Encore un effort !

En progrès mais peut mieux faire. Telle est la conclusion que tirent les Nations unies dans un rapport, publié le 8 juillet, sur l’état du développement humain dans le monde.

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

«Le développement est aujourd’hui en crise. Et on observe de nouvelles tendances : le Sud n’est plus homogène, car des pays comme la Chine progressent vite – 150 millions de pauvres (personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour) en moins en dix ans. Mais un nombre important stagne, tandis que certains reculent. Cinquante-quatre pays ont connu une croissance négative dans les années 1990, vingt et un pays ont connu une baisse de leur indicateur de développement humain (IDH) durant la même décennie. Si la tendance actuelle se poursuit, l’Afrique subsaharienne atteindra l’objectif de baisse de deux tiers du taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans en 2165, soit avec cent cinquante ans de retard par rapport aux objectifs du millénaire pour le développement [OMD] ». La Japonaise Sakiko Fukuda-Parr, directrice et rédactrice en chef du Rapport mondial sur le développement humain 2003, n’avait pas beaucoup de bonnes nouvelles à annoncer lors de la présentation, à Paris, de ce pavé de 367 pages, quelques jours avant sa sortie officielle le 8 juillet.
Cette année, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) consacre sa publication annuelle au chemin parcouru par les différents pays de la planète pour atteindre les OMD, définis à l’issue du Sommet du Millénaire. Celui-ci avait rassemblé, en septembre 2000 à New York, 189 pays sous les auspices de l’ONU. Des chefs d’État venus de tous les continents avaient alors pompeusement adopté la Déclaration du Millénaire et défilé à la tribune pour proclamer leur détermination à faire disparaître l’extrême pauvreté et la faim, à garantir à tous une éducation primaire, à promouvoir l’égalité entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire, à réduire la mortalité des enfants et la mortalité en couches, à combattre le VIH-sida, le paludisme et les autres grandes pandémies, à assurer la durabilité des ressources environnementales et à mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Une série d’objectifs ambitieux assortis d’objectifs chiffrés à atteindre dès 2015.
Seulement voilà : le bilan du développement humain dans le monde en ce début de millénaire, tel qu’il est dressé par le PNUD, est peu glorieux : « Les années 1990 ont été à la fois les meilleures et les pires sur le plan du développement humain. En règle générale, l’IDH progresse de manière régulière, quoique globalement lente, car trois de ses grandes composantes – l’alphabétisation, le taux de scolarisation et l’espérance de vie – ne changent pas du jour au lendemain. Un recul de cet indicateur est donc le signe d’une crise : le pays concerné voit s’amenuiser la base de son développement, la population, sa vraie richesse. » Sur les vingt et un pays qui ont régressé dans la dernière décennie (entre 1990 et 2001), quatorze sont d’Afrique subsaharienne, avec une forte représentation de la région australe : l’Afrique du Sud, le Botswana, le Lesotho, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe. L’ennemi public numéro un du développement humain dans cette zone, c’est évidemment le sida : « Au moins un adulte sur trois est infecté au Botswana, au Lesotho, au Swaziland et au Zimbabwe, un sur cinq en Afrique du Sud, en Namibie et en Zambie », commente le rapport. Entre 2000 et 2005, le sida fera perdre trente-cinq ans d’espérance de vie au Zimbabwe, vingt-huit ans au Botswana et au Swaziland, vingt-quatre ans au Lesotho. L’impact sur toutes les dimensions du développement humain est dantesque : « En 1998, cette maladie a provoqué le décès de mille trois cents enseignants en Zambie, soit les deux tiers de ceux qui sont formés chaque année. » Seul pays à avoir amorcé un retournement de tendance, l’Ouganda, qui sera peut-être suivi de la Zambie, où la prévalence du VIH chez les jeunes femmes a baissé de quatre points de pourcentage entre 1996 et 1999. Le Botswana, terriblement affecté, répond aussi enfin avec pugnacité (voir J.A.I. n° 2217).
Le sida, mais aussi la guerre, le premier se nourrissant par ailleurs de la seconde. Les pays d’Afrique centrale en proie à une instabilité chronique sont aussi surreprésentés dans la « liste rouge » : le Burundi, le Congo-Brazzaville, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine ont vu leur IDH baisser dans les années 1990. Les guerres civiles sont le moyen le plus sûr de détruire tous les maigres acquis dans les domaines de l’éducation, de la santé et du bien-être matériel. Si le déclin de l’IDH de la Côte d’Ivoire (de 0,422 en 1985 à 0,396 en 2001) est la conséquence de la propagation rapide du sida, ce ne sont pas les récents et graves soubresauts politiques qui favoriseront son retour à la hausse. D’autres pays ont disparu du radar du PNUD : le Liberia, par exemple. La déliquescence de l’État y est telle que les statistiques ont cessé d’exister depuis longtemps. Le développement humain y régresse, en fait, à vue d’oeil.
L’Afrique n’est pas la seule région du monde concernée par cette tendance inquiétante. En moyenne, l’IDH a vu sa progression ralentir dans la décennie 1990, alors qu’en Europe centrale et orientale et dans la Communauté des États indépendants (CEI), l’indicateur a reculé. En Russie, en Ukraine, au Kazakhstan, en Moldavie, en Arménie ou encore au Tadjikistan, le sida a fait baisser l’espérance de vie et entraîné un effondrement des revenus.
Le PNUD identifie un autre fossoyeur structurel du développement humain : « L’absence de croissance économique explique le fléchissement de l’IDH et l’incapacité de bien des pays à combattre la pauvreté. » Une affirmation qui réconcilie enfin l’institution onusienne siégeant à New York avec ses consoeurs de Washington, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Ces dernières n’arrêtent pas de répéter à ceux qui doutent des bienfaits de la croissance qu’elle « est bonne pour les pauvres ». Le PNUD s’empresse tout de même de nuancer son message : « Le lien entre les deux [croissance et réduction de la pauvreté, NDLR] n’est pas automatique. Ainsi, en Indonésie, en Pologne et au Sri Lanka, la pauvreté s’est aggravée dans les années 1990, malgré la croissance. » Autre preuve de cette déconnexion possible, la différence des classements des différents pays selon le Produit intérieur brut (PIB) par habitant et selon l’IDH. Avec un IDH de 0,8, Cuba est parmi les pays à développement humain élevé (52e rang sur 175) alors qu’il n’est que 90e dans le classement selon le revenu par habitant. L’Arabie saoudite perd trente-trois places quand on passe du PIB par habitant à l’IDH, le Gabon en perd quarante, ce qui le place au 118e rang.
La croissance peut bénéficier aux pauvres parce qu’il est plus facile de sortir de la pauvreté dans un contexte de boom économique qu’en pleine récession. Exemple : la Chine, où l’économie a progressé à un rythme supérieur à 9 % par an durant les années 1990. Au cours de la même période, le revenu par habitant a baissé de 0,4 % en Afrique subsaharienne, et le nombre de pauvres s’est accru de 74 millions. Mais, comme l’explique le PNUD, « la croissance sera bénéfique pour les pauvres si elle repose sur une large base, au lieu de se concentrer dans quelques secteurs et régions, si elle se caractérise par une forte intensité de main-d’oeuvre (comme dans l’agriculture et la confection) plutôt que par une forte intensité de capital (comme dans le pétrole), et que les recettes publiques seront investies dans le développement humain (santé, éducation, alimentation, adduction d’eau et infrastructures sanitaires). En clair, pour atteindre les objectifs du millénaire, les pays démunis devront réaliser « plus de croissance », mais aussi « une autre croissance », orientée vers les besoins humains fondamentaux.
L’étude égrène les progrès remarquables réalisés par certains pays pauvres au cours des dernières années : « Au Bénin, la scolarisation dans le primaire a grimpé de 49 % à 70 %. Au Mali et au Sénégal, elle a gagné au moins quinze points de pourcentage. En Mauritanie, la proportion de filles inscrites [dans le primaire et le secondaire] par rapport aux garçons est passée de 67 % à 93 % entre 1990 et 1996. Le taux de mortalité infantile a baissé de sept points en Guinée, et de cinq, voire davantage, au Malawi et au Niger. » Pour que ces avancées se poursuivent, le PNUD propose un Pacte du Millénaire pour le développement entre pays pauvres et pays riches. « Il faut se concentrer sur les cinquante-neuf pays prioritaires et absolument prioritaires [dont trente-huit africains] qui ne peuvent atteindre les OMD sans le soutien de la communauté internationale », martèlent la rédactrice en chef du rapport Fukuda-Parr et le directeur général adjoint du PNUD, l’ancien ministre Burkinabè de l’Économie et des Finances Zéphirin Diabré. Les pays démunis doivent prendre leurs responsabilités en luttant contre la corruption et en se conformant à la bonne gouvernance. Les pays riches doivent respecter leurs engagements en termes d’aide publique au développement, de suppression des droits de douane et des quotas sur les produits agricoles, le textile et les vêtements exportés par les pays en développement, d’élimination des subventions agricoles et d’allègement conséquent de la dette. En attendant que les « millénaristes » pactisent pour le meilleur, on pourra trouver dans le Rapport mondial sur le développement humain 2003 une source quasi inépuisable de statistiques sur la santé, l’éducation, la pauvreté, mais aussi l’insécurité, ou encore les inégalités entre hommes et femmes.

Rapport mondial sur le développement humain 2003, PNUD, Économica, 367 pp., 25 euros.

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