La politique de Tarzan

George W. Bush a visité cinq pays au pas de charge. Les populations ont boudé cette tournée à laquelle elles n’étaient pas conviées.

Publié le 15 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

Seul Mouammar Kadhafi a eu le courage – ou l’inconscience – de dire ce que beaucoup de chefs d’État africains pensaient tout bas : imposer au continent, en plein sommet de l’Union africaine, une tournée impériale de celui que Charles Taylor appelle « le président du monde » était au mieux une indélicatesse, au pire une manifestation de mépris. Ceux qui, à Washington, ont concocté dans le moindre détail ce voyage de cinq jours (du 8 au 12 juillet), Condoleezza Rice, Colin Powell, les services secrets et la batterie de conseillers en communication de la Maison Blanche obsédés par l’image du futur candidat, étaient-ils conscients de cette fâcheuse concomitance ? Sans aucun doute. Mais que pesait la réunion de Maputo face aux impératifs de sécurité et de calendrier de George W. Bush ? Rien. Qui, parmi ceux qui dirigent l’Afrique, allait avoir le front d’objecter ? Personne, hormis ce « voyou » de Kadhafi. Pourquoi, donc, se gêner…

Ainsi donc, un peu à la manière de Tarzan sautant de liane en liane au pays des cannibales et des bêtes sauvages (« Moi George, toi Abdoulaye, Thabo, Festus, Yoweri, Olusegun… »), George W. Bush a parcouru l’Afrique de Dakar à Abuja via Pretoria, Gaborone et Kampala, au pas de course, férocement encadré et sans prêter la moindre attention à un sommet qui, vu d’Air Force One, n’était somme toute qu’un tam-tam de village. Aux limites parfois du scandale, à moins que ce ne soit de la paranoïa, le délire sécuritaire qui a entouré ce voyage a eu quelque chose de profondément choquant pour un continent où les valeurs les plus respectées ont pour nom le temps, la sagesse, la patience et les contacts humains. Maintenues à distance prophylactique du demi-dieu venu de Washington, avec la participation zélée de ses hôtes, les populations ont très largement boudé une tournée à laquelle elles n’étaient pas conviées et qui ne suscitait chez elles aucun espoir, aucune attente particulière.

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À cet égard, la différence entre Bill Clinton – qui, au moins, savait serrer les mains, prendre du plaisir et se déguiser en chef ashanti – et George W. Bush – à qui ses gardes du corps ont sans doute dû dire que seuls les éléphants du parc de Mokolodi au Botswana n’avaient pas encore été recrutés par el-Qaïda, tant ils ont oeuvré pour lui éviter toute rencontre avec les indigènes – est évidente. Mais ni lui ni ses conseillers n’en ont cure : ce n’était pas pour conquérir les coeurs et les esprits des locaux que le président a accompli ce périple au rythme de Carl Lewis. Il s’agissait d’un voyage à double détente, électorale et antiterroriste, sous les uniques auspices des intérêts stratégiques de l’Amérique.

Premier objectif : transformer, l’espace d’une semaine, l’homme de guerre qu’est George W. Bush en un homme de paix. Montrer de lui-même un visage moins agressif, celui d’un « conservateur compatissant ». Quoi de mieux qu’une visite au chevet des malades du sida, médiatisée à l’extrême, ou un discours de quinze minutes à Gorée devant une assistance triée sur le volet par la CIA, retransmis en direct sur Fox News et CNN, pour toucher l’âme de l’électeur sensible et rappeler aux Noirs américains que les démocrates n’ont pas le monopole du coeur ? Reste que, dans le fond, Bush et son entourage estiment que si l’Afrique a valu qu’on s’y intéresse, c’est en quelque sorte par un accident de l’Histoire. Le choc du 11 septembre 2001 a replacé sur la carte du monde selon Bush junior un continent perçu comme la matrice potentielle de tous les terrorismes. La lutte contre le sida, pour laquelle les Américains promettent de dépenser 15 milliards de dollars (le chiffre n’est évidemment pas contractuel) ainsi que le plan du Millenium d’aide multiforme à la « bonne gouvernance » (10 milliards et même réserve que pour ce qui précède), participent de cette « vision » : il faut impérativement, pense-t-on à Washington, enrayer la destructuration d’une Afrique océan de guerre, de misère et de maladie afin qu’elle ne se transforme pas en plate-forme pour el-Qaïda et ses clones.

Tel est le socle fondamental d’une stratégie sur laquelle se greffent deux caractéristiques très « bushiennes ». Une forte tendance au messianisme tout d’abord, qui donne au programme antiterroriste – pour lequel l’administration américaine envisage de dépenser 100 millions de dollars en Afrique – l’allure parfois gênante d’une coalition chrétienne contre la menace musulmane. Une forte odeur de pétrole aussi, particulièrement reniflée lors de l’escale nigériane de George W. De Condi Rice à Dick Cheney, de Don Evans (secrétaire au Commerce) à Spencer Abraham (secrétaire à l’Énergie), de Gale Norton (secrétaire à l’Environnement) à Bush lui-même, la Maison Blanche est truffée de personnalités qui furent, à un moment ou à un autre, les salariées de sociétés pétrolières. Toutes pensent que le pourcentage des importations de brut africain doit être considérablement accru afin de réduire la dépendance des États-Unis vis-à-vis des réserves arabes du Golfe. Objectif : 20 % en 2005. Pour cela aussi, le continent se doit d’être « pacifié ». Ainsi que nous le disait récemment, non sans cynisme et sous X, un ambassadeur américain en poste en Afrique francophone : « Après tout, s’il en va désormais de l’intérêt stratégique des États-Unis que ce continent soit stable, il y a des chances qu’il le devienne enfin, n’est-ce pas ? »

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