frontière entre les deux combats s’est trouvée quelque peu brouillée. Les États-Unis consacrent 380 millions de dollars (335 millions d’euros) et l’UE 140 millions d’euros à la recherche sur la biométrie et autres sujets concernant le contrôle de l’immigration.
Il existe pourtant une différence notable entre les pratiques des deux côtés de l’Atlantique. Dans les pays de l’Union européenne, les relevés biométriques (l’Allemagne préfère la reconnaissance de l’iris, la France les empreintes digitales) seront stockés sur des fichiers très surveillés. Mais ils n’apparaîtront pas sur les documents. Aux États-Unis, en revanche, il est possible que l’empreinte soit imprimée directement sur le visa et accessible à n’importe quel officier de police. Le fichage généralisé est rendu de plus en plus facile par l’évolution des technologies. Les États ne se privent pas d’en user, ce qui ne manque pas d’inquiéter les défenseurs des libertés individuelles : combien de temps les données seront-elles stockées ? Comment pourra-t-on être sûr de ce qui est indiqué sur les « puces » des papiers d’identité ? Dans quelle mesure les polices se transmettront-elles ces fichiers ? Réponse, malheureusement, à l’usage…

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