À l’heure de l’amnistie

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

La polémique enfle depuis l’adoption par le Conseil des ministres ivoirien, le 3 juillet dernier, du projet de loi d’amnistie. Déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, celui-ci entend passer par pertes et profits les exactions et violations des lois perpétrées en Côte d’Ivoire entre septembre 2000 et septembre 2002. À l’exception des « crimes économiques » et des « violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ». Sont concernées par l’amnistie l’attaque, dans la nuit du 17 au 18 septembre 2000, de la résidence du chef de l’État d’alors, Robert Gueï ; les événements des 24, 25, 26 et 27 octobre 2000 consécutifs à la tumultueuse arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo ; la répression, les 4 et 5 décembre 2000, du soulèvement des militants du RDR contre le rejet de la candidature de leur leader Alassane Dramane Ouattara aux législatives du 10 décembre suivant ; la tentative de coup d’État dans la nuit du 7 au 8 janvier 2001 ; les troubles du 10 février 2001 précédant les élections municipales et l’insurrection armée qui a éclaté dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
Ces crises cycliques des dernières années ont causé, au vu du décompte des victimes opéré par le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), des milliers de morts et de disparitions, ainsi que des centaines de viols, d’emprisonnements arbitraires et de cas de torture. Les associations de défense des droits de l’homme battent le pavé pour le refus de l’oubli. « Nous sommes contre toute forme d’amnistie, déclare Ted Azouma, président par intérim du MIDH. Les crimes de sang et les crimes contre l’humanité ne doivent pas être effacés par une loi. »
Mais c’est entre les chapelles politiques que la controverse est plus vive. Si le chef de l’État plaide officiellement pour le vote de la loi, les responsables politiques et mouvements autour de lui laissent entendre un tout autre son de cloche. Joignant le geste à la parole, le camp présidentiel s’est engagé dans une vaste offensive internationale contre la loi d’amnistie. Comme s’il attaquait pour mieux se défendre contre les nombreuses exactions que lui reprochent ses adversaires. En périple, depuis le 28 juin, aux États-Unis et dans différentes capitales européennes, Geneviève Bro-Grebé, présidente du Collectif des femmes patriotes, mène campagne. Son credo : « Il n’y a pas d’amnistie sans décision de justice. Il faut d’abord juger, condamner en cas de culpabilité, avant d’amnistier. »
En même temps que Bro-Grebé, Patricia Hamza-Hattea, Micheline Bamba et Jean-Chrysostome Blessy, avocats au barreau d’Abidjan, sillonnent l’Europe pour vulgariser un rapport fait de témoignages qui accablent les Forces nouvelles et établit leur responsabilité dans les exactions commises depuis le 19 septembre 2002.
Une surenchère qui trouve une réplique auprès du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). L’appareil du principal mouvement rebelle est en train de concocter un « bilan de la guerre » dans lequel un des rédacteurs promet des « révélations explosives sur les liens du pouvoir avec les escadrons de la mort et avec les massacres de masse contre les musulmans, comme celui de Daloa des 14 et 15 octobre 2002, ainsi que les dégâts occasionnés sur les populations civiles par les hélicoptères Mi-24 de Gbagbo ».
Si les actes délictueux sont absous par la loi, les dommages financiers ne sauraient l’être, qui sont estimés à des dizaines de milliards de francs CFA. Le ministre chargé des Victimes de la guerre, des Déplacés et Exilés, Koné Messemba, est confronté aux victimes ivoiriennes, mais également aux 40 000 étrangers qui ont vu raser leurs maisons dans les bidonvilles et leurs biens partir en fumée, sans oublier les 200 000 personnes déplacées et les quelques autres milliers dépouillés de leurs terres. Qui va payer l’addition ? Les fonds sont attendus des partenaires extérieurs (Union européenne, Banque mondiale…) qui se sont portés garants de la mise en oeuvre de l’accord de Marcoussis.
Reste à rallier au processus les derniers boutefeux de l’entourage présidentiel préoccupés de faire payer « les assaillants qui ont agressé la Côte d’Ivoire ». Les guerres se terminant par des amnisties, la loi tant controversée est l’une des clés de la réconciliation. C’est la première jauge concrète de la volonté des Ivoiriens de pardonner.

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