Konaré

L’ancien chef de l’État malien a été porté à la tête de l’organisation continentale. Il lui revient à présent de traduire en actes les espoirs portés en elle.

Publié le 16 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Alpha Oumar Konaré est donc devenu, le 10 juillet, le premier président (à part entière) de la Commission de l’Union africaine. Ce jour-là, l’ancien président du Mali a recueilli autour de son nom les suffrages de trente-cinq des quarante-cinq chefs d’État et de gouvernement, obtenant dès le premier tour la majorité des deux tiers des voix requise
pour être élu. Six pays membres se sont prononcés contre lui, quatre se sont abstenus,
huit autres étant privés du droit de vote pour non-paiement de leurs contributions
au budget général de l’organisation panafricaine.
Certains chefs d’État auraient préféré une élection par acclamation, comme il était d’usage lors de certaines réunions de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA). Mais d’autres, le Sud-Africain Thabo Mbeki en tête, ont appelé au strict respect du règlement. À nouvelle organisation, nouvelle méthode ! On a donc voté, et « Alpha », comme l’appellent ses compatriotes, est sorti du chapeau. « J’apprécie le fait d’avoir été désigné au terme d’une élection à bulletins secrets. C’est le signal d’un nouveau départ », nous a confié, la voix remplie d’émotion, Konaré, unique candidat après le retrait du président intérimaire, l’Ivoirien Amara Essy. « Le dénouement auquel nous sommes parvenus ne consacre pas la victoire d’un candidat ou d’un pays, mais celle de toute l’Afrique, qui se donne ainsi en exemple au monde », a pour sa part ajouté, avec sa prudence habituelle, le président malien, Amadou Toumani Touré (ATT).
L’ancien président du Mali est arrivé dans la plus grande discrétion à Maputo, le 9 juillet, en provenance de Paris, où l’un de ses fils a été opéré, la veille, d’une affection bénigne. Accompagné de son épouse, l’historienne Adame Ba Konaré, il a été accueilli à sa descente d’avion par le ministre malien des Affaires étrangères, Lansana Traoré, et par son homologue de la Sécurité, le colonel Souleymane Sidibé. Puis, Alpha a installé ses quartiers dans un des pavillons d’un village touristique nouvellement construit par un promoteur privé, Rua Dom Sebastiao, dans le centre de Maputo. Il n’en est sorti qu’à deux ou trois reprises, notamment pour se rendre auprès d’ATT, dans un hôtel au bord de la mer ou, comme samedi 12 juillet, pour aller prononcer son premier discours et remercier ses illustres électeurs.
Cela dit, en politique avisé, Konaré avait dépêché deux éclaireurs dans la capitale mozambicaine : son aide de camp, le commandant Abdoulaye Cissé, et l’un de ses proches conseillers, Adame Thiam, un journaliste formé aux États-Unis, avec qui il avait effectué, à la mi-juin, un périple d’une semaine en Afrique australe.
À 57 ans, cet ancien professeur d’histoire et d’archéologie entame donc une nouvelle vie, celle de fonctionnaire international et de diplomate. On a connu par le passé l’intellectuel non conformiste, passionné d’histoire, de géographie, de littérature africaine et caribéenne, le journaliste et l’éditeur à qui l’on doit la création, en 1983, de la coopérative culturelle Jamana (« le pays » en langue bambara), rampe de lancement de journaux privés tels que La Roue, Cauris, L’Aurore et, bien entendu, le quotidien Les Échos. On a également connu le militant politique et syndical, qui travailla activement, dans l’ombre, à la chute du général Moussa Traoré, chef de l’État malien de 1968 à 1991.
« Alpha » participe, également, en juillet 1990, à la rédaction et à la diffusion d’un « Appel au peuple malien » et, un mois plus tard, à la diffusion d’une « Lettre ouverte au président de la République » en faveur du multipartisme signée par deux cents personnalités influentes. Dans la foulée, il profite des failles du système législatif pour créer avec quelques camarades, en octobre 1990, une « association » qu’il transforme subrepticement, profitant de l’avènement du pluralisme politique, en parti : l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma).
On a connu, enfin, « Alpha » président de la République. Élu en toute transparence à la tête de son pays, en avril 1992. Reconduit dans ses fonctions cinq ans plus tard, au terme d’un scrutin plus controversé avant d’être finalement boycotté par ses principaux adversaires, il s’efface à la fin de son second mandat, en laissant un bilan somme toute honorable : un pays où le pluralisme politique n’est pas une simple vue de l’esprit, un État doté d’institutions solides et, en dépit du manque de moyens, d’infrastructures.
Né le 2 février 1946 à Kayes, dans l’ouest du Mali, cinquième d’une fratrie de quatorze enfants, le président de la Commission de l’Union africaine a entamé sa carrière professionnelle par une brève expérience d’instituteur, avant de reprendre des études sanctionnées, notamment, par un doctorat en histoire et en archéologie à l’université de Varsovie (1975). De retour au pays, il occupe différents postes dans la fonction publique, alors unique pourvoyeuse d’emplois, avant d’être bombardé par Moussa Traoré – à 32 ans – ministre de la Jeunesse, des Arts et de la Culture (1978-1979), puis des Arts, des Sports et de la Culture (1979-1980). Pour cause de « désaccords avec le chef de l’État », il raccroche au bout de deux ans et retourne à la recherche universitaire. On connaît la suite : il anime la révolte contre Moussa Traoré, puis, après la chute de ce dernier, le 26 mars 1991, se fait élire un an plus tard à la magistrature suprême.
Voilà donc « Alpha » propulsé à la tête de la Commission de l’Union africaine, une instance exécutive qui remplace l’ancien secrétariat général de l’OUA ! Par sa volonté, certes, mais aussi grâce aux soutiens de son pays, le Mali, du Sud-Africain Thabo Mbeki, du Nigérian Obasanjo, du Libyen Mouammar Kadhafi, de l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, du Ghanéen John Kufuor, du Gabonais Omar Bongo, du Sénégalais Abdoulaye Wade, sept chefs d’État dont les pays « comptent » sur l’échiquier continental.
Que fera de sa victoire Konaré, qui ne prendra ses fonctions à Addis-Abeba qu’à la mi-septembre ? « L’Union africaine, bâtie autour des valeurs de progrès social et économique, de justice, de solidarité, du sens des responsabilités, s’imposera par sa capacité à penser et à agir efficacement en vue d’apporter des réponses satisfaisantes aux aspirations des peuples d’Afrique », assure le tout nouveau « président de l’Afrique », comme se plaisent déjà à l’appeler certains. Avant d’égrener quelques principes de base qui guideront son action : « la référence permanente aux cultures, aux langues et à l’histoire africaines » ; « l’expression permanente de la volonté de s’unir dans un espace de droit, de solidarité et de démocratie » ; « la restauration et le développement de la confiance entre les États », ainsi que « la croissance économique ».

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