Ports africains – « Il faut attirer le secteur privé mais pas au détriment du public »
De Tanger Med à Djibouti, de grands progrès ont été accomplis dans l’efficacité des ports africains, relève Amaury de Féligonde (Okan Partners). Mais de la desserte de l’hinterland à la simplification des procédures, beaucoup reste encore à faire.
Ports africains : accélérer les mutations grâce aux PPP
Alors que les performances des plus grands ports du continent se sont nettement améliorées ces dix dernières années, notamment à Tanger Med, Port-Saïd, Durban et Djibouti, il reste beaucoup à faire pour les autres havres, de taille régionale ou nationale.
Investir intelligemment et éviter les célèbres « éléphants blancs » ; mettre fin au cercle vicieux des inefficiences opérationnelles ; attirer et mobiliser le secteur privé tout en améliorant la gouvernance afin de défendre les intérêts du secteur public ; fluidifier les interactions port-ville et améliorer la connectivité avec l’hinterland ; intégrer ports et zones industrielles et moderniser le non-conteneur pour assurer le plein développement du continent…
Dans leur rapport Les ports en Afrique, accélérer la mutation, Okan Partners et l’Africa CEO Forum proposent des pistes de travail, conseillant de privilégier des investissements ciblés aux projets pharaoniques. Rencontre avec Amaury de Féligonde, associé d’Okan Partners et l’un des coauteurs du rapport.
Jeune Afrique : Les ports africains ont fortement progressé ces dernières années. Le retard avec l’Europe et l’Asie est-il comblé ?
Amaury de Féligonde : Les ports africains partaient de loin et, il est vrai qu’en dix à quinze ans, les résultats sont spectaculaires, tant en termes d’infrastructures et de superstructures (équipements de quai) que, dans une moindre mesure, de mise en place d’outils digitaux.
Les exemples de Tanger Med, de Djibouti, des corridors port-rail du Kenya et d’Éthiopie sont parlants. Les procédures de mise en concession ont été améliorées et ont contribué à ces progrès. Mais parallèlement, les autres ports dans le monde n’ont pas fait du surplace. Ils ont fait notamment beaucoup de progrès en matière de robotisation et de digitalisation.
Où se situent encore les améliorations nécessaires ?
Il y a encore beaucoup de choses à faire, en matière d’investissement certes, mais aussi dans l’organisation et la gouvernance. Il faut rompre le cercle vicieux de l’inefficience opérationnelle de certains ports. Cette inefficience n’est pas due au fait que les acteurs seraient moins organisés qu’ailleurs. Mais des intermédiaires en profitent.
Un schéma que nous avons repris d’un rapport de la Banque mondiale détaille que certains acteurs d’un écosystème portuaire peuvent avoir intérêt à ce qu’un conteneur reste sur le port. Par ailleurs, il reste beaucoup d’actions à mettre en place pour digitaliser les opérations portuaires, un facteur d’accroissement rapide de l’efficacité des ports
Il y a des bons élèves néanmoins ?
Bien sûr. Et c’est important de le souligner. Certains ports africains, principalement Tanger Med, Port-Saïd et Djibouti, ont grimpé dans les classements portuaires mondiaux, jusqu’à figurer dans le top 50. Ce qui a été réalisé à Tanger Med est extraordinaire.
C’est parce que c’est un port efficace que les armateurs en ont fait un hub. Par ailleurs, les autorités marocaines ont réussi à développer un véritable poumon industriel, greffé à ce nouveau port. Côté desserte de l’hinterland, il faut saluer aussi la capacité de Djibouti ou de Mombasa à utiliser la carte ferroviaire. Le démarrage du nouveau port de Tema s’est également bien déroulé.
Tema, un hub parmi les hubs d’Afrique de l’Ouest. Il y en a trop ?
Nous disons dans le rapport : attention aux éléphants blancs ! Il faut que chaque euro investi dans un port soit mûrement réfléchi. Les investissements de prestige, visant à se doter d’un hub, sont parfois peu rentables. Il n’y aura jamais plus de quatre ou cinq hubs globaux à l’échelle du continent et quelques-uns, notamment Tanger Med et, Port-Saïd (ainsi que Durban), semblent déjà solidement installés.
Les autres ports seront des hubs régionaux, ou sous-régionaux mais ce n’est pas une tare ! Plutôt que de construire des kilomètres de quai, il est plus utile d’avoir un port efficace, aux tarifs attractifs, bien relié à sa ville et à son hinterland.
Avez-vous des exemples d’amélioration concrète ?
Oui, nous citons l’exemple du dwell-time [temps d’immobilisation] dans le port de Durban passé de sept à trois jours entre 2002 et 2004 par la volonté publique de simplifier les procédures et de durcir la politique de tarification du stockage dans le port. Certes, l’Afrique du Sud, avec son système d’entreprises d’État, n’est plus forcément un modèle mais cela montre que la volonté des pouvoirs publics peut mettre un terme à une mauvaise gestion.
Il y aussi des améliorations modestes, qui ont un effet direct. Je pense à la mise en place de parking poids-lourd et d’une plateforme informatique « Vehicle Booking System » pour la gestion des flux de camions permettant d’éviter la congestion des villes, notamment à Dakar, malgré les difficultés de mise en place.
Il faut attirer le privé mais pas au détriment du public
Quels sont les grands défis des ports africains?
Deux sujets majeurs s’imposent aux ports africains : l’interaction port-ville et l’interaction port-hinterland. Il faut à la fois améliorer les liaisons routières et ferroviaires longue distance et savoir connecter la ville au port. Le PK24 d’Abidjan, aussi dynamique soit-il, restera dépendant du passage par trois ponts si une solution de barge ou ferroviaire n’est pas mise en place.
Peut-on sortir les ports africains des centre-villes ?
Oui, cela a été fait à Tanger et au Cap notamment. Il faut une volonté politique, avec en même temps la capacité à valoriser le foncier pour rendre les projets rentables. Au-delà des problèmes de congestion, c’est un sujet crucial pour éviter de nouveaux drames de Beyrouth dans un port africain.
L’autorité publique a-t-elle suffisamment de voix à l’heure des partenariats public-privé ?
Notre message est très clair. Il faut attirer le privé mais pas au détriment du public. Les concessions doivent être équilibrées, pour préserver l’intérêt collectif. Le public doit donc être bien conseillé.
Il faut également que des groupes locaux puissent émerger et se montrer performants
Sa capacité à négocier doit être soutenue, quitte à l’encourager à prendre une participation financière dans les projets. Le monopole d’un privé sur des terminaux portuaires n’est pas sain, tout comme le monopole d’une ligne maritime sur un terminal n’est pas sain non plus. Il faut mettre en place des indices de performance (KPI) et exiger des résultats.
Y a-t-il suffisamment de concurrence entre les acteurs privés sur les projets ?
Oui, la majorité des grands groupes mondiaux sont présents en Afrique. Bolloré, Arise, APMT, CMA CGM. Ce qui n’était pas le cas il y a dix-quinze ans. Et même le singapourien PSA, pour qui le continent ne représentait peut-être pas autrefois assez de volumes, commence à s’y intéresser.
Sur un projet comme Luanda, trois acteurs de dimension mondiale, DP World, ICTSI et Terminal link (CMA CGM et China Merchants), sont dans la liste restreinte. Quand on voit que le ticket d’entrée sur les projets est désormais de 100, 200, voire 300 millions de dollars, c’est qu’il y a de belles bagarres entre candidats.
Cela n’empêche pas qu’il convient de renforcer les autorités de la concurrence. Il faut également que des groupes locaux puissent émerger et se montrer performants, sur des infrastructures critiques pour l’économie des pays du continent.
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